Cariama cristata

Aux dires de ceux qui ont voyagé dans les vastes espaces semi-arides du centre de l’Amérique du Sud, il est un son qui ne manque pas d’interpeller : une série « d’aboiements » très forts, pouvant durer plusieurs minutes et émis surtout à l’aube. C’est le « chant » (d’aucuns diront le braillement) du cariama huppé, connu dans le sud-est du Brésil sous le nom populaire de Seriema . Comme cet oiseau s’apprivoise très facilement, on peut souvent l’observer de près dans les parcs zoologiques ; il se trouve même inclus dans les spectacles de rapaces proposés aux visiteurs de ces lieux. Mais qui est vraiment cet oiseau curieux à plus d’un titre ?

cariama-cariama

Un oiseau indéfinissable

Après le nandou, le cariama huppé est le plus grand oiseau d’Amérique du sud avec ses 70- 90cm de haut et son poids de 1,5kg. Il habite les habitats ouverts, très secs avec une végétation de broussailles épineuses et de savanes clairsemées parsemées de termitières, connue sous des noms locaux comme cerrado ou caatinga ; il est commun du sud-est du Brésil, au Paraguay, en Uruguay et dans le nord de l’Argentine. Son plumage plutôt gris et brun terne (et un peu mimétique dans son environnement) se démarque de tous les autres oiseaux sud-américains par la présence d’une huppe de plumes raides, toujours dressées, sur le front, juste au-dessus du bec. Celui-ci rouge vif possède une mandibule supérieure un peu crochue qui rappelle celle des rapaces. Ses longues pattes fines lui permettent de courir vite et longtemps (avec des pointes à 70 km/h) à la manière des outardes. Son long cou dressé lui donne un port de grue.

Omnivore, il se nourrit avant tout de petits animaux : de gros insectes (sauterelles, scarabées), des lézards et des serpents et des petits oiseaux. Il chasse à terre en marchant et capture ses proies avec son bec qui lui sert aussi à dépecer les plus grosses. Les doigts des pattes ne forment pas des serres mais un des orteils se trouve doté d’une remarquable griffe crochue en position relevée et qui sert aussi pour achever les proies, notamment les serpents ; elle n’est pas sans évoquer celle du Velociraptor, ce dinosaure de la lignée avienne, devenu célèbre depuis le film Jurassic Park.Il niche dans les arbres où il bâtit une aire à la manière des rapaces ; les œufs blancs tachés de brun rappellent ceux des faucons.

Ce portrait sommaire donne donc l’impression d’un oiseau-mosaïque difficile à cerner quant à ses parentés, à part un certain « look » de rapace.

Attention aux convergences

Le milieu de vie particulier a induit des adaptations que l’on retrouve chez d’autres espèces non apparentées mais habitant des milieux de même type, ce qui concourt à brouiller les pistes. Il y a déjà le mode de déplacement qui se rapproche de celui des nandous, qui fréquentent des milieux de ce type. On l’a beaucoup comparé au secrétaire, ce grand rapace des savanes africaines, chasseur de serpents (d’où son autre nom de serpentaire) ; il partage avec lui la même façon de chasser les serpents et de les tuer mais contrairement à ce dernier, il n’utilise pas le vol pour repérer ses proies ; le cariama vole mais ses ailes assez courtes ne lui confèrent pas de bonnes capacités voilières. Il s’agit donc d’une convergence écologique entre deux espèces non apparentées. On retrouve d’ailleurs des caractères un peu semblables chez un autre oiseau radicalement différent des milieux semi-désertiques d’Amérique du nord : le road-runner (immortalisé comme le bip-bip du dessin animé avec le coyote), un coucou terrestre !

Une famille à part

Mais alors, de qui le cariama huppé est-il le plus proche parent ?

Historiquement, on a très vite repéré que devant autant de caractères originaux et « mixtes », il fallait créer pour lui une famille nettement à part, les Cariamidés. On y range une autre espèce très proche, le cariama de Burmeister (Chunga burmeisteri), plus petit, tout gris avec un bec et des pattes noires, pratiquement pas de huppe frontale ; son aire plus restreinte recouvre la région du Chaco au Paraguay et dans le nord de l’Argentine et il peuple des milieux un peu plus boisés mais tout aussi secs.

Cette famille a été déplacée au gré des changements de classification soit auprès du secrétaire dans les rapaces diurnes (ce dernier étant lui-même très spécial et « dur » à classer), soit auprès des grues et outardes (dans l’ancien ordre des Gruiformes, ce qui a fait consensus jusqu’à récemment), voire même auprès d’un étrange oiseau endémique de Nouvelle-Calédonie, le kagou qui partage avec le cariama quelques caractères dont des comportements de parade.

Au cours de la dernière décennie, les fulgurants progrès acquis par le recours aux séquences ADN ont permis de clarifier la position de cette famille et de confirmer son originalité. Nos cariamas se situent donc au sein de la grande lignée terminale (la plus récente) dans l’histoire des oiseaux, celle des « oiseaux terrestres »; ils ne sont donc pas du tout apparentés aux grues ou aux outardes qui, elles, se trouvent dans le grand groupe des « oiseaux aquatiques » (voir la chronique qui sont vraiment les pélicans ?).

Dans cette lignée terrestre, les cariamas ne sont pas aux côtés des rapaces diurnes ou nocturnes qui se situent dans une branche hétéroclite dite des Afroaves (en rouge sur l’arbre) mais se retrouvent en position basale (donc les plus anciens dans cette lignée) d’un groupe (dit des Australaves ; en vert sur l’arbre) avec comme plus proche parent les Faucons et Caracaras (Falconiformes) qui, autre nouveauté récente, sont séparés des « rapaces diurnes » auxquels ils ne sont pas directement apparentés. Les cariamas présentent comme les faucons (mais aussi les autres rapaces diurnes) une sorte d’arcade osseuse sourcilière (qui donne l’air « méchant » propre aux rapaces !) mais de manière convergente (caractère apparu trois fois indépendamment, sans doute en lien avec le mode de vie prédateur).

Ensuite, comme parents suivants, on trouve de manière bien plus inattendue les perroquets et …. le gigantesque groupe des Passereaux ! Ainsi, les cariamas sont plus apparentés aux perroquets et aux passereaux qu’ils ne le sont aux rapaces diurnes (faucons non compris) !

Des ancêtres terrifiants

Du point de vue paléontologique, la famille des Cariamidés est connue par des fossiles sud-américains datés du Pliocène (_5 à -2MA) ou du Miocène (- 23 à – 5Ma) ; des espèces apparentées (même famille ou autre famille ? il y a débat) ont été trouvées dans l’Eocène supérieur (- 37 à – 33Ma) du Quercy. Cela signifie donc que les cariamas appartiennent à une lignée qui à l’ère Tertiaire était bien plus importante avec une aire plus étendue ; les deux espèces actuelles ne reflètent que très peu la diversité de cette lignée.

Depuis assez longtemps, les paléontologues avaient repéré des affinités étroites entre les deux cariamas actuels et une famille d’oiseaux entièrement disparus : les Phorusrhacidés, plus connus sous le nom médiatisé (et sans doute mérité) d’oiseaux de la Terreur ! Ces oiseaux, la plupart de grande taille (voire énormes), qui avaient perdu la faculté de voler, ont vécu en Amérique du sud, à la faveur de son long isolement (voir la chronique sur la mégafaune d’Amérique du sud), où ils ont occupé la niche des grands carnivores absents : leur énorme bec crochu leur permettait de tuer de grosses proies (sans doute des mammifères) qu’ils pourchassaient à la course. On en connaît au moins 17 espèces dans 13 genres depuis le début de l’ère Tertiaire (-62Ma). Lors de la formation de l’isthme de Panama, au moins une espèce s’est différenciée en Amérique du nord, Titanis walleri.

A la faveur de ces révélations, on ne peut donc que regarder autrement ce curieux cariama, décidément insaisissable.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Whole-genome analyses resolve early branches in the tree of life of modern birds. JARVIS et al. 2014 • VOL 346 ISSUE 6215. SCIENCE.
  2. Handbook Birds of the World ALIVE : http://www.hbw.com/family/seriemas-cariamidae
  3. SYSTEMATIC REVISION OF THE PHORUSRHACIDAE (AVES: RALLIFORMES). H. M.F. ALVARENGA ; E. HÖFLING. Papéis Avulsos de Zoologia Museu de Zoologia da Universidade de São Paulo. Volume 43(4):55-91, 2003.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'histoire de l'Amérique du sud et de sa faune
Page(s) : 488-500 Guide critique de l’évolution
Retrouvez les cariamas dans la classification des oiseaux
Page(s) : 690-691 Classification phylogénétique du vivant. Tome II. 4ème édition revue et augmentée
Retrouvez les oiseaux de la Terreur
Page(s) : Sur les traces des dinosaures à plumes