Bryonia dioica

 

Dans une autre chronique, nous avons décrit en détail le mode de fonctionnement des vrilles de la bryone, plante grimpante de la famille des Cucurbitacées, dans sa première phase, celle de la recherche d’un support et de l’arrimage à celui-ci. Résumons ce premier épisode, indispensable pour comprendre la seconde phase présentée dans cette chronique : la jeune vrille, sorte de filament opposé à une feuille, apparaît sous forme d’une spirale serrée qui se déplie, s’allonge et tourne sur elle-même à la recherche d’un support ; dès qu’elle entre en contact et frotte sur un support rugueux, elle réagit très vite grâce à des micro-coussinets tactiles en s’enroulant autour assurant ainsi l’accrochage définitif au support. Et là, la vrille entreprend une transformation extraordinaire, celle d’un double enroulement en ressort à boudins très élastique et souple qui rapproche la tige du support choisi. La bryone devient ainsi capable de grimper plus haut et d’assurer le maintien du poids de ses tiges qui vont se charger de fleurs et de fruits (pour les pieds femelles !) ou éviter d’être emportée par les coups de vent. Comment la bryone réussit-elle cette prouesse mécanique ?

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Un coup à droite, un coup à gauche

Observons d’un peu plus près ces « doubles » ressorts avant d’en élucider le mécanisme de formation. En partant de la tige de la bryone, on a d’abord une partie droite et épaisse, le suspenseur qui reste droit ; c’est en quelque sorte le pétiole de la vrille. Puis vient la partie torsadée, enroulée en ressort mais avec un tour de force : elle est d’abord enroulée dans un sens, suivie d’un court segment plus ou moins droit, puis s’enroule dans le sens contraire ; en général elle le fait deux fois mais parfois sur de longues vrilles on peut avoir ainsi trois ressorts successifs ainsi espacés.

Afin d’y voir clair, penchons nous d’abord sur le sens d’enroulement (la chiralité) en précisant le vocabulaire employé pour le décrire, source de nombreuses confusions. Si l’enroulement se fait dans le sens des aiguilles d’une montre, de la gauche vers la droite, on parle d’enroulement dextrose ou dextre ; s’il se fait dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, il est dit sinistrose. Dans le cas de la bryone, en partant de sa tige, la vrille tourne d’abord dans le sens des aiguilles d’une montre puis, après le segment droit, tourne en sens inverse.

Vous avez dit perversion ?

Cette inversion du sens des spirales a été étudiée par une branche des mathématiques appelée la topologie qui traite des changements de forme dans l’espace par des transformations continues comme les célèbres anneaux de Möbius. Ce serait J. B. Listing (1802-1882) qui aurait pour la première fois proposé le terme de perversion pour désigner cet état adopté par divers matériaux soumis à un étirement continu : deux spirales en sens inverse séparées par un espace « neutre ». Ce mot dérive de l’adjectif latin perversus utilisé par les spécialistes des coquillages pour désigner des coquilles d’escargots marins enroulées en sens inverse de la normale.

La perversion (dans ce sens là !) est utilisée ou s’observe sur certains objets ou matériaux. Ainsi, dans l’industrie textile, on utilise la technique du false-twisting avec des fibres synthétiques filées à chaud et soumises à une torsion, refroidies brusquement dans cette position ce qui donne plus de volume au tissu. Les anciens câbles de téléphone (on n’en trouve plus guère ; je n’ai pas réussi à en retrouver pour faire une photo !) étaient enroulés en spirale : si on les étirait à fond ce qui les déspiralisait et qu’on les relâchait doucement, ils s’enroulaient en double spirale opposée !

Dans le monde vivant, chez les animaux, on peut citer un exemple frappant : celui du cordon ombilical à la naissance ; chez les végétaux, outre les vrilles de nombreuses cucurbitacées, on l’observe chez d’autres plantes grimpantes à vrilles comme les passiflores, même si le mécanisme en jeu ne semble pas être du même ordre.

Courbure et torsion

Quel est donc le « moteur » de cette transformation ? (1 et 2). Revenons au point de départ : la vrille est désormais fixée en deux points : sur son suspenseur qui la porte d’une part et sur le support qu’elle a agrippé d’autre part. là, elle commence à se courber du fait d’une croissance différentielle entre les deux faces de la vrille : le côté ventral et le côté dorsal (voir l’autre chronique sur les vrilles) connaissent une croissance différente avec un côté qui grandit plus vite que l’autre. C’est cette courbure induite qui génère le processus ; ici, pour générer la spirale, il n’y a pas de torsion (ce que l’on fait pour « tordre » un fil de fer) et elle reste nulle. Comme cette courbure entraîne une spirale dans le sens des aiguilles d’une montre vers la tige, pour que la torsion reste nulle, l’autre bout va se spiraler en sens inverse ; les deux se forment en même temps ce qui conserve la stabilité mécanique de l’ensemble qui adopte une énergie minimale. La vrille créé ainsi un double ressort sans torsion et répond au modèle de la théorie de Kirchoff sur les baguettes fines. Nous n’irons pas plus loin dans la description du processus : si vous êtes férus de mathématiques, nous vous renvoyons vers les articles avec plus de dix pages d’équations mathématiques !

En tout cas, ce qu’il faut en retenir, c’est que cette double spirale n’a rien de magique mais répond aux lois de la mécanique des matériaux … même si ce n’est pas très facile à comprendre pour un novice !

A l’intérieur de la vrille

Une étude menée sur les vrilles du concombre (3), un proche parent de la bryone, a révélé l’existence à l’intérieur de celles-ci de lanières internes fibreuses formées de cellules spécialisées capables de se contracter de manière asymétrique ; si on extrait ces lanières, elles tendent à s’enrouler sur elles-mêmes. Ces lanières dirigeraient la forme de la vrille ; apparemment, les cellules d’un côté de la lanière sont plus rigides et raccourcies que celles de l’autre côté ce qui cause une courbure et comme les deux extrémités de la vrille restent fixes, la perversion s’installe au sein de la vrille !

Il faut veiller à ne pas généraliser un résultat trouvé sur une espèce à toutes celles de la même famille ; néanmoins, quand on observe de près une vrille de bryone par transparence, on note des bandes vert foncé longitudinales ; correspondent-elles à ces fameuses lanières ? Où ne s’agit-il que des faisceaux conducteurs de sève renforcés ?

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Gros plan sur la vrille d’une bryone avec les « fils » verts bien visibles à l’intérieur.

L’équipe de chercheurs citée ci-dessus (2) a par ailleurs fabriqué une lanière artificielle reconstituée à l’aide lanières de silicones en les rigidifiant sur la face ventrale enroulée avec un matériau rigide et en installant un fil de cuivre du côté dorsal ; ils ont ainsi créé le premier ressort qui, quand on l’étire, ne se déforme pas aux deux extrémités, un « ressort sans torsion ».

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A la conquête de l’espace !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Spontaneous Helix Hand Reversal and Tendril Perversion in Climbing Plants. Alain Goriely and Michael Tabor, PHYSICAL REVIEW LETTERS VOL. 80. 1998
  2. The Mechanics and Dynamics of Tendril Perversion in Climbing Plants. Alain Goriely and Michael Tabor.
  3. How the Cucumber Tendril Coils and Overwinds. Sharon J. Gerbode, Joshua R. Puzey4, Andrew G. McCormick, L. Mahadevan.Science  31 Aug 2012:

A retrouver dans nos ouvrages

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