Lactuca serriola

laitue-panorama

La laitue-boussole ou laitue sauvage, une des ancêtres de la laitue cultivée, est une espèce très commune dans toutes sortes d’environnements perturbés par les activités humaines et qui connaît une nette expansion (voir chronique sur son expansion). Parmi les raisons de son succès et de ses capacités d’adaptation figurent ses feuilles, outils multifonctions avec plusieurs singularités surprenantes.

Une rosette pour commencer

Les graines libérées en fin d’été avec la mort de la plante entière (cycle annuel) germent pour donner naissance en automne à une rosette de feuilles d’un vert tendre qui va passer l’hiver. A ce stade, elles ressemblent à de nombreuses autres espèces plus ou moins proches comme les laiterons par exemple ; elles se reconnaissent à leur consistance relativement molle et souple, leur forme ovale-arrondie à allongée avec des bords plus ou moins ondulés et dentés et faiblement épineux ; le caractère distinctif infaillible se trouve sous la feuille : des épines blanches arment la nervure centrale proéminente. On peut alors la cueillir comme salade sauvage à condition de ne pas craindre le goût fort et piquant et de ne pas attendre le début de la croissance au printemps car elle prend alors odeur plus forte désagréable. En Haute-Provence, on la surnommait la doucette (l’autre nom des mâches sauvages ou valérianelles) dont elle est loin d’atteindre la finesse !

L’avantage de la rosette hivernale, c’est de pouvoir démarrer la croissance rapidement en s’appuyant sur la racine pivotante élaborée en automne à partir des feuilles et prendre de vitesse au printemps les autres annuelles à cycle estival et de grande taille.

Le latex, çà protège … des herbivores

Comme de nombreuses autres astéracées ou composées, les feuilles coupées ou cassées (et les tiges) laissent échapper un abondant « lait » blanc âcre et qui coagule au contact de l’air du fait de la présence de caoutchouc naturel (cis, 1-4 polyisoprène). Ce latex produit dans des cellules particulières (laticifères) constitue une protection naturelle contre les insectes herbivores tant à cause de sa relative âcreté (même si celui de la laitue-boussole reste modeste à ce niveau, comparé à celui par exemple de sa proche cousine sauvage, la laitue vireuse) et de sa capacité à engluer tout animal qui tente de manger la feuille et libère le latex.

Comme toujours, quelques espèces ont réussi à contourner cet obstacle comme la chenille verte à bandes claires d’un papillon nocturne, la fausse-arpenteuse du chou (Trichoplusia ni) : elle coupe les poils épineux sous la nervure centrale puis tranche profondément cette dernière dans le haut puis dans le bas de la feuille ; quand la feuille s’est « vidée » de son latex, la chenille peut la consommer tranquillement

Des feuilles variables

Au printemps, la rosette va élaborer de puissantes tiges qui se couvrent de feuilles (feuilles caulinaires) alternes, d’un vert bleuté bien différent du vert gai des rosettes. Elles sont très diverses en taille, en découpure des lobes plus ou moins profonds, en nombre d’épines, … , diversité qui témoigne des capacités d’adaptation de cette espèce. On remarque notamment que les plantes des milieux plus secs ont des feuilles plus grandes par exemple.

Néanmoins, on distingue dans cette diversité deux grands types de feuilles qui correspondent à deux « formes » extrêmes avec peu d’intermédiaires : soit les feuilles sont nettement lobées (forme serriola) et dentées, soit elles sont entières à très peu lobées et à lobes peu marqués (forme integrifolia). Le plus souvent, dans une population donnée, une forme domine ce qui témoigne du déterminisme génétique de ce caractère contrôlé par deux ou trois gènes dominants complémentaires. Apparemment, les deux formes ont au final la même surface foliaire et la même capacité à utiliser l’eau du sol ; ceci laisse à penser que le degré de découpure doit procurer un certain autre type d’avantage non identifié différent selon l’environnement.

Un sens certain de l’orientation

L’autre caractéristique majeure des feuilles de la tige concerne leur disposition : le plus souvent (la plante doit être dans une situation ensoleillée), les feuilles adultes adoptent une position très curieuse : tordues à leur base (feuilles sessiles, i.e. sans pétiole), elle se retrouvent disposées dans un plan vertical nord-sud et exposent donc leurs deux faces planes (dessus/dessous) vers l’est et l’ouest. Ceci lui vaut ce fameux surnom très justifié de laitue-boussole (compass plant en anglais) et s’applique aux deux formes de feuilles mentionnées ci-dessus. La torsion se réalise au stade jeune de la feuille par une croissance différenciée entre le dessus et le dessous (mouvement épinastique) et en réponse directe à l’ensoleillement (une plante à l’ombre conserve des feuilles horizontales, « normales »). Cette disposition confère à la laitue sauvage une architecture bien particulière et unique dans notre flore !

Est-Ouest : quel avantage ?

Une telle disposition orientée ne manque pas d’interroger quant à sa fonction et à l’avantage qu’elle doit procurer pour avoir ainsi été sélectionnée au cours de l’évolution.

Les feuilles ainsi disposées ne reçoivent un ensoleillement maximal que tôt le matin et en fin de journée et évitent ainsi une part du pic d’ensoleillement au zénith. On a donc d’abord pensé que cela protégeait les feuilles des « excès » d’exposition au soleil qui provoque une surchauffe et pourrait abîmer la chlorophylle ; effectivement, des feuilles horizontales placées en plein soleil connaissent un sur-échauffement de 3 à 6°C par rapport aux feuilles verticales.

Une étude menée en 1986 (1) a cherché à préciser l’effet induit en forçant des feuilles à rester horizontales sur des plantes en pot et en comparant le devenir de ces plantes avec celles aux feuilles verticales. Le principal effet observé se manifeste par des pertes en eau plus rapides sur les feuilles horizontales ; or, quand le sol devient sec, les plantes ferment leurs stomates des feuilles pour éviter de se dessécher plus ce qui, par contre, les empêche de faire la photosynthèse puisque vapeur d’eau rejetée et dioxyde de carbone passent par les stomates, ces micro-ouvertures des feuilles. Ainsi, l’orientation verticale des feuilles améliore la survie dans les habitats secs ou en période sèche. Cela se répercute sur la production de fleurs et de fruits qui sera de ce fait plus ou moins importante.

On pourrait penser que les feuilles verticales induisent une baisse de la photosynthèse puisque c’est au moment où il y a le plus de lumière que les feuilles en reçoivent le moins ! Des calculs montrent qu’en fait la perte est très limitée : 8% de radiations solaires utilisables en moins par rapport à des feuilles horizontales. Par contre, si les feuilles étaient tordues mais avec les faces planes orientées nord/sud la baisse serait alors de 65%.

Les feuilles de la laitue boussole ont donc bien acquis un bon sens de l’orientation permettant de réduire les pertes en eau sans souffrir d’une baisse de la photosynthèse !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Effect of nonrandom leaf orientation on reproduction in Lactuca serriola L. K.S. Werk ; J. Ehleringer. Evolution, volume 40, Issue 6 (Nov. 1986), 1334-1337
  2. The biology of Canadian weeds. 122. Lactuca serriola L. S. E. Weaver and M. P. Downs. CANADIAN JOURNAL OF PLANT SCIENCE. 2003

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la laitue boussole
Page(s) : 146-147 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez la laitue boussole
Page(s) : 254-255 Guide des plantes des villes et villages