Orobanche

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Orobanches mineures dans un champ de trèfle

Parmi les plantes à fleurs, il existe environ 4100 espèces de plantes parasites réparties dans 19 familles différentes. Environ 12% d’entre elles sont des holoparasites, des « parasites complets» qui n’ont plus de chlorophylle (ou en très faible quantité) et dépendent entièrement de plantes hôtes pour assurer leur nutrition. Les autres sont des hémiparasites qui ont conservé leur chlorophylle et la capacité de faire la photosynthèse même si elles peuvent dépendre largement de l’hôte pour se nourrir.

Parmi les holoparasites, deux grands groupes sont suffisamment répandus pour être facilement observables : les cuscutes, plantes grimpantes qui parasitent les tiges des plantes (voir les chroniques consacrées à ces plantes) et les orobanches qui parasitent leurs hôtes sous terre au niveau de leurs racines. Cette chronique va détailler la technique des orobanches pour parasiter les racines.

Orobanches des champs

La majorité des 150 (environ) espèces d’orobanches vivent dans des milieux naturels et parasitent souvent seulement quelques espèces d’hôtes apparentées.

Mais il existe aussi un petit nombre d’espèces qu’on pourrait qualifier de généralistes, capables de parasiter des centaines d’espèces différentes et dont la plupart sont devenues de redoutables et redoutés parasites des cultures, responsables de pertes importantes en termes de rendements agricoles. Ceci explique l’engouement des chercheurs pour les orobanches car on recherche activement des solutions pour lutter contre ces concurrentes des grandes cultures. Les publications se comptent donc par dizaines avec des études génétiques et chimiques ou physiologiques très pointues.

C’est pourquoi notre présentation s’appuie très largement sur un remarquable article de synthèse paru très récemment (1) et centré donc sur cette petite dizaine d’espèces d’orobanches parasites des cultures. Autrement dit, ce que nous allons présenter ici ne peut probablement pas être généralisé à la majorité des espèces dans les détails même si les mécanismes généraux doivent être les mêmes. Il y a notamment la question de la spécificité des hôtes beaucoup plus étroite chez nombre d’espèces d’orobanches (voir la chronique sur l’orobanche du lierre) et qui suppose des mécanismes spécifiques eux aussi.

Des parasites sous pression

Etre holoparasite signifie dépendre entièrement de son hôte pour son alimentation en eau, en sels minéraux et matières carbonées issues de la photosynthèse chez l’hôte. Ce mode de vie « comme un champignon » (hétérotrophique) s’est accompagné au cours de l’évolution d’une forte réduction des organes normalement dédiés à la nutrition via la photosynthèse (autotrophie) : le système racinaire est réduit à quelques racines adventives très courtes assurant un ancrage minimal dans le sol et les feuilles deviennent des écailles éparses sur les tiges. Par contre, les organes reproducteurs ont été très peu impactés et les orobanches ont des fleurs « normales », tout au moins proches de leurs proches parents non parasites.

Pour prélever la nourriture dans l’hôte, toutes les plantes parasites quelles qu’elles soient disposent d’un type d’organe très spécifique appelé haustorium qui assure la fixation, puis la pénétration et l’invasion de l’hôte vers son système vasculaire où circulent les sèves (voir les chroniques sur les Cuscutes). La présence de ce genre d’organe chez des groupes de plantes non apparentés indique clairement qu’il est apparu plusieurs fois (au moins onze fois) de manière indépendante au cours de l’évolution des plantes à fleurs. Les haustoria des différents groupes de plantes parasites fonctionnent tous de la même manière mais différent par leur structure (ils ne sont pas homologues).

Les orobanches parasitant les racines, la jeune plantule née de la germination d’une graine devra être capable d’en trouver une, de se fixer dessus et d’établir vite une connexion pour se nourrir ; pour toutes ces étapes, elle ne devra compter que sur les réserves de la graine (très limitées car les graines des orobanches sont minuscules !). Aussi, cette initiation du parasitisme a t’elle subi une forte pression sélective qui a conduit à l’acquisition d’incroyables mécanismes sophistiqués vers notamment la capacité à trouver la plante hôte, à savoir si elle est en état de nourrir un parasite gourmand et à choisir le bon moment pour l’envahir. Ce processus se déroule en cinq grandes étapes que nous allons maintenant parcourir : ce sont les « cinq leçons » évoquées dans le titre. Tout ce qui va suivre se passe donc sous terre à l’abri des regards et ne pourra guère être illustré !

1-Réveiller les graines

Les minuscules graines des orobanches (moins de 0,5mm) sont produites en très grand nombre par la reproduction des fleurs ; dispersées à grande distance par le vent, elles se déposent à terre mais ne peuvent germer immédiatement car elles sont dormantes, i. e. que leur capacité à germer est inhibée de l’intérieur. En laboratoire, on sait lever cette dormance (c’est l’expression scientifique pour la levée d’inhibition) en plaçant les graines 4 à 12 jours à une température de 19-23°C, avec un sol humide et enfouies à l’abri de la lumière. Dans la nature, ces conditions se trouvent réunies au printemps quand les jeunes plantes hôtes sont en plein développement et plus faciles à parasiter qu’en été par exemple où la reproduction mobilise plus fortement les ressources vers l’hôte. Cette phase de conditionnement active des récepteurs présents dans les graines et prépare de ce fait la seconde étape : la capacité à détecter dans le sol la présence de la plante hôte via sa signature chimique (voir paragraphe suivant).

Ce conditionnement s’accompagne d’une forte reprise de l’activité physiologique de la graine avec une subtile régulation de la fabrication des phytohormones, ces substances chimiques qui contrôlent l’activité. Ainsi, dans la graine, la production d’acide abscissique baisse (normalement il induit la dormance) tandis que la production de gibbérellines augmente (elles lèvent la dormance) ; mieux encore : un gène particulier s’active ce qui fait encore plus baisser le taux d’acide abscissique.

Si cette première étape a lieu mais que la graine ne détecte pas d’hôte à proximité, elle entre à nouveau en dormance encore plus profonde ; elle attend ainsi jusqu’à ce que ces mêmes conditions soient réunies et ce, parfois plusieurs années de suite !

2-Attendre le feu vert pour germer

Si la graine commence à germer, la jeune plantule doit impérativement trouver un hôte convenable sinon elle est condamnée à mourir de faim. Face à cet écueil, les graines des orobanches possèdent la capacité, une fois activée par le conditionnement (voir ci-dessus) de détecter des substances chimiques excrétées par les racines des plantes hôtes dans le sol (des exsudats) et de réagir à leur présence ; chaque espèce de plante hôte libère un cocktail de stimulants chimiques qui varie d’une espèce à l’autre mais aussi selon le stade de croissance et les saisons. Parmi ces substances stimulantes, les plus connues sont les strigolactones (nom dérivé de celui de plantes parasites exotiques du genre Striga). Normalement, ces substances servent à attirer des microorganismes mutualistes (comme des champignons mycorhiziens) quand la plante hôte rencontre des conditions difficiles pour se nourrir. L’orobanche a donc acquis la capacité de détourner à son profit ce mécanisme pour, tel un limier, flairer sa proie et même connaître son état de santé pour mieux la choisir au bon moment ! Un parasite qui s’appuie sur un mutualisme : voilà qui ne manque pas de sel !

Ces strigolactones et autres agissent en deux temps : elles stimulent la levée de dormance et activent les récepteurs qui deviennent capables d’identifier spécifiquement la nature de l’hôte et son état. Tout cela passe par de complexes mécanismes de régulation de gènes.

3-Toucher au but

La plantule qui émerge de la graine est réduite à sa plus simple expression : une radicule et c’est tout ! Celle-ci s’allonge tout en absorbant l’eau du sol ou celle emmagasinée dans le revêtement de la graine si le sol est sec et en se servant des maigres réserves de la graine. Son rayon d’action ne dépasse pas 5mm : d’où l’intérêt absolu d’être sûr qu’une racine hôte est là, tout près ! Elle ne peut survivre ainsi que quelques jours. Aussitôt le contact établi avec la surface de la racine hôte, l’extrémité conique de la radicule s’arrondit et se transforme en haustorium, véritable dispositif d’ancrage à l’hôte. Un cercle de cellules papilleuses secrète des sucres collants à sa surface et permet l’adhésion.

On sait que chez d’autres plantes parasites de la même famille comme les Striga, il y a sécrétion de composés phénoliques inducteurs de formation de tissus nouveaux chez l’hôte, ainsi contraint à collaborer à la construction de l’haustorium ! Normalement, de telles substances servent de moyens de défense contre les herbivores et sont donc là encore détournées de leur fonction première par le parasite. Chez les orobanches, on n’a pas encore réussi à détecter de telles substances : ont elles réussi à s’en passer ou bien ne sait-on pas les détecter

4-Envahir au plus vite

Désormais, il faut faire vite et l’urgence c’est d’établir la connexion avec les vaisseaux conducteurs de sève de l’hôte pour pouvoir enfin se nourrir ! L’extrémité de l’haustorium collée sur l’hôte développe des cellules dites intrusives qui envahissent l’intérieur en tassant les cellules de l’hôte sur leur chemin et en secrétant des enzymes qui dissolvent les parois les reliant entre elles ; les cellules de l’orobanche s’insinuent donc en force jusqu’à atteindre les faisceaux de vaisseaux conducteurs de sève. Cette connexion doit s’établir en quelques jours car la plantule a mobilisé tout ce qui lui restait de réserves pour pénétrer. L’hôte peut très bien résister à cette intrusion en dressant des barrières mécaniques qui bloquent le parasite et le condamnent à mourir sur place.

5-Se connecter et pirater

Certaines des cellules intrusives de l’orobanche vont se transformer en cellules conductrices qui se mettent en continuité d’une part avec les tubes criblés du phloème où circule la sève élaborée riche en substances carbonées élaborées par photosynthèse et d’autre part avec les vaisseaux du xylème où circule la sève brute riche en eau et sels minéraux. Le puits parasitaire se met en place et la jeune orobanche peut enfin commencer à pomper sa nourriture en prise directe. La partie de la graine restée à l’extérieur se transforme en tubercule qui se charge en réserves et joue donc le rôle d’organe de stockage. A sa base, une couronne de courtes racines adventives se développe dont certaines vont pouvoir créer de nouvelles connexions un peu plus loin. L’emprise du vampire s’amplifie !

Pour faciliter le transfert d’eau vers elle, l’orobanche stocke du potassium dans ses tissus ce qui créé un flux d’eau vers elle ; dans la sève élaborée, elle prélève surtout du sucrose qu’elle transforme en amidon pour le stocker dans son tubercule ou qu’elle découpe en molécules de glucose et de fructose pour son fonctionnement. Ce processus facilite le transfert de sucre vers elle par osmose.

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Tige sèche d’orobanche du gaillet arrachée du sable d’une dune : on voit que la partie enterrée est assez profonde ; ici, le tubercule basal est absent car arrivée à ce stade final, la tige d’orobanche se désolidarise du tubercule

On voit donc que les premiers jours de la vie d’une orobanche sont un véritable parcours du combattant où elle ne dispose que du strict minimum et compense par des adaptations lui permettant de « choisir» l’hôte et le bon moment . Si tout se passe bien, la jeune plante, après avoir bien assis son emprise, va pouvoir éventuellement la saison suivante ou plus tard élaborer une tige et des fleurs et assurer ainsi sa descendance et la dispersion de ses graines vers d’autres hôtes plus éloignés. Et, un peu à la manière des champignons, on verra ainsi enfin sortir de terre, la partie reproductrice de la plante.

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Broomrape Weeds. Underground Mechanisms of Parasitism and Associated Strategies for their Control: A Review. Mónica Fernández-Aparicio, Xavier Rebou and Stephanie Gibot-Leclerc. Frontiers in Plant Science. ; Vol. 7 ; Article 135 ; 2016

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'orobanche du lierre
Page(s) : 254-255 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
retrouvez l'orobanche du genêt
Page(s) : 28-29 Guide des Fleurs des Fôrets