Cynoglossum officinale

La cynoglosse officinale, présente une nette toxicité du fait de la présence dans ses organes d’un mélange d’alcaloïdes pyrrolizidines (voir la chronique sur les usages humains de cette plante) qui ont des propriétés cytotoxiques avérées. La production de telles substances, qui représente un certain coût énergétique pour la plante, doit procurer une défense contre les attaques des animaux herbivores pour avoir été sélectionnée et retenue au cours de l’évolution. Effectivement, sur le terrain, on constate que la cynoglosse est relativement peu affectée par la consommation de ses feuilles ou de ses racines. En moyenne, moins de 10% de la surface des feuilles se trouve affectée par des attaques d’herbivores ce qui est un bon résultat.

Mais ces alcaloïdes sont-ils réellement efficaces et contre qui exactement et comment la plante mobilise t-elle ces défenses chimiques ?

Contre les « grands herbivores » ?

Dans plusieurs pays où la cynoglosse a été introduite et est devenue envahissante (dont le Canada et les U.S.A.), un des problèmes majeurs induits concerne l’empoisonnement du bétail. Ceci a lieu surtout à la faveur de la consommation de plantes sèches mélangées à du foin car, naturellement, les animaux ne la broutent que très peu à cause de son odeur forte (voir chronique sur le folklore de la cynoglosse). Sur des veaux, on a observé les premiers symptômes moins d’une demi journée après l’ingestion avec diarrhée et attaques nerveuses. On cite aussi le cas de quatre vaches mortes en deux jours après l’ingestion ou de dix chevaux ; ils présentent une détérioration caractéristique et rapide du foie. On sait aussi que naturellement les lapins ne broutent pas cette plante qu’ils côtoient pourtant souvent près de leurs terriers.

Les alcaloïdes de la cynoglosse constituent donc bien une barrière efficace contre la consommation du feuillage par des mammifères herbivores et il se pourrait que l’odeur particulière soit un signal avertisseur sélectionné pour éviter la consommation.

Et les « petits » ?

On a recensé pas moins de 70 espèces d’insectes susceptibles de s’en nourrir dont au moins cinq espèces spécialisées (qui ne se nourrissent que sur la cynoglosse), valeur paraissant a priori élevée mais loin de celle atteinte chez d’autres plantes plus « appétentes ». Parmi ces spécialistes figurent au moins deux espèces de charançons dont Mogulones crucifer ,noir taché de blanc ; il a été utilisé au Canada depuis 1997 comme agent de lutte biologique pour limiter l’invasion de la cynoglosse dans les pâturages ; les résultats ont été concluants sauf qu’aux U.S.A. proches, ce même charançon est désormais banni car il peut s’attaquer à des espèces locales indigènes !

cynotoxique-charancon

Fiche technique d’après (5)

Des expériences menées avec différentes espèces d’insectes herbivores ont montré que les alcaloïdes s’avèrent nettement répulsifs envers les espèces généralistes (de loin les plus communes) : de faibles concentrations de ces substances suffisent à les détourner. Les parties les plus évitées sont les fleurs et les fleurs, très riches en alcaloïdes mais qui ne concernent que les plantes fleuries. Qu’en est-il des feuilles et notamment celles des rosettes qui sont capitales dans le cycle de vie de la plante en lui permettant d’atteindre la taille suffisante pour accéder à la floraison (voir la chronique sur le cycle de vie de la cynoglosse) ?

Une protection ciblée

On constate que les plus jeunes feuilles des rosettes, les dernières apparues au centre, ne reçoivent pratiquement aucune attaque de la part d’insectes généralistes. Une analyse chimique montre qu’elles contiennent jusqu’à 190 fois plus d’alcaloïdes que les feuilles plus âgées en culture sous abri et jusqu’à 60 fois plus en conditions naturelles ; ces alcaloïdes représentent plus de 2% du poids de matière sèche des jeunes feuilles contre 0,6% pour les feuilles adultes. Au cours de leur vieillissement, les feuilles voient leur taux d’alcaloïdes diminuer et il semble qu’en fait ces substances soient redirigées au fur et à mesure vers les nouvelles feuilles. La plante concentre ses défenses sur les feuilles les plus vitales : les feuilles centrales des rosettes car les plus actives en terme d’assimilation (donc les plus aptes à permettre une croissance plus rapide) et qui mobilisent le plus de ressources alimentaires pour leur croissance (donc les plus coûteuses).

Par contre, lors d’attaques de super-spécialistes comme le charançon déjà cité, les larves (capables de « digérer » ou contourner ces substances en les stockant comme moyen de défense pour elles-mêmes) consomment préférentiellement … les jeunes feuilles qui sont les plus riches en azote, substance essentielle aussi pour la croissance des larves (fabrication de protéines). Dans ce cas, les concentrations élevées d’alcaloïdes deviennent au contraire des stimulants qui indiquent « par ici la bonne feuille » !

La cynoglosse se trouve donc prise en étau entre les attaques des uns et des autres et le coût potentiel de fabrication de ces substances : trop d’alcaloïdes attire encore plus les spécialistes et s’avère improductif pour les généralistes bloqués par de petites valeurs et vice versa ! Des analyses à l’échelle de populations indiquent que la concentration d’alcaloïdes pour les jeunes feuilles peut varier de 0,25 à 2,1% du poids de matière sèche ; une part de cette variation est héréditaire. Avoir les concentrations les plus fortes n’est donc pas forcément la réponse optimale et n’est pas systématiquement sélectionné.

L’astuce des défenses induites

Pour cette espèce à cycle « bisannuel », la survie des rosettes est cruciale ; une plante sérieusement abimée à ce stade va végéter et ne réussira pas à atteindre la taille requise pour fleurir l’année suivante et donc assurer la descendance et transmettre ses gènes. Sous cette pression sélective, une voie supplémentaire a été sélectionnée : la réponse modulée uniquement en cas d’attaque. 24 heures après une attaque d’herbivore, la concentration peut doubler dans une feuille et on peut atteindre des valeurs 4 fois plus élevées. La plante redistribue ses alcaloïdes vers les zones attaquées, la transmission pouvant se faire entre racines et pousses dans les deux sens selon l’attaque.

On peut aussi s’interroger sur l’intérêt évolutif pour cette plante de fabriquer autant de sortes d’alcaloïdes (pas moins de 14) : y a t’il des effets synergiques entre alcaloïdes différents qui amplifierait leur action ? Est-ce que çà diminue les probabilités d’adaptations d’herbivores (comme les charançons) ? Certains de ces alcaloïdes ne protègent-ils pas aussi contre d’autres organismes tels que des agents pathogènes du type champignons ?

Bref, il reste encore beaucoup à découvrir à propos de cette interaction cynoglosse/insectes herbivores ; c’est le côté passionnant de la recherche : ouvrir sans cesse de nouvelles « boîtes de Pandore » à explorer !

Gérard GUILLOT. Zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. THE “ RAISON D ’ÊTRE” OF PYRROLIZIDINE ALKALOIDS IN Cynoglossum officinale: DETERRENT EFFECTS AGAINST GENERALIST HERBIVORES. NICOLE M. VAN DAM, LUCIENNE W.M. VUISTER,CORA BERGSHOEFF,HELENE DE VOS and
ED VAN DER MEIJDEN. Journal of Chemical Ecology, Vol. 21. No. 5, 1995
  2. EXTREME DIFFERENCES IN PYRROLIZIDINE ALKALOID LEVELS BETWEEN LEAVES OF CYNOGLOSSUM OFFICINALE. Nicole M. van Dam, Robert Verpoorte and Ed van der Meijden. Phytochemistry, Vol. 37, n° 4, pp. 1013-1016 ; 1994
  3. Induced chemical defenses in invasive plants: a case study with Cynoglossum officinale L. Sanford D. Eigenbrode, Jennifer E. Andreas, Michael G. Cripps, Hongjian Ding, 
Russell C. Biggam, Mark Schwarzlander Biol Invasions (2008) 10:1373–1379
  4. Genetic variation in constitutive and inducible pyrrolizidine alkaloid levels in Cynoglossum officinale L. Nicole M. van Dam- Klaas Vrieling. Oecologia (1994) 99 : 374-378
  5. Photos de charançon de la cynoglosse prises sur la fiche technique publiée sur le site http://oregonstate.edu/dept/nurspest/Mogulones_Cruciger.pdf

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la cynoglosse officinale
Page(s) : 408-409 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez la cynoglosse officinale
Page(s) : 65 Guide des Fleurs des Fôrets