Lactuca serriola

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Au cours des deux derniers siècles, de nombreuses espèces de plantes sauvages ont connu une très forte expansion de leur aire naturelle en Europe ; parmi les causes invoquées figurent le changement climatique en cours induit par les activités humaines mais aussi ces mêmes activités qui ont transformé les environnements. Il reste souvent difficile voire impossible de faire la part de l’importance du rôle joué par l’un ou l’autre. L’exemple de la laitue boussole qui vient de faire l’objet d’une mise au point intéressante (1) éclaire un peu ces questions.

Portrait écologique d’une colonisatrice

La laitue boussole se classe dans le vaste groupe des rudérales qui recherchent des sols enrichis en matières nutritives ; elle croît dans toutes sortes d’habitats perturbés régulièrement par les activités humaines et: bords des routes et talus, friches, terrains vagues, décharges, voies de chemin de fer, bordures des champs cultivés, jachères, , cultures, zones urbaines …. Elle recherche les microsites chauds et ensoleillés et ne craint pas trop la sécheresse : ceci trahit ses origines méditerranéennes anciennes. Elle a besoin de sites ouverts, fraîchement perturbés ; dès que la végétation environnante évolue vers des stades plus fermés, elle disparaît.

Ses traits de vie la prédisposent à se comporter en colonisatrice : un cycle annuel court avec germination en automne et hivernage sous forme de rosette (voir chronique sur les feuilles performantes de la laitue boussole) ; une production très abondante de graines avec une forte capacité à l’autofécondation (de 100 à 200 000 graines par plante selon la hauteur) ; une bonne capacité de dispersion par le vent grâce aux fruits-parachutes ; une germination rapide dès la fin de l’été et des graines capables de rester viables jusqu’à 3 ans dans le sol ; …..

Au cours du siècle dernier surtout, la laitue boussole a donc connu une forte expansion à travers toute l’Europe et tout particulièrement vers le Nord ; jusqu’au milieu du siècle dernier, on avait remarqué que sa répartition suivait souvent des limites très « tranchées » comme si l’espèce butait sur une barrière infranchissable à ce moment-là. Ceci évoque évidemment un facteur limitant d’ordre climatique et pointe vers un rôle majeur du réchauffement climatique.

L’irrésistible expansion vers le nord

Partant de cette hypothèse climatique, une équipe franco-suisse (1) a entrepris une reconstitution historique de la progression de la laitue boussole à l’échelle de toute l’Europe centrale et du nord. Les chercheurs se sont appuyés sur les données collectées dans la littérature botanique et aussi dans les herbiers ; ils ont ainsi pu élaborer des cartes de répartition sur des pas de temps de trente ans depuis 1820.

Au 18ème siècle, la laitue boussole était une espèce peu commune et localisée dans la moitié sud. La colonisation généralisée de l’Europe a commencé vers la fin du 18ème siècle et au tout début du 19ème comme en témoignent les premières mentions historiques : 1765 en Belgique (et très peu de données jusqu’en 1820) ; 1830 dans le sud-est de l’Angleterre ; 1828 en Suède ; 1881 au Danemark ; 1819 en Autriche ; etc.

En Grande-Bretagne, la colonisation commence donc par le sud-est (ce qui laisse supposer une arrivée depuis la France) au milieu du 19ème ; à la fin de ce siècle, elle a conquis l’est et le nord-est ; au début du 20ème, elle entame son expansion vers l’ouest avant de coloniser le sud-ouest (resté jusqu’alors hors d’atteinte) et le centre ; l’Ecosse est atteinte en 1967. A partir de 1950, on note une accélération du processus avec une explosion des populations (notamment suite à l’été caniculaire de 1976). Ce n’est qu’à partir de cette époque qu’elle dépasse l’altitude plafond de 100m en dessous de laquelle elle était cantonnée auparavant.

En Allemagne, la première mention remonte à 1761 ; elle est déjà bien répandue dès 1800 ; ensuite, elle va augmenter en abondance en progressant du sud vers le nord ; la colonisation est totale dès le début du 20ème siècle. Le cas de la Suède est tout particulièrement intéressant. La colonisation s’amorce dès le début du 18ème par la côte ouest ; entre 1851 et 1880, elle se propage vers la mer Baltique mais reste en dessous de 100m ; de 1881 à 1910, elle progresse et atteint le centre de la Norvège en 1906 ; de 1910 à 1940, la progression continue et elle passe au-dessus de 100m d’altitude. Enfin, de 1940 à 2000, elle va progresser sur plus de 700 km vers le nord en suivant la côte suédoise de la Baltique. Terminons avec l’exemple des Pays-Bas (2) : rare avant 1950, elle n’était recensée que dans 80 mailles géographiques de 5 X 5km ; en 1980, on la trouve dans 219 mailles, puis 546 en 1990 et 998 en 2000. Elle occupe désormais plus de 60% du pays !

Donc, si la colonisation ne date pas d’hier, elle est loin d’être achevée et l’espèce montre un dynamisme constant, voire croissant.

La part du climat

Une fois ces constats réalisés, il reste la délicate question de l’explicitation des causes. Comme cette espèce a fait l’objet par le passé d’une foule d’études physiologiques pointues sur ses exigences (cet intérêt étant lié à son statut d’ancêtre de la laitue cultivée), l’équipe franco-suisse a mis au point un modèle climatique basé sur sept des huit variables climatiques majeures qui l’affectent directement. Les projections proposées par le modèle coïncident avec la répartition de la laitue pour la période 1900-1970 : elle colonise bien les zones où le climat lui est devenu a priori favorable (températures douces ; étés secs et chauds, …). Elle suit bien alors le changement climatique amorcé avec notamment la progression jusqu’en Ecosse et en Suède.

Après 1970, le modèle montre un décalage : la laitue n’a pas colonisé de vastes zones pointées comme « devenues favorables » par le modèle notamment en Scandinavie et ce alors qu’on a connu les plus fortes augmentations de températures au cours des deux dernières décennies dans l’Hémisphère nord. Ceci suggère qu’elle pourrait étendre son aire très prochainement ou qu’elle a besoin d’un temps de délai, le temps de connaître des microévolutions sur place (voir ci-dessous). Peut être aussi que les données récentes sous-estiment sa répartition réelle car cette espèce hôte de milieux dégradés reste souvent négligée des observateurs naturalistes !

La part de l’Homme

Si l’Homme a déjà directement à voir avec le changement climatique, il a aussi dans le même temps profondément changé l’environnement global. Compte tenu des capacités de dispersion de la laitue par le vent, il apparaît que les voies de communication (routes, autoroutes et chemins de fer) constituent des voies royales de dispersion, des corridors linéaires qui facilitent la progression ; de nouvelles populations s’installent loin en avant, véritables « têtes de pont », produisent des graines qui de proche en proche vont coloniser les espaces vides : la progression se ferait donc désormais par bonds en avant puis expansion diffuse autour.

Les activités humaines (agriculture, chantiers, travaux routiers, ..) multiplient les perturbations favorables à l’installation de l’espèce : terres fraîchement remuées dépourvues un temps de végétation. L’enrichissement généralisé des sols en nitrates (y compris via la pollution atmosphérique) favorise encore plus cette espèce rudérale.

La part de la laitue

Pour clore cette passionnante saga, terminons avec cette observation réalisée aux Pays-Bas à propos de sa progression (voir ci-dessus) : les données accumulées montrent que la laitue boussole se trouve de plus en plus en compagnie de végétaux ligneux ; elle semble donc de moins en moins craindre la fermeture naturelle des milieux qui constituait jusqu’alors un frein sérieux à son expansion. La laitue, par microévolution (mutations sélectionnées mais aussi des échanges de gènes par hybridation avec des laitues cultivées) semble donc être en voie d’élargir sa niche écologique, prélude probable à une nouvelle reprise de son expansion.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Climate change, anthropogenic disturbance and the northward range expansion of Lactuca serriola (Asteraceae). Luigi D’Andrea, Olivier Broennimann, Gregor Kozlowski, Antoine Guisan, Xavier Morin, Julia Keller-Senften and Francois Felber. Journal of Biogeography: 2009
  2. Invasive behaviour of Lactuca serriola (Asteraceae) in the Netherlands: Spatial distribution and ecological amplitude. D.A.P. Hooftman, J.G.B. Oostermeijer, J.C.M. den Nijs. Basic and Applied Ecology. Volume 7, Issue 6, 1 November 2006, Pages 507–519

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la laitue boussole
Page(s) : 146-147 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez la laitue boussole
Page(s) : 254-255 Guide des plantes des villes et villages