Mammuthus primigenius

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Avec la disparition des dinosaures (non aviens !), l’extinction des mammouths laineux reste un des épisodes les plus médiatisés de l’histoire de la vie sur Terre. Jusqu’aux années 1990, on pensait que la majorité des mammouths laineux avait disparu entre 14 000 et 13 200BP avec peut-être quelques populations relictuelles continentales dans le nord-est de la Sibérie jusque vers 10 500BP. Cette vision a brusquement changé avec la découverte de squelettes de mammouths sur des îles isolées autour du détroit de Béring et dont la datation a révélé qu’ils y avaient survécu jusque vers 3700BP. Sur l’une de ces îles (1), on vient d’analyser plus en détail le contexte climatique et écologique qui y régnait alors ce qui permet de suivre presque pas à pas la longue « agonie » d’une espèce au bord de l’extinction mais toujours présente ! En route donc vers un passé pas si lointain qui, au final, va nous apporter des éclairages sur les extinctions à venir dans notre présent-futur avec le changement climatique en cours.

Attention : tous les âges et dates indexés BP (Before Present) signifient « avant le 1er janvier 1950 », date de référence pour les datations au carbone 14 ce qui fait un écart avec les dates historiques « avant J.C. » de près de deux millénaires !

Le radeau de la Méduse des Mammouths

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L’archipel des Pribilof dans la mer de Béring au large de l’Alaska

A près de 300km au sud de la pointe méridionale de l’Alaska et à 300km au nord des îles Aléoutiennes, dans la mer de Béring, se tient l’archipel volcanique des Pribilof avec deux petites îles principales, Saint-Georges et Saint-Paul. C’est sur cette dernière (1) d’une surface d’à peine 110 km2 et ne dépassant pas 200m d’altitude, que l’on a retrouvé des restes osseux de mammouths. En 2008, des datations menées sur cinq squelettes indiquaient 6480BP comme dernière date de présence avérée (autrement dit l’âge du plus récent des 5 squelettes). Une équipe américaine pluridisciplinaire de seize chercheurs a entrepris une étude approfondie sur cette île avec notamment un prélèvement d’une carotte de sédiments sur le petit lac central d’eau douce de cette île ; toute une batterie d’indicateurs biologiques y ont été analysés et quantifiés : daphnies (minuscules crustacés vivant en eau libre) ; diatomées (algues brunes microscopiques) ; spores de champignons coprophiles (qui se développent dans le « crottin ») ; pollen et restes de plantes ; isotopes stables d’oxygène et de carbone et datations au carbone 14 ainsi que de nouvelles datations sur d’autres os de mammouths. En croisant tous ces résultats, on peut ainsi dresser un scénario relativement précis de ce qui a du se passer sur cette île au cours des 15 000 dernières années.

Une île idéale pour les paléontologues

Cette île, outre évidemment la présence tardive de mammouths, présente plusieurs avantages majeurs qui permettent d’écarter d’emblée diverses hypothèses quant aux causes de leur extinction. D’abord, on connaît de manière précise l’évolution de son paysage : l’archipel est apparu entre 14700 et 13500BP suite à la forte remontée du niveau de la mer marquant le début de la période postglaciaire, laquelle a submergé le vaste pont terrestre qui s’était créé entre Sibérie et Alaska (Beringia). La surface de l’île s’est donc constamment rétrécie jusque vers 9000BP où elle a presque atteint sa taille actuelle ; le niveau a ensuite continué à très légèrement monter jusque vers 6000BP. Cette île était donc inaccessible depuis au moins 10 000 ans.

Tout indique que cette île n’a jamais été colonisée par l’Homme avant les années 1780 et le débarquement des premiers baleiniers et chasseurs d’otaries à fourrure. Ceci permet de l’exclure comme cause d’extinction via la chasse comme cela est supposé en partie sur le continent. La compétition avec d’autres mammifères est exclue aussi car à part des renards polaires, il n’y a pas eu d’autres mammifères (et des rennes introduits depuis 1911). Même pour les ours polaires, on ne trouve pas de traces de passage antérieures à la présence des mammouths. On ne détecte pas non plus de trace d’éruption volcanique sous forme de retombées de cendres et de débris au cours de cette période : l’île se situe dans une zone volcanique très active (la « ceinture de feu du Pacifique ») avec des éruptions explosives majeures très dévastatrices, même à distance. La végétation de type toundra à mousses et herbes est restée stable même si une certaine baisse de pollen indique peut-être une baisse progressive de la productivité.

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L’Homme a activement chassé les mammouths au moins en Eurasie ; ici, une cabane en os de mammouths reconstituée d’après le site de Gontzy en Ukraine (14500BP) (exposition au MNHN ; Paris)

Que reste t’il alors pour expliquer l’extinction de ces mammouths insulaires ?

Une cause inattendue

Toues les données réunies convergent de manière très fiable pour dater la disparition définitive des mammouths sur Saint-Paul à 5600+/_ 100 BP. On trouve un premier indice d’un déclin progressif de la population à travers les spores de champignons associés au crottin : leur présence diminue régulièrement entre 9000 et 5650BP. Une preuve de la fiabilité de cet indicateur (un proxy comme disent les scientifiques) est démontrée par sa remontée après l’introduction des rennes au début du 20ème siècle !

L’analyse des sédiments du lac de l’île révèle une curieuse évolution entre 7850 et 5600BP: une baisse continue du niveau de l’eau, une turbidité croissante et la prépondérance croissante d’une espèce de daphnie associée à des eaux plus salées. Par contre, aussitôt après 5600BP (et donc la disparition définitive des mammouths) on observe un rapide déclin de cette même espèce de daphnie, le retour des diatomées planctoniques et des daphnies pélagiques ainsi que d’un régime de sédimentation nettement moins riche en éléments terreux.

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Extrémité de membre avec son pelage remarquable adapté à la protection contre le froid

Comment interpréter ces données ? Il faut se tourner vers un modèle actuel, les éléphants d’Afrique pour comprendre : chaque jour, ils doivent boire entre 70 et 200 litres d’eau et demandent une eau relativement claire ; pour l’obtenir, ils peuvent creuser des trous près des marigots pour laisser l’eau sourdre et boire ainsi une eau plus filtrée. Or, les mammouths, avec leur revêtement laineux et leur physiologie extrême tournée vers la rétention de la chaleur, se sont trouvés, avec la phase de réchauffement postglaciaire, dans une situation où leurs besoins en eau ont du croître encore plus. Le manque d’eau douce serait donc la cause principale de leur extinction ! Mais pourquoi l’eau douce est-elle venue à manquer ?

De grands changements

Entre 8000 et 5300BP, on a la preuve d’une aridité croissante observée ailleurs en Alaska, typique des climats périglaciaires avec très peu de neige (une autre cause de disparition qui peut d’ailleurs être exclue au passage !). D’autre part, la hausse continue du niveau de la mer (voir ci-dessus) a réduit sans cesse la surface de l’île, éliminant des lagunes côtières d’eau douce et faisant remonter de plus en plus la nappe d’eau salée sous l’île. Il n’y avait en fait sur cette île que le lac central étudié et quelques autres petits points d’eau ; la concentration des mammouths autour de ces lieux a conduit au piétinement et à la destruction de la végétation des berges d’où une érosion accrue de terre vers le lac ; avec la baisse du niveau, l’eau douce s’est chargée en boue et en sel pendant que le fond se colmatait ; la qualité de l’eau n’a donc cessé de se dégrader ! Les mammouths auraient donc ainsi participé indirectement à créer des conditions favorables à leur disparition !

Cet exemple montre en tout cas que de petites populations de grands animaux peuvent subsister, en l’absence de pression humaine directe, et persister plusieurs milliers d’années ; il pointe aussi l’importance de la ressource en eau douce comme facteur clé pour la survie de telles populations.

Retour vers le futur

L’aridité croissante, le niveau des mers qui monte, …. tout ceci ne vous évoque pas une histoire toute contemporaine ? Ce contexte rappelle furieusement ce qui est en train de se passer avec le réchauffement global accéléré en cours : instabilité climatique et aridité croissante localement et îles qui commencent à être grignotées par la montée des eaux ! Ainsi, on peut penser que la raréfaction de l’eau douce sur nombre d’îles risque de devenir un réel problème au moins pour les grands animaux persistant dans ces milieux ; on n’avait pas pensé à cet aspect auparavant ! Les hommes peuvent aussi s’inclure dans ce scénario : le manque d’eau potable sur les petites îles risque de devenir un problème majeur quand ce n’est pas déjà le cas à cause entre autres du développement touristique. D’aucuns diront que ce n’est pas grave : on sait dessaler l’eau de mer ; sauf que ce procédé reste très gourmand en énergie et qu’il a des répercussions sur l’écosystème marin. La leçon des derniers mammouths de Saint-Paul devrait nous faire un peu plus réfléchir !

Le grand repli

Pour mieux comprendre cette fin tragique sur des îles, il faut rapidement revoir le contexte général qui s’est bien précisé au cours des dernières décennies (2, 3). On sait que le déclin des mammouths s’inscrit dans un contexte de changement global de végétation avec la disparition d’une formation végétale très riche en graminées notamment et aujourd’hui sans équivalent, la steppe-toundra qui a laissé place à la végétation arctique actuelle plus riche en petits ligneux. Entre 12500 et 8000BP, les mammouths vont se retrouver concentrés sur des zones marginales libérées par la fonte des glaciers mais simultanément rongées par la montée des eaux ; son aire s’est contractée vers le nord-est en Sibérie notamment. Dans la péninsule de Taïmyr par exemple, les mammouths ont subsisté au moins jusqu’en 9500BP ; la pointe de la Sibérie ou Tchoukotka en aurait hébergé jusque vers 8000BP. De même en Alaska, on a la preuve qu’ils ont persisté plus tard qu’on ne pensait : au moins jusque vers 10 500BP, soit après l’arrivée des premiers hommes. Il n’est pas impossible que dans un futur proche, on ne découvre des sites continentaux ayant hébergé des mammouths encore plus récemment. Toute cette région a donc fonctionné comme un dernier refuge pour les mammouths ; c’est de là qu’ils ont pu gagner les fameuses îles, ultime repli !

Les tout derniers des mammouths

En introduction, nous avons mentionné la date de 3700BP pour la survie des tout derniers mammouths : çà s’est passé sur une autre île beaucoup plus grande (8000 km2), Wrangel au nord de la Sibérie, à 140km des côtes et elle aussi non colonisée par les Hommes. Plus de 124 datations montrent que des mammouths y ont vécu entre 9000 et 3700BP. L’île s’est trouvée isolée complètement à partir de 9000BP : les mammouths ont donc colonisé cette île depuis le refuge sibérien mentionné ci-dessus et ont réussi à y survivre là pendant près de 5000 ans, alors que la végétation avait pourtant bien changé ! L’observation des molaires avait conduit à premier temps à considérer qu’il s’agissait en plus d’une population presque naine, ce qui expliquait sa survie aussi longue. Mais les analyses plus récentes (3) des os longs montrent que si ils étaient un peu plus petits que les mammouths continentaux, ils n’étaient en rien des formes naines. La taille moyenne avait sans doute commencé à baisser un peu au cours de la phase de contraction de l’aire originelle. Signalons au passage que contrairement à une idée reçue les mammouths étaient à peu près de la taille des éléphants d’Afrique actuels et pas des « super-géants » !

Bizarrement aussi, les mammouths semblent avoir été les derniers grands mammifères à persister sur cette île : chevaux, bisons, bœufs musqués et rhinocéros laineux ont disparu de l’île bien avant ! Décidément, ces mammouths étaient bien plus coriaces qu’on ne pensait !

De toute cette histoire, retenons cette image fictive, véritable parabole pour l’homme et sa folie : celle des derniers mammouths piétinant les berges de leur dernier point d’eau devenu un marigot boueux et en train de mourir de soif  sur une île, la plus au nord qu’ils avaient pu trouver dans leur repli!

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Cette fois, c’en est bien fini des mammouths !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Timing and causes of mid-Holocene mammoth extinction on St. Paul Island, Alaska. R.W. Graham et al. 9310–9314 ; PNAS ; 2016 ; vol. 113 ; no. 33
  2. Ancient DNA reveals late survival of mammoth and horse in interior Alaska. James Haile et al. 22352–22357 ; PNAS ; 2009 ; vol. 106 ; no. 52
  3. Collection of radiocarbon dates on the mammoths (Mammuthus primigenius) and other genera of Wrangel Island, northeast Siberia, Russia. Sergey L. Vartanyan et al. Quaternary Research 70 (2008) 51–59

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'histoire glaciaire de l'Europe
Page(s) : 472-487 Guide critique de l’évolution