Iris

Le surnom d’orchidée du Nord attribué depuis le Moyen-âge à la fleur de l’iris d’Allemagne, très cultivé dès cette époque en Europe du Nord, renvoyait à la fois aux merveilleuses couleurs de l’arc-en-ciel qu’elle arborait et à son élégance raffinée. La diversité des Iris va bien au-delà de cette seule espèce : le genre Iris, pour le botaniste, comporte pas moins de 270 espèces, toutes dans l’Hémisphère nord (dont une quinzaine observables rien qu’en France) auxquelles il faut ajouter une incroyable galerie de milliers de cultivars et hybrides. Nous allons donc explorer les singularités de cette fleur sublime en commençant par ces liens avec l’homme avant de s’interroger sur sa structure avec l’œil du botaniste.

Le bien nommé

Le nom populaire d’iris (nom masculin), identique au nom latin scientifique, remonte au 12ème siècle et a été emprunté au grec Iris, iridos pour arc-en-ciel, représenté dans la mythologie grecque par la déesse Iris, messagère de Zeus et Héra et qui reliait le ciel et la terre par un pont irisé, rapide comme le vent et s’évanouissant en un instant. Cette association avec l’arc-en-ciel s’appuie tant sur la palette infinie des couleurs pastels des pétales avec de nombreux dégradés que sur la très brève durée des fleurs de cette plante.

L’iris, par les propriétés médicinales et cosmétiques (base de parfum) de l’essence extraite de son rhizome, fait partie des plus anciennes plantes à fleurs cultivées par l’homme ; on en trouve mention 1500 ans avant J.C. en Egypte et très largement au cours de l’Antiquité. Répandues depuis le bassin méditerranéen, un de ces centres de diversité naturelle, plusieurs espèces et hybrides furent très tôt cultivées dans les jardins d’Europe occidentale et centrale dont l’iris de Florence, l’iris pâle ou, le plus répandu au Nord, l’iris d’Allemagne (bien mal nommé). Ainsi ce dernier figure dans le Capitulaire de Villis, cette liste de plantes, édictée sous le règne de Charlemagne, à cultiver impérativement dans les jardins des monastères.

Des usurpateurs

Au Moyen-âge, on les surnomme gladiolus (nom latin du glaïeul) à cause des feuilles aplaties dans un plan comme des glaives ; à l’époque, les grands glaïeuls horticoles qui nous sont si familiers aujourd’hui n’existaient pas en Europe car ils sont originaires d’Afrique du sud et n’ont été importés que bien plus tard ; il existait néanmoins déjà les « petits » glaïeuls sauvages comme le glaïeul d’Italie et on les confondait sous ce même nom car ils partagent la même structure des feuilles. L’iris d’Allemagne a ainsi reçu le surnom de .. glaïeul bleu !

Au Moyen-âge, on connaît les iris sous le nom de flambes ou flammes, au sens d’oriflamme, de bannière avec notamment l’iris faux-acore, très commun et indigène des zones humides, aux fleurs jaune d’or. L’architecture si particulière de cette fleur volumineuse et dressée en a effectivement fait très tôt un sujet de choix pour des motifs décoratifs et des représentations artistiques ; avec le temps, les artistes en ont épuré les lignes complexes pour ne conserver que trois pointes dont une centrale plus importante. Elle est ainsi devenue un « meuble d’héraldique » symbole de puissance et de magnificence.

Retenue comme emblème du Saint-Empire romain-germanique, la fleur d’iris stylisée aurait été nommée fleur de Louys pour saluer la mémoire de Louis 1er dit « le Pieux » (778-840), le successeur de Charlemagne ; une autre version dit sue ce nom aurait été attribué en l’honneur de Louis VII Le Jeune (1120-1180), roi des Francs, suite à une bataille victorieuse sur un site fleuri d’iris jaunes (sans doute humide donc !). En tout cas, c’est sous le règne de ce dernier qu’apparaît la locution « fleur de lys » par déformation de fleur de Louys et qui est devenue la fleur de lis, emblème de la monarchie !

C’est peut-être dans un tel décor fleuri d’iris jaunes qu’est née la légende de la fleur du roi Louis, devenue fleur de Louys puis fleur de lys par déformation.

A la fois orchidée, lis et glaïeul dans l’imaginaire populaire, voyons maintenant sous la loupe du botaniste la vraie nature de l’iris.

Histoire de famille

Des trois usurpateurs, le plus éloigné est bien le lis. En effet, la famille des iris, les Iridacées, se place au sein de l’ordre des Asparagales alors que la famille des lis, les Liliacées se situe dans un ordre éloigné, les Liliales. D’ailleurs, les fleurs de lis, régulières avec six tépales en un cercle étalé, n’ont rien de commun au premier coup d’œil avec celles des lis.Viennent ensuite les orchidées dont la famille, les orchidacées, fait partie du même ordre des asparagales. Elles partagent avec les iris des fleurs complexes irrégulières sauf que chez ces derniers se surajoute une symétrie étrange d’ordre trois.Les seuls usurpateurs dignes de s’en rapprocher seraient donc les glaïeuls qui appartiennent effectivement à la même famille des Iridacées. Forte de 1800 espèces, elle se caractérise par une très forte hétérogénéité dans la structure des fleurs et renferme toute une série de plantes bien connues comme ornementales : crocus, freesias, ixias, crocosmias, bermudiennes, tigridies, …

Elles partagent des feuilles en glaive orientées dans le sens de la tige, la présence de seulement trois étamines et des fruits secs en capsules. Cependant, au sein de ce vaste ensemble, les glaïeuls se rapprochent bien plus des crocus (tribu des ixioidés) que des iris (tribu des iridoïdés) : leurs fleurs n’ont pas grand chose à voir avec celles des iris, vraiment à part même au sein de leur propre tribu.

Emergence

La floraison des grands iris suit un protocole assez compliqué pas si facile à comprendre. Chaque fleur ne dure que quelques jours au plus avant de s’effondrer littéralement en se ratatinant et en se ramollissant ; on parle de fleur éphémère. Néanmoins, on voit se succéder au fil des jours des fleurs nouvelles qui semblent sortir des précédentes. L’inflorescence se compose d’un axe fort et vertical qui porte un nombre variable d’étages de sous-inflorescences (selon les espèces et cultivars) superposés, disposés en alternance à droite et à gauche de la tige porteuse. Chacune d’elles se trouve enveloppée dans une feuille verte protectrice, une bractée. A la floraison, la bractée s’écarte un peu et laisse émerger un pédoncule d’où ne pointe d’abord qu’une fleur, emmaillotée dans une spathe membraneuse formée de deux bractées inégales qui se déchirent ; la fleur enroulée comme un drapeau se déploie alors majestueusement. Mais rapidement, on voit poindre à son aisselle, une seconde fleur (en fait légèrement décalée sur un axe latéral très court) qui va prendre le relais. Il peut y en avoir au moins trois ainsi successives. Le jeu des bractées très enveloppantes cache les dessous de cette succession. Après la floraison, on réalise mieux la structure ramifiée car les pédoncules des fruits se sont allongés et nettement individualisés et surtout les bractées sont tombées.

Un cercle en plus

A l’instar de la fleur des ancolies (voir la chronique), la fleur des iris interpelle par la duplicité de sa structure d’ensemble : à la fois régulière par sa symétrie d’ordre 3 bien visible de dessus avec trois parties équivalentes rayonnantes et très irrégulière dès lors qu’on l’observe de face au niveau d’une des sous-parties faisant alors penser à une fleur d’orchidée à deux lèvres.

Pour s’y retrouver, on cherche les bons vieux repères classiques : le calice externe composé de sépales et la corolle interne composée de pétales. Oui, mais les iris s’inscrivent dans le grand groupe des Monocotylédones avec des fleurs de type 3 (pièces par cercles de trois) où les sépales ont une consistance de pétales ; on parle donc de tépales pour désigner l’ensemble des pièces colorées de la fleur, le périanthe.

Sauf que là on observe trois rangées successives de pièces colorées différentes : apparemment, il y en a une de trop ! En partant de l’extérieur, on trouve les trois grands tépales externes largement étalés et courbés, en forme de langue vivement colorée et ornée de divers appendices, comme le labelle des orchidées : ils sont l’équivalent des sépales. Puis, viennent trois pièces dressées à la verticale : les tépales internes (l’équivalent des pétales) comme trois ballerines virevoltantes. Mais il reste un troisième cercle en plein centre formé de trois pièces voutées, soudées à leur base, rabattues, fermant la fleur par dessus : à qui correspond ce cercle inhabituel ?

Un certain style

Si on soulève délicatement ces trois pièces « supplémentaires » (ou si on regarde par en dessous), on découvre que, sous leur voûte, elles cachent chacune une étamine dont le long filet épouse la courbe gracieuse. Si on suit ces pièces vers leur base, on découvre qu’elles sont en fait unies et représentent en fait trois branches d’une pièce unique, le style, cet organe qui coiffe le pistil. Il a ici une structure de pétale coloré et, en plus, son stigmate terminal, l’antenne collectrice du pollen, prend lui aussi un aspect pétaloïde sous la forme d’une languette. Le cercle en plus correspond donc à un style à trois branches pétaloïdes et il protège et cache presque le cercle des trois étamines. Tout cet ensemble est fixé sur le pistil ventru à trois loges qui contient les ovules, les futures graines. De profil, on note que cet ensemble forme vers le bas un tube qui s’enfonce dans la fleur.

Au final, la fleur d’iris apparaît comme une fleur triple formée de trois fleurs élémentaires composée chacune d’un tépale externe, d’une branche du style, d’une étamine et d’un tépale interne, toutes les trois réunies sur un même ovaire commun. Il est possible que cette structure résulte d’une longue évolution d’une inflorescence de trois fleurs irrégulières condensée à l’extrême en une seule ! Cette originalité lui confère son architecture unique si gracieuse, mélange d’apparente simplicité et de complexité casse-tête pour l’apprenti botaniste ! Les iris, avec quelques autres genres proches (Moraea, Tigridia) sont les seuls à posséder dans leur famille une telle structure aussi sophistiquée.

Une telle évolution aussi complexe conduit évidemment à imaginer un lien fort avec la reproduction et la pollinisation ; ce sera l’objet d’une autre chronique entièrement consacrée à cet aspect.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Botanique systématique. Une perspective phylogénétique. Judd et al. Ed. De Boeck. 2002

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les Iridacées
Page(s) : 396-411 Guide des Fleurs du Jardin
retrouvez les iris sauvages
Page(s) : 202 ; 440 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages