Passer domesticus

Le moineau domestique connaît depuis plusieurs décennies un net déclin tant en milieu urbain et suburbain qu’en milieu rural. Parmi les causes possibles figure l’alimentation des jeunes pendant la période d’élevage avec des forts taux d’inanition observés en relation avec une pénurie de certains types de proies animales et la pollution atmosphérique (voir la chronique sur la thèse conduite dans la ville de Leicester). Mais quelles transformations du milieu urbain peuvent expliquer de telles conséquences ?

Des liens avec le déclin rural ?

On pourrait penser que le déclin parallèle en milieu rural aurait tari l’apport par immigration vers les villes voisines ce qui suffirait en soi à expliquer le déclin urbain. Mais celui-ci a commencé plus tôt dans les zones suburbaines qu’à la campagne. Des études génétiques montrent de plus le très faible taux de dispersion des moineaux qui restent attachés à des « noyaux » de populations où sont installées les colonies : ils s’éloignent rarement de plus de 2km de leur lieu de naissance. Il ne semble donc pas y avoir d’immigration de la campagne vers les villes même proches.

Des données accumulées sur la réussite des nichées indiquent que les échecs sont plus élevés en zone urbaine ou suburbaine qu’à la campagne. Les mécanismes impliqués seraient donc différents dans les deux environnements et non connectés entre eux.

Un déclin inégal selon les villes

Un autre facteur qui complique les interprétations concerne la non-généralisation de ce déclin. En Grande-Bretagne, si le déclin est avéré dans les villes de la plus grande partie du pays, en Ecosse et au Pays de Galles, le moineau domestique connaît une augmentation de ses populations urbaines ! A l’échelle européenne, si dans une majorité de villes, on observe un déclin, il y a des exceptions comme l’indique cette compilation d’études menées entre 1998 et 2006 :

  • villes avec un net déclin : Hambourg ; Moscou ; Prague ; Rotterdam ; Saint-Petersburg ; GB (Bristol, Dublin, Londres, Norwich, Edimbourg)
  • ville avec faible déclin : Varsovie
  • villes avec populations stables : Berlin ; Bruxelles ; Manchester ; Paris
  • ville avec une augmentation : Lisbonne.

Il faut donc chercher des causes possibles à l’intérieur des villes, d’autant que le moineau domestique présente souvent une répartition par taches même là où il est commun, du fait de sa vie en « colonies ».

Un lien avec le niveau socio-économique

Dans les villes britanniques où l’on observe un déclin, les colonies restantes se trouvent surtout dans les quartiers très défavorisés et sont quasiment absentes des « beaux quartiers » avec un fort niveau socio-économique. De telles tendances sont observées aussi à Berlin et Paris.

Des études montrent que les changements de niveau socio-économique des quartiers s’accompagnent de bouleversements profonds dans la structure de l’habitat, lesquels pourrait donc en partie être responsables du déclin des moineaux domestiques. Ces changements touchent par exemple les jardins privés, un élément clé dans l’approvisionnement alimentaire des moineaux en période d’élevage des jeunes.

Ainsi, dans les « beaux quartiers », sous l’effet de la pression immobilière et des nouvelles contraintes de stationnement, on observe un développement des surfaces goudronnées ou bétonnées affectées au stationnement des véhicules à l’intérieur des propriétés au détriment des surfaces de pelouses. Or l’étude sur les moineaux de Leicester a montré l’importance de ces zones pour l’apport en insectes et araignées indispensables au bon développement des jeunes au nid. L’augmentation de ces surfaces «imperméabilisées » est telle qu’elle commence d’ailleurs à poser d’autres problèmes comme l’augmentation des risques d’inondations en cas de violents orages. Les gens aisés ont aussi tendance à « sur-entretenir » leurs espaces verts : tontes, tailles, traitements contre les pucerons, … autant de pratiques défavorables au maintien de la biodiversité nécessaire aux moineaux. Enfin, on a tendance dans ces quartiers à planter des arbustes ornementaux souvent « exotiques » et nettement moins favorables pour les moineaux.

Dans les quartiers défavorisés, l’entretien des jardins reste bien plus « approximatif » avec en plus des zones plus ou moins à l’abandon mais de ce fait très favorables (comme par exemple des massifs d’orties !) ; dans les ensembles de HLM, des espaces verts persistent entre les immeubles là encore avec un entretien moins manucuré. Des espaces de friches avec des arbustes indigènes (sureaux, ronces, érables, …) constituent de très bons réservoirs de nourriture au cœur de l’été pour l’élevage des secondes nichées notamment.

Des bâtiments améliorés .. sauf pour les moineaux !

Traditionnellement, les moineaux installent leurs nids sous les rebords des toits, notamment sous les tuiles qui débordent. Or, dans les bâtiments modernes et de haut standing, de nouveaux matériaux apparaissent comme le plastique, l’acier, le verre, beaucoup moins propices à la nidification des moineaux. Les vieux bâtiments partiellement dégradés offrent aussi nettement plus de possibilités de sites de nid ; la pression immobilière les élimine rapidement dans les quartiers favorisés. Une étude a l’échelle de toute la Grande-Bretagne montre que les moineaux adoptent bien plus volontiers les maisons datant d’avant les années 1920 et délaissent les bâtiments post-1945 ; de même les édifices dont les toits ont subi des remises en état récentes connaissent une nette désaffection. On peut penser que les programmes en cours de réhabilitation de l’habitat pour améliorer l’isolation des habitations risquent de renforcer cette tendance défavorable ! Comme quoi même des mesures écologiques souhaitables peuvent avoir des conséquences indirectes négatives pour la biodiversité !

La disparition des friches et espaces verts

Les grandes cités prospères connaissent une telle demande immobilière que les friches industrielles et autres espaces délaissés disparaissent à un rythme effréné. En Grande-Bretagne, en 2001, 61% des nouveaux bâtiments ont été construits sur de telles zones, véritables oasis pour la faune urbaine et sites de nourrissage des colonies de moineaux. A Paris, au cours des 20 dernières années, ces espaces ont diminué de 24%.

La demande de logements devient telle ,même dans les quartiers défavorisés, que les nouvelles constructions se font souvent aux détriments d’espaces verts ; la promotion des logements individuels ou des petits immeubles consomme beaucoup d’espace avec de fortes densités et donc des espaces verts privés réduits à leur plus simple expression.

Selon cette hypothèse bien étayée, on devra surveiller les quartiers en cours de réhabilitation pour édicter peut être de nouvelles règles d’urbanisme plus favorables au maintien d’une certaine biodiversité (comme par exemple au niveau des espaces verts privatifs) y compris dans l’architecture des bâtiments pour réserver des sites d’installation de nids. L’information des particuliers sur les pratiques à bannir doit aussi concourir à maintenir des conditions favorables pour enrayer le déclin du moineau domestique … et de nombreuses autres espèces.

BIBLIOGRAPHIE

  1. The House Sparrow Passer domesticus in urban areas: reviewing a possible link between post-decline distribution and human socioeconomic status. Lorna M. Shaw ;Dan Chamberlain ;Matthew Evans. J Ornithol
. 2008

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le moineau domestique
Page(s) : 227 Le guide de la nature en ville
Retrouvez le moineau domestique
Page(s) : 436 Le Guide Des Oiseaux De France