Elasmucha grisea

La punaise du bouleau fait partie des quelques espèces de punaises avec un comportement maternel très développé sous la forme de la garde rapprochée des œufs et des jeunes au début de leur développement. La chronique « La punaise du bouleau, une vraie mère courage » détaille les modalités de ce comportement étonnant.

Une punaise chiche en œufs pondus

Contrairement à la majorité des punaises Pentatomes (punaises assez grandes au corps aplati à cinq côtés) qui pondent plusieurs centaines d’œufs par ponte déposés en paquets, la punaise du bouleau, comme les autres membres de sa famille (Acanthosomatidés), pond au maximum une cinquantaine d’œufs déposés en une seule ponte. Ce trait tient à une particularité anatomique : l’ovaire, organe producteur des ovules fécondés en œufs, comporte un nombre anormalement élevé de sous-unités ou ovarioles : 24 en moyenne contre 6 à 7 chez la majorité des autres grandes punaises. De plus, chacune de ces ovarioles ne produit souvent qu’un seul ovule. L’intérêt d’un tel dispositif est de permettre une maturation synchrone des ovules dans toutes les ovarioles en même temps (sinon, au sein d’une ovariole, elles mûrissent progressivement selon leur position au sein de l’organe) ; de ce fait, tous les œufs pondus vont éclore simultanément, ce qui rend possible la protection rapprochée de la mère sur les œufs puis sur les jeunes ; s’ils étaient de taille différente et si les œufs éclosaient de manière échelonnée, la mère ne pourrait assurer son travail de protection.

Une garde indispensable

Deux chercheurs scandinaves (2) ont suivi le devenir des pontes et des femelles de punaise de bouleau sur un printemps.Toutes les pontes dont on enlève artificiellement la femelle disparaissent complètement et dans les trois jours qui suivent, détruites essentiellement (dans cette étude) par les fourmis (très actives dans les bouleaux à la recherche des pucerons pour le miellat) et les perce-oreilles.

Les mêmes fourmis se montrent très agressives et attaquent même la femelle sur sa ponte ; celle-ci se défend jusqu’au bout, avec toutes les parades d’intimidation qu’elle peut mettre en action. Même quand elles se trouvent sur un arbre soumis à une forte fréquentation par les fourmis et donc à une forte pression de prédation, les femelles persistent jusqu’au bout gardant, non seulement les œufs mais aussi les jeunes pendant les deux premières semaines de leur développement.

Une partie des femelles disparaît probablement victime de ces attaques directes : 26% ont ainsi disparu pendant cette étude et avec elles leur descendance.

La descendance des punaises du bouleau ne peut donc pas survivre sans la protection maternelle et, inversement, la présence de la femelle assure un fort taux de succès à sa descendance avec très peu d’œufs perdus … si la femelle n’est pas tuée.

Taille de la ponte et taille de la mère

En s’appuyant sur la théorie de l’optimisation de la taille de la ponte aux capacités des parents d’en assurer les soins (théorie développée et connue surtout chez les oiseaux), ces mêmes chercheurs ont testé l’interrogation suivante : la femelle de la punaise du bouleau pond-elle autant d’œufs qu’elle peut en défendre ? Ils ont donc mesuré un certain nombre de femelles en situation de « couvaison » en prenant comme critère de taille la largeur du thorax entre les deux pointes arrière et compté le nombre d’œufs pondus et gardés. Plus il y a d’œufs, plus ils couvrent une surface importante sous la feuille choisie.

Les « petites » femelles (thorax large de 4,4mm) pondent moins d’œufs couvrant une surface moindre sur la feuille que les « grandes » (thorax de 4,6mm). Les grandes femelles gardent en moyenne 16% plus d’œufs que les petites. Il existe donc une corrélation nette entre taille des femelles et taille des pontes qui laisse à penser qu’il y a bien une optimisation de la taille de ponte.

Une expérience pour confirmer l’hypothèse

Les chercheurs ont sélectionné des grandes et petites femelles en position de garde d’oeufs ; une partie a servi de groupes de contrôle (sans intervention) et, pour les autres, ils ont opéré des échanges croisés : une grande femelle sur une grande ponte est déplacée sur une petite ponte gardée par une petite femelle et vice-versa ; ensuite, ils suivent le devenir de ces pontes manipulées au niveau de leur protection.

Les petites femelles installées sur des pontes de grandes femelles perdent plus d’œufs que les grandes femelles installées sur des petites pontes. Les petites femelles ne peuvent protéger efficacement des pontes trop importantes : il n’y a donc aucun bénéfice pour l’espèce à pondre plus d’œufs qu’elle ne peut en garder. La dépense d’énergie pour défendre plus d’œufs que la normale peut de plus épuiser plus rapidement la femelle et la mettre en danger. On retrouve une situation proche de celles des oiseaux nidifuges (les poussins naissent couverts de duvet et quittent le nid dès leur naissance) chez qui la taille de la ponte est limitée par le nombre d’œufs que la femelle peut couvrir et incuber efficacement.

elasmucha-nidifuge

Un exemple d’oiseau aux poussins nidifuges : le canard colvert dont les jeunes quittent le nid dès leur naissance.

Une autre stratégie possible pourrait consister en pontes de remplacement en cas d’échec ; or, chez la punaise du bouleau, si la ponte est détruite précocement, seules 11% des femelles refont une ponte. Cette solution ne constitue donc pas un recours efficace pour l’espèce sans doute faute de ressources énergétiques suffisantes.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Hémiptères de France. R. Garrouste. Ed. Delachaux et Niestlé. 2015
  2. Experiments with Elasmucha grisea L. (Heteroptera : Acanthosomatidae) : does a female parent bug lay as many eggs as she can defend ? J. Mappes ; A. Kaitala. Bahavioural Ecology. Vol. 5; n° 3 ; 2014.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le bouleau verruqueux
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