Coccothraustes coccothraustes

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Le gros-bec casse-noyaux est un passereau forestier assez répandu dans la plus grande partie de la France mais très discret et méfiant, vraiment difficile à observer en dehors de la période hivernale. Il circule alors souvent en petites troupes et peut se rapprocher des jardins et venir se ravitailler sur les mangeoires destinées au nourrissage des oiseaux. On peut alors, avec de la chance, l’admirer d’assez près : oui, admirer car c’est un fort bel oiseau ! Il affiche une élégance raffinée avec son plumage tout en nuances de brun cannelle, de rose, de fauve sans oublier les plumes bleu foncé retroussées au bord des ailes ; mais, ce qui frappe le plus au premier regard, c’est son énorme bec conique planté sur une grosse tête et un cou trapu. Impressionnant ! Le gros-bec se démarque de tous les autres passereaux granivores (mangeurs de graines) par la taille et l’efficacité de ce bec dont nous allons explorer le fonctionnement.

Un équipement de super-pro

Pour mieux saisir l’originalité et le côté extrême de ce bec, il faut le comparer (1) à celui des parents du gros-bec dans la famille des Fringillidés (voir dernier paragraphe) comme indiqué dans le tableau ci-joint.

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Le comparatif est sans appel : le gros-bec écrase la concurrence ! Ce tableau traduit par ailleurs une part de la diversité relative des formes des becs au sein de cette famille de granivores notamment à travers le rapport L/H qui donne des becs plus ou moins massifs ou au contraire plus fins et aptes à exploiter des graines différentes.

Le bec seul n’est rien sans son équipement musculaire associé au niveau des mandibules. Dans le tableau on voit que la masse des muscles mandibulaires du gros-bec est plus du double que celle du verdier alors que la masse corporelle est un peu moins du double ; c’est ce qui donne au gros-bec ce « cou de taureau » si typique et cette tête massive.

L’intérieur du bec réserve une autre originalité (1) : derrière les crêtes longitudinales qui parcourent le palais se trouve une paire de tubercules finement ornés de crêtes qui se rejoignent au niveau de la ligne médiane du palais ; en face de cette paire, sur la mandibule inférieure, se trouve en vis à vis une autre paire de tubercules. L’ensemble forme une espèce de pince bloquante avec quatre points d’appui.

Enfin, la langue de forme lancéolée porte une gouttière médiane et juste derrière la pointe une structure saillante en arc ; la surface est lisse sauf vers la base avec des papilles coniques de part et d’autre du sillon central. Voyons donc comment notre gros-bec se sert de son outil !

Extraction

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Sur les tables de nourrissage, on peut observer de près sa technique qui s’apparente clairement à celle du verdier (2), lui aussi doté d’un fort bec. Prenons l’exemple des pépites de tournesol, des graines avec une enveloppe dure collée. Le gros-bec la saisit avec la pointe et en deux trois mouvements rapides la fait glisser vers le milieu du bec ; là, avec la langue, il la cale entre l’étau des quatre tubercules (voir ci-dessus) ce qui la positionne bien au centre du bec et permet de bien répartir la pression. La gouttière centrale de la langue et les papilles à l’arrière (voir ci-dessus) l’aident alors dans sa manœuvre.

Ensuite, la mandibule supérieure commence à serrer pendant que la mandibule inférieure effectue des mouvements latéraux relativement amples (mais très rapides à l’œil nu) ce qui détache l’enveloppe et la brise en même temps ; dans la foulée, la graine est écrasée/coupée et avalée tandis que la peau est rejetée sur le côté. Tout se passe en quelques secondes et semble à notre œil tellement facile mais requiert néanmoins une certaine dépense d’énergie.

Casse-noyaux

Mais le gros-bec a une spécialité : les noyaux très durs des fruits des rosacées qu’il casse pour en extraire l’amande (i.e. la graine) comme les noyaux des cerises ou des cenelles (fruits de l’aubépine). Là, il doit souvent s’y prendre à plusieurs reprises pour casser la coque très dure, repositionnant le noyau dans son bec à chaque tentative. Quand l’amande est atteinte, il la fait tourner avec sa langue pour l’éplucher contre le bord tranchant de la mandibule inférieure (comme il le fait avec la pépite de tournesol) et il rejette aussi la peau qui entoure la graine. Cette étape est cruciale car ces graines renferment des substances toxiques (des composés cyanogénétiques) concentrés dans le tégument comme moyen de défense contre les consommateurs. Il procède de même avec les grosses graines dures des ifs (qu’il extrait du « fruit » charnu) particulièrement toxiques.

La force délivrée à cette occasion est à la hauteur de l’équipement super-pro : on estime qu’il arrive à imprimer une pression 1000 fois supérieure à celle de son propre poids (pour un homme, cela donnerait une force de 60 …. tonnes !). Pour briser un noyau de cerise, il faut une force de 27 à 40 kg ; on estime qu’il peut exercer une pression de 13 kg/cm2. Sa force d’écrasement atteint 3 fois celle déployée par le verdier. Ceci explique d’une part son nom populaire mais aussi son étrange nom latin : Coccothraustes, formé avec le grec kokko pour noyau et thrauo pour « je brise en morceaux ».

Dur de la graine

Evidemment, ces capacités lui ouvrent l’accès à des fruits et graines qui restent inaccessibles aux autres granivores (au moins pour les oiseaux, car les rongeurs comme les mulots arrivent à les traiter mais en prenant beaucoup plus de temps !). Il délaisse ainsi le plus souvent les petites graines et exploite toute une série de fruits secs durs : akènes de charme, de frêne, d’orme, de tilleul, d’érable ou de hêtre (faine).

Il recherche aussi, comme nous l’avons abordé ci-dessus, les noyaux des fruits charnus tels que ceux des cerises, des cenelles mais aussi du houx et de l’if. Même si ce n’est pas son fruit préféré, cette exploitation des cenelles des aubépines lui a valu son nom anglais de hawfinch (finch pour « pinson » au sens large et haw pour aubépine). Il peut parfois récolter les graines des cônes d’épicéas en passant derrière les becs-croisés qui écartent les écailles mais n’en exploitent qu’une partie. Il peut aussi éplucher des épis de graminées du bas vers le haut et, dans les jardins, au printemps, il affectionne les gousses de petits pois qu’il craque en laissant des marques en V typiques !

Enfin, comme tous les fringillidés (sauf les becs-croisés), pendant la belle saison, il se nourrit et ravitaille ses oisillons au nid avec des insectes.

Nomade d’hiver

Hors de la période de reproduction, le gros-bec circule beaucoup se réunissant parfois en troupes importantes de plusieurs centaines d’individus partant à la recherche de sources de nourriture. Ils sortent alors souvent des bois et fréquentent les parcs et jardins notamment, attirés par les cerisiers ou les ifs.

Un suivi sur des ormes en Espagne (3) a permis de comparer l’activité des gros-becs par rapport aux autres passereaux granivores attirés par les fruits secs (samares). Les gros-becs tendent à exploiter la cime des arbres, là où il reste le plus de fruits ; ils viennent plus rarement récolter celles tombées au sol ; ils se montrent alors bien plus efficaces que les autres, capables d’ingérer environ 15 graines/minute contre à peine 8 pour les pinsons et à peine 3 pour des linottes mélodieuses !

Comme le bouvreuil, en fin d’hiver et au printemps, le gros-bec consomme beaucoup de bourgeons et de boutons floraux ce qui lui vaut le surnom local d’éboutonneux ! Dans une étude menée en Ecosse (4), on a suivi par radio télémétrie trois gros-becs en fin d’hiver et on a pu déterminer sur quels arbres ils se nourrissaient le plus dans la journée : en tête viennent les chênes (39%) pour les bourgeons, puis les ifs (32%) pour les graines (il reste des fruits jusqu’en fin d’hiver) et les jeunes pousses, les épicéas de Sitka (17%) pour les graines et les tilleuls (10%) pour les gros bourgeons ventrus. D’un individu à l’autre, il y a de fortes variations avec par exemple la femelle qui se concentrait sur les ifs alors que les deux mâles fréquentaient surtout des chênes.

Comme nous l’avons signalé dès l’introduction, le gros-bec peut fréquenter, surtout par temps de neige, les tables de nourrissage fournies en grosses graines comme celles du tournesol très appréciées pour leur qualité énergétique (matières grasses). On observe alors des interactions souvent belliqueuses avec les autres espèces (5). Le gros-bec reste l’initiateur principal de ces comportements agressifs envers les autres espèces : il faut dire qu’avec sa taille et son physique de « bouledogue » et son bec plus qu’impressionnant il lui suffit d’entrouvrir ce dernier pour imposer sa loi.

Lignée à part

Le gros-bec appartient donc à la famille des Fringillidés et il est le seul représentant dans son genre (Coccothraustes) avec une répartition très vaste allant de l’Europe de l’Ouest jusqu’au Japon à travers l’Asie centrale. Une analyse génétique (6) au sein de la famille montre qu’il forme avec trois autres genres une lignée à part : celles des «vrais gros-becs », avec le même bec volumineux. Ce sont (7) les genres : Mycerobas : 4 espèces de gros-bec jaunes et noirs localisés autour de l’Himalaya) ; Eophona : 2 espèces de gros-bec gris à masque noir du Japon et de Chine ; Hesperiphona : 2 espèces de gros-bec gris, jaune et noir d’Amérique du nord et centrale. Sans être chauvin, on peut dire que notre gros-bec reste quand même le plus beau par ses coloris plus riches !!

Ce caractère de bec très développé, presque aussi haut que long, est apparu par convergence dans d’autres lignées de la même famille comme chez trois espèces de la péninsule arabique, surnommés « grand-verdier » (Rhynchostruthus). Et on le retrouve aussi dans d’autres familles comprenant des granivores comme les Cardinalidés avec le « gros-bec » à poitrine rose répandu aux U.S.A. que l’on nomme désormais cardinal à poitrine rose pour réserver le titre suprême de gros-bec au « nôtre » ! Enfin, il y a les célébrissimes « pinsons de Darwin » aux Galápagos avec des espèces granivores spécialisées comme le Géospize à gros bec (Geospiza magnirostris) ; rappelons que ce ne sont pas des pinsons au sens classique (genre Fringilla comme le pinson des arbres) mais des oiseaux de la famille des Thraupidés qui comprend par ailleurs les tangaras, les guit-guit, les dacnis ou les sporophiles.

BIBLIOGRAPHIE

  1. THE ADAPTIVE RADIATION AND FEEDING ECOLOGY OF SOME BRITISH FINCHES. I. Newton. Ibis Vol. 109, Issue 1 ; 1967 ; p. 33–96
  2. Seed husking time and maximal bite force in finches. M. A. A. van der Meij and R. G. Bout. The Journal of Experimental Biology 209, 3329-3335
  3. Seed predation on the ground or in the tree? Size-related differences in behavior and ecology of granivorous birds. Ramón PEREA, Martin VENTURAS & Luis GIL ACTA ORNITHOLOGICA Vol. 49 (2014) No. 1
  4. The ranging behaviour and habitat selection 
by three Hawfinches Coccothraustes coccothraustes in late winter in Scotland. John Calladine & Neil Morrison. Ornis Fennica 87:119–123. 2010
  5. Who bullies whom at a garden feeder? Interspecific agonistic interactions of small passerines during a cold winter. Katarzyna Wojczulanis-Jakubas ; Kulpińska Piotr Minias. Journal of Ethology. May 2015, Volume 33, Issue 2, pp 159–163
  6. The phylogenetic relationships and generic limits of finches (Fringillidae). Dario Zuccon , Robert Prys-Jones, Pamela C. Rasmussen, Per G.P. Ericson. Molecular Phylogenetics and Evolution 62 (2012) 581–596
  7. Illustrated checklist of the birds of the world. Volume 2. Passerines. Lynx Ed. 2017

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le gros-bec
Page(s) : 453 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez le Verdier
Page(s) : 454 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez tous les Fringillidés de France
Page(s) : 440-454 Le Guide Des Oiseaux De France