Les caractéristiques (ou traits en langage plus scientifique) des fruits charnus dont les graines sont dispersées après un voyage dans le tube digestif d’un vertébré varient à l’infini, y compris dans leur origine et leur nature botanique (vrais et faux-fruits : voir chronique précédente) : c’est un des charmes de la biodiversité végétale avec cette multitude de fruits et ses « pépites » photogéniques ! Les traits qui potentiellement peuvent avoir une influence sur cette dispersion (attirer les consommateurs aptes à assurer cette forme de dispersion) sont très divers : couleur, texture, taille, consistance, composition chimique, odeur, maturation, période de production, … La galerie ci-dessous présente une petite gamme de couleurs chez des fruits de nos régions.

Contrairement à une idée reçue, les cas où une espèce végétale n’attire qu’une seule espèce animale pour assurer sa dispersion sont hyper rares ; la majorité des vertébrés concernés dans ce type de relations sont des généralistes et de l’autre côté la plupart des espèces végétales attirent le plus souvent des espèces animales diverses. Alors, comment s’y retrouver dans un tel réseau de relations aussi générales ?

Dégager des tendances dans l’infinité

En consultant des bases de données sur les fruits charnus d’espèces dans des milieux variés, on commence à repérer des ensembles de traits qui se retrouvent plus souvent associés chez un certain nombre d’entre elles n’appartenant pas forcément à des groupes apparentés. Si on connaît par ailleurs la nature des consommateurs (ceux qui tendent à être le plus attirés par ces fruits) les plus réguliers d’une partie de ces fruits et que ceux-ci forment un « groupe » informel identifiable (par exemple : des grands mammifères), on peut alors avancer l’hypothèse que ces traits des fruits sont liés à la nature de leurs agents de dispersion et qu’ils constituent un syndrome de dispersion.

L’intérêt de ce concept est multiple : permettre de comprendre le fonctionnement des réseaux alimentaires des écosystèmes (qui est dispersé par qui ?) ; comparer des écosystèmes différents entre eux quant à leur fonctionnement ; prévoir les conséquences éventuelles de la disparition ou la raréfaction de certains agents disperseurs (comme dans les forêts tropicales) sur le maintien de telle ou telle espèce végétale aux fruits charnus ; en faire un outil de prédiction pour une espèce de plante dont on ne connaît pas les animaux disperseurs et qui présenterait au niveau de ces fruits une bonne partie des traits associés.

Ajoutons que ce concept de syndrome s’applique à d’autres modes de dispersion : par le vent, par l’eau (mais les agents de dispersion sont « non-vivants ») ou le transport en vue de cacher de la nourriture (comme les écureuils ou les geais avec les glands ou les noisettes)ou l’accrochage à l’extérieur des animaux (sur la fourrure ou les plumes ou les vêtements). Enfin, on a aussi appliqué ce concept à la pollinisation en associant un ensemble de traits des fleurs à un groupe de visiteurs pollinisateurs donné (par exemple le syndrome de la pollinisation par les sphinx : voir la chronique sur la belle-de-nuit).

Les grands syndromes de dispersion

Parmi les vertébrés, les plus concernés sont de loin les oiseaux et les mammifères ; viennent ensuite mais de manière très ponctuelle des lézards (notamment en milieu insulaire appauvri en mammifères), des tortues (en milieu semi-désertique par exemple) et aussi des poissons (notamment dans les forêts inondables d’Amazonie).Voici une présentation sommaire des grandes catégories de syndromes que l’on a pu dégager avec les principaux traits des fruits associés :

  • les syndromes de dispersion par des oiseaux :
    • par des oiseaux exclusivement frugivores (par exemple les touracos ou des pigeons en milieu tropical) : graines d’au moins 1cm de diamètre portant un gros arille charnu (ou fruits en drupes), sans odeur et aux couleurs vives (noir, bleu, rouge ou vert)
    • par des oiseaux partiellement frugivores (par exemple de nombreux passereaux de nos régions comme merles, grives ou fauvettes) : fruits (baies, drupes ou graines arillées) assez petits, sans odeur à pulpe très nutritive
  • les syndromes de dispersion par des mammifères
    • par des mammifères arboricoles (singes, lémuriens, coatis, kinkajous, ….) : gros fruits composés ou avec des arilles volumineux, très odorants (odeur aromatique) et de couleur vive (vert, jaune, blanc, orange)
    • par des chauves-souris : fruits pendants, sucrés ou gras, inodores ou alors à odeur musquée, de couleur verte, jaune, ou blanche
    • par des mammifères non grimpeurs comme des carnivores (ours, renards, blaireaux, , …) ou des ongulés (chevreuils, antilopes, sangliers, chevaux,…) : fruits de taille moyenne qui tombent très vite, très odorants (odeur forte et souvent fermentée), de couleur terne
  • le syndrome de la dispersion par la mégafaune, terme qui englobe les très grands animaux actuels (éléphants, rhinocéros ou girafes par exemple) ou disparus (dinosaures, grands ongulés, paresseux géants, …) mais aussi des oiseaux géants non volants disparus comme les moas ou l’oiseau-roc (les traits associés seront développés dans une future chronique consacrée à ce syndrome).

Une notion contestée et contestable ?

Ce concept de syndrome est loin d’être accepté par l’ensemble de la communauté scientifique même si c’est dans le cadre de la dispersion qu’il est le « moins mal » accepté ! La grande question est de savoir si les traits répertoriés sont effectivement des adaptations à un type d’agent de dispersion, idée sous-jacente au concept de syndrome. Or, on sait qu’au cours de l’évolution, un organe donné (par exemple ici, un arille sur une graine) peut acquérir plusieurs fonctions (dont celle d’attirer des animaux) mais sans être sûr que la pression de sélection initiale ait été guidée par la dispersion. Par exemple, certains traits comme la composition chimique (notamment la toxicité) ou la couleur ont très bien pu être sélectionnés dans un premier temps par rapport à la pression de prédation (échapper à un parasite en devenant toxique) et devenir secondairement favorable à la dispersion pour tel ou tel autre.

L’autre écueil majeur relève des contraintes imposées par l’histoire des plantes : selon sa structure de base, n’importe quelle plante ne pourra pas acquérir n’importe quelle structure nouvelle même si la pression de sélection demeure forte. Aussi, des recherches s’orientent vers des genres ou des familles de plantes avec de nombreuses espèces et au sein desquelles on peut légitimement comparer les structures en lien avec la dispersion. Ainsi, chez les Acacias (1500 espèces), où les graines sont arillées, les espèces dispersées par les oiseaux ont un arille volumineux, très coloré (souvent bicolore) et très riche en lipides alors que les espèces dispersées par des fourmis friandes de ces arilles ont des caractères opposés. Là, on peut sans trop de risques vraiment parler de syndrome clair.

Enfin, il se peut que pour des espèces anciennes, des changements majeurs dans la faune (avec par exemple des disparitions de masse à la fin de l’ère Quaternaire) aient modifié complètement la donne et que, secondairement, de nouveaux agents disperseurs ne les aient remplacés. De même, d’autres modes de dispersion secondaires peuvent compléter le mode principal via le transport interne : par exemple, le ruissellement de l’eau qui entraîne des fruits tombés au sol et, de manière plus inattendue mais de plus en plus prégnante, l’Homme qui disperse désormais nombre d’espèces à l’échelle mondiale.

Tout ceci nous renvoie à un piège latent en matière d’évolution : le finalisme ou déterminisme, … la pensée linéaire en quelque sorte. Les chemins suivis relèvent plus souvent de voies chaotiques ou buissonnantes très complexes, trop complexes pour être réduits à des lois ou des généralités. Néanmoins, les syndromes restent un outil intéressant à condition de ne pas en abuser et de vérifier sans cesse ce qui se passe réellement sur le terrain (et dans différentes populations pour une même espèce !).

BIBLIOGRAPHIE

  1. Plant-animal interactions. An evolutionary approach. Edited by C. Herrera and O. Pellmyr. Blackwell Pub. Company. 2002.
  2. Dispersal in plants. A population perspective. R. Cousens ; C. Dytham ; R. Law. Ed. Oxford University Press. 2008

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les fruits charnus des arbres et arbustes
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