Paeonia suffruticosa

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Séquence nostalgie : la pivoine en arbre qui a enchanté mon enfance ; une de mes racines !

C’est en voyant en ce tout début de printemps les somptueux boutons floraux juste entrouverts sur fond de feuillage teinté de rougeâtre d’une très vieille pivoine en arbre (elle a au moins soixante ans et n’a jamais cessé de fleurir !) dans le jardin de mon enfance en Berry que m’est venue l’idée de consacrer une chronique à cette plante si raffinée. Et à cette occasion j’ai pu ajouter une autre source d’émerveillement à son égard que j’ignorais : l’ancienneté de son histoire et de sa domestication.

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Sous ce terme général de pivoines en arbre, on regroupe la pivoine en arbre cultivée (P. suffruticosa) et ses hybrides, et huit espèces toutes arbustives et originaires du sud-ouest, du centre et du nord de la Chine et qui composent la section dite Moutan (déformation du nom chinois mu dan) au sein du genre Paeonia, les pivoines (voir la chronique consacrée aux fleurs des pivoines à propos de leur répartition).

Doublement convoitées

En Chine, les pivoines en arbre sont très réputées comme médicinales depuis près de deux millénaires à cause de l’écorce séchée des racines (Moutan Cortex) utilisée dans les problèmes cardiovasculaires et sanguins. L’analyse chimique (1) confirme la présence de toute une panoplie de substances actives qui agissent en inhibant la coagulation du sang ou l’agrégation des plaquettes sanguines, ce qui explique l’effet bénéfique sur la circulation sanguine. Ceci leur a valu d’être frénétiquement récoltées et donc arrachées pour accéder à la partie active, ce qui a conduit au fil des siècles à la destruction complète de toutes les populations sauvages de deux espèces (P. cathayana et fend dan, P. ostii), à la quasi extinction d’une troisième (luan ye mu dan : P. qiui), à la raréfaction de quatre autres (dont la pivoine jaune, da hua huang mu dan, P. ludlowii ou zi ban mu dan, la pivoine de Rock, P. rockii) ; seule la pivoine de Delavay, dian mu dan, (P. delavayi) reste assez commune sur une vaste aire.

Mais les pivoines en arbre ont connu un autre engouement tout aussi fort en tant qu’ornementales sous le titre flatteur de « King of flowers » sous la dynastie Tang (entre 600 et 900 après J.C.), comme symbole de la prospérité et du bonheur. Sous la dynastie Song qui suivra, on en répertorie déjà plus de 200 cultivars. En 1903, sous la dynastie Qing finissante, elle sera consacrée comme fleur nationale, titre qu’elle perdra en 1929 en faveur du … prunier ! Actuellement, plus de 1000 cultivars modernes sont connus dans le pays !

Introduites très tôt au Japon, elles y ont aussi été sélectionnées avec plus de 200 variétés. En Europe occidentale, si les racines séchées étaient connues depuis longtemps comme remède, la plante elle-même n’arriva qu’à partir de 1787 depuis Canton sous la forme déjà largement transformée par des siècles de culture sur place, P. suffruticosa. Elle devint rapidement l’objet d’une véritable folie horticole. Dans les années 1880, on a introduit la pivoine de Delavay que l’on a rapidement croisé avec la précédente ce qui a donné une série d’hybrides, les pivoines de Lemoine, du nom de V. Lemoine (1823-1911) célèbre obtenteur de variétés horticoles dont des lilas ou des seringats.On a de plus développé une technique de greffage sur les racines de pivoines herbacées (dont la pivoine de Chine) ce qui permet d’accélérer la production de leurs propres racines qui prend en temps normal plusieurs années (ce qu’on appelle l’affranchissement). Plus de 2000 cultivars ont été ainsi crées hors de Chine avec un recours massif à l’hybridation y compris avec des espèces de pivoines herbacées appartenant à l’autre section Paeon dont la pivoine à fleurs de lait (hybrides Itoh).

Quels parents pour les pivoines cultivées ?

On a toujours supposé que les pivoines en arbre cultivées (nommées collectivement P. suffruticosa) résultaient de très anciennes hybridations en Chine entre certaines des huit espèces des pivoines arbustives sauvages locales. Mais lesquelles et dans quelle proportion ? Plusieurs études génétiques récentes ont tenté de reconstituer cette fascinante histoire dont la plus récente conduite par une équipe chinoise (2). Les chercheurs ont échantillonné les huit espèces sauvages et ont retenu une centaine de cultivars traditionnels anciens (sachant qu’une majorité des cultivars actuels résultent de croisements récents effectués après les années 1950) issus des deux centres historiques de la culture des pivoines en arbre : les provinces du Henan et du Shandong. A partir de marqueurs génétiques (des séquences d’ADN du noyau ou des chloroplastes des cellules), ils ont pu montrer que cinq des neuf espèces sauvages avaient effectivement été hybridées entre elles pour obtenir les cultivars traditionnels anciens. Or, ces cinq espèces se trouvent localisées dans le centre de la Chine, autour des centres historiques de domestication laquelle aurait commencé vers 770. Des poèmes anciens datant de plus de 1000 ans indiquent effectivement que dans la capitale d’alors du Henan (Luoyang), pratiquement chaque famille cultivait des pivoines arbustives dans son jardin, sans doute à partir de plants sauvages prélevés dans les montagnes environnantes. Une fois dans les jardins, ces espèces artificiellement rapprochées se seraient spontanément hybridées entre elles ce qui explique l’extraordinaire diversité des caractères obtenus : nombre et taille des fleurs, couleurs des pétales, présence ou absence de taches rouges à la base des pétales ou en couleur et hauteur des disques floraux (voir la chronique sur les fleurs des pivoines).

Les résultats indiquent que l’espèce P. cathayana aurait presque toujours servi de parent maternel (fournisseur de graines) alors que cette espèce n’est plus représentée actuellement à l’état sauvage que par …. un seul pied près de Luoyang. Les quatre autres espèces (P. rockii, P. ostii, P. qiui et P. jishanensis) ont servi de parents paternels (fournisseurs de pollen pour les croisements). Bizarrement, on arrive donc à une situation où le génome d’espèces sauvages pratiquement éteintes se retrouve « fossilisé » au sein de plantes cultivées mais mélangé avec d’autres génomes issus d’autres espèces !

Une seule domestication ?

Une équipe franco-chinoise s’est aussi penchée sur ce problème (3 : version non validée de l’article) en s’intéressant d’une part à la classique pivoine en arbre cultivée (P. suffruticosa,) mais aussi à une autre espèce beaucoup moins commercialisée, la pivoine de Rock (P. rockii) qui, en Chine a aussi été sélectionnée sous la forme de près de 200 à 300 variétés ; cette dernière se démarque par la présence à la base de ses pétales de marques rouge foncé (d’où son nom anglais de « flare tree-peony ») et aussi une plus grande adaptabilité avec un bon pouvoir de multiplication végétative.

Les chercheurs arrivent à la conclusion qu’il y aurait eu deux épisodes indépendants de domestication en Chine, dans des lieux différents, l’un à partir de la pivoine de Rock (avec donc des taches à la base des pétales) et l’autre à partir de l’espèce P. jishanensis. Ce serait l’un des rares exemples (avec celui de l’olivier) démontré d’une double domestication dans l’histoire d’arbres ou arbustes cultivés. Leurs résultats contredisent les précédents car ils avancent que les hybridations ont joué un rôle peu important du fait que la multiplication se faisait beaucoup de manière végétative. Cependant, le panel d’espèces sauvages échantillonnées ici est restreint à 3 espèces seulement. En tout cas, il souligne le rôle clé qu’aurait joué la pivoine de Rock et ses taches pourpres à la base des pétales.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Platelet anti-aggregatory and blood anti-coagulant effects of compounds isolated from Paeonia lactiflora and Paeonia suffruticosa. Yean Kyoung Koo, Jeong Mi Kim, Ja Yong Koo, Sam Sik Kang, KiHwan Bae, Yeong Shik Kim, Jin-Ho Chung, Hye Sook Yun-Choi. Pharmazie 65 (2010)
  2. Multiple species of wild tree peonies gave rise to the ‘king of flowers’, Paeonia suffruticosa Andrews. Proc. R. Soc. B 281: 20141687. Zhou S-L et al. 2014
  3. Independent domestications of cultivated tree peonies from different wild peony species. JUN-HUI YUAN, AMANDINE CORNILLE,TATIANA GIRAUD,FANG-YUN CHENG and YONG-HONG HU. Molecular Ecology (2013)

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les pivoines
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