Arenaria interpres

tpc-pano2

Le tournepierre à collier est un limicole qui fréquente nos côtes en hiver et lors des migrations d’automne et de printemps : une autre chronique lui est consacrée avec le problème du risque de prédation par l’épervier, le rapace qui est son prédateur principal en hiver et la première cause de mortalité. Un des moyens d’échapper à cette pression forte de prédation consiste pour ces oiseaux hivernants de se tenir en groupes de quelques dizaines pour se nourrir et se reposer à marée haute.

Des goûts et techniques variées

Le tournepierre à collier se démarque de la majorité des limicoles qui fréquentent les côtes et plus particulièrement la zone de balancement des marées i.e. la zone régulièrement découverte et recouverte par les marées successives et dont l’étendue varie sans cesse au gré des coefficients de marées : c’est l’estran (ou zone intertidale). Ils exploitent aussi bien les milieux rocheux que les milieux sableux pourvu qu’il y ait soit des tapis d’algues accrochées ou des dépôts naturels charriés par les vagues (algues, bois flottés, animaux morts, coquilles, …), ce qu’on appelle la laisse de mer, souvent présente sous forme d’une bande diffuse et fluctuante qui souligne le niveau de la plus haute marée de la journée.

Son alimentation est très variée en hiver : des insectes (trouvés dans les laisses de mer tout en haut de plage), des petits crustacés, des vers, des petits échinodermes (oursins, …), des petits poissons et leurs œufs) mais aussi, et c’est plus original, un certain penchant pour … les cadavres sur lesquels il picore des miettes : poissons ou mammifères échoués ! il sait aussi profiter de déchets laissés par l’homme comme des restes de nourriture sur la plage. Bref, le tournepierre reste plutôt un généraliste très éclectique et opportuniste !

Il sait aussi varier ses techniques de recherche de nourriture ce qui lui donne accès justement à des ressources plus variées. Au moins six techniques (1) ont ainsi été observées : pousser les algues échouées de côté tout en avançant (la technique du bulldozer !) pour accéder aux proies cachées dessous, retourner les pierres et coquillages (d’où ce fameux nom de tournepierre repris en anglais sous la forme turnstone), picorer en surface, sonder le sédiment avec son bec court pour atteindre des vers ou coquillages enterrés, taper avec son bec comme avec un marteau pour décoller des balanes par exemple ou creuser le sédiment ! Apparemment, le choix individuel pour telle ou telle technique dépend en partie du statut social ou sexuel des individus au sein de ces groupes avec la première citée qui semble la plus recherchée.

Vigilance et alimentation

Une équipe d’ornithologues anglais, australiens et néerlandais (2) a étudié sur le terrain le comportement de vigilance des groupes de tournepierres hivernants en fonction de différents paramètres dont la taille du groupe mais surtout les sites de nourrissage exploités.

Pour mesurer le degré de vigilance individuelle, on repère les moments où un oiseau donné s’interrompt dans son activité de recherche de nourriture, cesse de hocher régulièrement de la tête (ce qu’ils font en permanence et qui les aide au repérage de la nourriture) et de bouger les yeux en même temps, pour relever nettement la tête et observer autour. Ce comportement de vigilance peut concerner soit un risque de prédation (surveillance ou repérage d’une approche suspecte : voir la chronique sur le stress de l’épervier), soit une interaction avec les autres membres du groupe au sein duquel règne une certaine compétition pour l’accès à la nourriture.

Simultanément, on peut évaluer l’intensité de nourrissage effectif en comptant le nombre de coups de bec directs pour capturer une proie (sans prendre en compte les mouvements de recherche comme retourner les coquilles ou déplacer les algues) et le nombre de fois où l’avale avale visiblement une proie capturée. Ces comptages se font par tranches de 30 secondes sur un oiseau ciblé du groupe ; puis, on change d’oiseau et ainsi de suite ! La surface de plage couverte par le groupe est évaluée à chaque fois ainsi que la taille du groupe et sa densité.

La distance au danger

Pour évaluer la composante « risque de prédation par l’épervier », deux grands types de zones de nourrissage ont été retenues : l’estran et la zone au-dessus de ce dernier que nous nommerons zone supérieure (la zone supratidale en terme scientifique), la partie de la plage jamais atteinte par les marées sauf peut-être lors des grandes tempêtes mais qui reçoit néanmoins des apports par projections des débris de l’estran par le vent. Ce choix s’est fait en prenant en compte la méthode de chasse de ce prédateur qui s’approche au plus près en restant à couvert (en forêt bordant les plages) puis surgit brusquement en rasant le sol pour surprendre une troupe en train de se nourrir. Ainsi, une autre étude a montré que le chevalier gambette, autre limicole côtier avait 21 fois plus de risque d’attaque par un épervier dans les marais salants intérieurs que sur les vasières de l’estran !

Sur l’estran, les groupes de tournepierres se trouvent en moyenne à 175m du couvert terrestre le plus proche contre seulement 10 mètres pour la zone supérieure : donc deux habitats avec un potentiel de risque très différent.

Au sein de chacune de ces zones , les chercheurs ont retenu à chaque fois deux « sous-habitats » : pour l’estran, les zones rocheuses couvertes de colonies de fucus d’une part et les zones de rochers sans algues mais couverts de balanes d’autre part ; pour la zone supérieure, ils ont distingués les lignes de dépôts de laisse de mer au-dessus des plus hautes marées et les accumulations de laminaires (grandes algues)à projetées au pied des falaises ou des dunes.

Des habitats aux ressources différentes

Pour évaluer la valeur de ces habitats pour les tournepierres, des prélèvements ont été menés sur des mini-quadrats dans chacune de ces zones. L’estran se caractérise par une diversité d’espèces avec peu d’individus de chaque espèce et une prédominance d’animaux à « coquilles » comme les balanes, les petites moules ou les littorines, donc beaucoup de parties indigestes (rejetées sous forme de pelotes de réjection) et un rendement énergétique peu élevé.

Par contre, la zone supérieure présente de fortes abondances de quelques espèces : des amphipodes (dont les talitres ou puces de mer spécialistes des laisses de mer sur sable) et des larves de « mouches des algues », ces petites mouches sombres au corps aplati qui habitent les laisses de mer et notamment celles à base de laminaires. Ces proies très digestes représentent une source énergétique très intéressante.

Une évaluation faite à partir de modèles théoriques calibrés à partir d’autres espèces de limicoles indique que pour couvrir ses besoins énergétiques quotidiens, un tournepierre a besoin de se nourrir pendant 4,4 heures dans la zone supérieure contre 6,7 heures sur l’estran. La première zone (et surtout là où s’accumulent les laminaires) présente donc une forte attractivité pour les tourne-pierres en dépit du danger potentiel plus élevé.

Vigilance, habitat et nourriture

Les groupes en zone supérieure sont plus importants et plus resserrés sur le terrain et le taux de redressements de tête y est nettement supérieur. Dans les deux zones, la vigilance individuelle diminue quand la taille du groupe augmente mais augmente avec la densité du groupe (oiseaux resserrés).

Si la taille du groupe agit sur la vigilance, la part de l’habitat où a lieu le nourrissage semble importante : tout se passe comme si les tournepierres étaient capables d’évaluer simultanément le risque lié à un habitat donné, la taille de leur groupe et l’avantage énergétique (nourriture abondante et digeste) du site ; ainsi, sur la zone supérieure, même si la taille du groupe augmente, la vigilance ne baisse pas car le risque de prédation devient fort. De même, plus l’heure avance dans la journée, plus la vigilance augmente ce qui indique une prise en compte des habitudes de chasse du prédateur. Il reste une variable difficile à mesurer : la part de la technique employée pour rechercher la nourriture (voir premier paragraphe) qui varie selon les individus et selon l’habitat : un oiseau occupé à retourner des coquilles ou à piocher des balanes est probablement plus à risque que celui qui picore simplement ?

Le tournepierre à collier présente donc une capacité assez fine d’évaluation simultanée de plusieurs facteurs et adopte à chaque fois un compromis différent !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Individual feeding specializations of wintering turnstones Arenaria interpres. D. P. Whitfield. Journal of Animal Ecology (1990), 59, 193-211.
  2. The effect of group size on vigilance in Ruddy Turnstones Arenaria interpres varies with foraging habitat. RICHARD A. FULLER, STUART BEARHOP, NEIL B. METCALFE & THEUNIS PIERSMA .Ibis (2013), 155, 246–254

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le tourne-pierre à collier
Page(s) : 140 Le Guide Des Oiseaux De France