Tussilago farfara

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Peuplement de tussilages sur un talus dans une forêt de montagne. Attention : en montagne, on trouve aussi souvent des pétasites au feuillage très ressemblant

Le tussilage est bien connu comme plante médicinale pour ses propriétés adoucissantes et calmantes des voies respiratoires (dues à mucilage contenu surtout dans le feuillage) recommandées pour lutter contre la toux : d’où son nom dérivé de tussis, la toux que l’on retrouve en anglais sous la forme coughwort (herbe à la toux). Mais son cycle de vie et son développement très particuliers restent souvent ignorés sauf peut être des agriculteurs (surtout en agriculture biologique) pour qui il représente un vrai problème. Le tussilage se comporte en effet en super pionnier envahissant, adepte des terrains entièrement dénudés  dont les terres cultivées ; ses capacités à surmonter les pires perturbations expliquent largement son succès dans ce « segment écologique » ultra spécialisé.

Filius ante patrem

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Début mars sur un talus au bord d’un fossé dans la plaine de Limagne : une colonie fleurie de tussilages.

Le « fils avant le Père », ainsi le surnommaient les Romains, repris en anglais (son-before-father) ou en Russe sous la version « la mère et la belle-mère » (Mat i matcheba). Belles expressions populaires pour traduire une bizarrerie du cycle de vie du tussilage : la floraison se fait tôt au printemps avant la sortie des feuilles sur des tiges presque nues. C’est d’ailleurs souvent à ce stade (dès février et jusqu’en avril), que le tussilage attire l’attention des non-initiés : de grosses touffes très serrées de tiges droites, non ramifiées, d’une vingtaine de centimètres de hauteur, parsemées de sortes d’écailles plus ou moins rougeâtres et surmontées chacune d’un superbe capitule jaune d’or. Comme il forme souvent des colonies denses, le spectacle ne manque pas d’éclat et de charme.

Une fois la floraison terminée et les capitules fructifiés (voir ci-dessous), apparaissent alors les feuilles qui émergent du sol sous forme de rosettes. Grossièrement en forme de cœur au pourtour polygonal arrondi et profondément denté, elles valent au tussilage toute une série de surnoms populaires à cause d’une certaine ressemblance avec une trace de sabot d’animal : pas d’âne, pied de cheval (colt’s foot en anglais), pied de poulain, ungle de cheval (ungule caballine) au Moyen-âge. Elles se distinguent par leur long pétiole teinté de rouge, creusé en gouttière et surtout par le contraste entre le dessus de la feuille est d’un vert foncé luisant avec un éclat un peu gras et le dessous qui arbore un revêtement laineux blanc très dense (l’épithète latine de farfara vient de far pour farine et ferre, porter). Les jeunes feuilles portent ce feutrage un peu en « toile d’araignée » sur le dessus avant qu’il ne se disperse et le bord de la feuille porte des pointes ou dents brun noir. A ce stade, le tussilage passe plutôt inaperçu du grand public si ce n’est sa propension à former des tapis étendus qui peuvent intriguer.

Un super pionnier

On ne peut définir un milieu type du tussilage sauf en précisant qu’il s’agit toujours de milieux perturbés par de brusques changements avec destruction brutale de la végétation. Cela résulte le plus souvent d’activités humaines (traitement chimique, chantier, décapage de la terre, labour, extraction de roches, ..) mais aussi plus rarement de perturbations naturelles telles que les glissements de terrain ou les éboulements. Autrement dit, le tussilage a besoin d’un environnement le plus possible dépourvu de compétiteurs, avec un sol remué, décapé ou tassé ; dès que ces derniers (telles que des graminées vivaces) reviennent, le tussilage régresse très vite et finit par disparaître. L’autre constante dans ses choix concerne la nature du sol : il préfère les sols relativement humides, souvent argileux (des « terres lourdes ») et tassés. A partir de ces préférences, on peut dresser une liste potentielle de sites : falaises maritimes ; carrières ; talus forestiers ; bords des fossés et accotements ; berges des rivières érodées ; tas de déchets ; terrils ; remblais ; cultures ; bords des champs ; décharges ; … Dans une étude menée en Angleterre dans la région de Sheffield, le tussilage figure dans le Top 20 (en 11ème position) des plantes présentes sur les tas de déblais en zones urbaines.

Quand un terrain se trouve ainsi mis à nu, la colonisation du tussilage en devient vraiment effective qu’au bout de deux à trois ans s’il s’agit d’un site isolé. Comment procède t’il ?

Les paras d’abord !

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Par définition, de tels milieux favorables se trouvent répartis de manière très aléatoire dans le temps et dans l’espace ; les perturbations brutales qui engendrent des sols nus ne peuvent être prédites sauf peut être en milieu cultivé où les interventions culturales se font de manière régulière (labour, récolte, …). La solution retenue chez le tussilage consiste à « inonder » au hasard l’environnement potentiel de graines volantes à une période de l’année où la végétation n’a pas encore commencé (ou peu) à se développer. Les capitules émergés tôt au printemps (voir ci-dessus) peuvent produire en effet chacun plus de cent fruits secs formés d’une « graine » (akène) surmontée d’une aigrette plumeuse (pappus) environ trois fois plus longue que la graine elle-même. Un peuplement fleuri dense peut élaborer plus de 20000 graines par mètre carré occupé. Très légères (1/4 de mg chacune), les graines peuvent être transportées à grande distance notamment à travers les milieux ouverts qu’occupe souvent cette espèce. Les capitules fleuris sont légèrement penchés à la floraison mais dès leur fructification, la tige se redresse et les porte haut, à la merci des courants d’air disséminateurs. A peine atterries, au hasard le plus total, les graines peuvent germer dans les heures qui suivent et donner ainsi naissance à une plantule ; si celle-ci par chance atterrit sur un site fraîchement décapé ou retourné ou défriché, elle aura des chances de pouvoir grandir et s’installer durablement.

Le pouvoir germinatif des graines ne dure que quelques semaines ; ainsi, il n’y a pas de banque de graines qui se forme dans le sol et qui pourrait attendre, là où elles ont atterri au hasard, la venue d’un événement perturbateur favorable. D’autre part, si elles subissent le moindre enfouissement après leur atterrissage, cela diminue considérablement leur capacité de germer : à 1cm de profondeur, le taux de germination baisse de moitié et à 2cm, il chute à 10% ; au delà, la germination ne se fait plus. On a donc affaire à une stratégie de parachutage avec occupation immédiate du terrain.

Pour autant, très peu de graines réussissent à germer et à se développer en nouveau pied ; la production massive de graines parachutées compense ces pertes mais aussi et surtout la stratégie souterraine remarquable des nouveaux pieds installés.

Une armada souterraine

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Appareil souterrain de tussilage ; celui-ci correspond peut être à un seul individu en fait.

Commence ensuite une seconde phase, celle de l’occupation du terrain favorable et de sa conquête progressive et généralisée. Pour cela, le tussilage s’appuie sur un puissant réseau de tiges souterraines charnues (gorgées de réserves) blanchâtres, écailleuses se ramifiant en longues pousses horizontales : un rhizome. Enfoncé plus ou moins profondément (entre une vingtaine de centimètres à plus de deux mètres), ce rhizome étendu envoie vers la surface des pousses verticales à l’origine des feuilles et des tiges fleuries à partir de bourgeons volumineux. Le tussilage dispose donc là d’un dispositif de multiplication végétative : un même individu se ramifie et s’étale, envoie des pousses vers le sol, lesquelles en développant leurs propres racines peuvent ensuite devenir autonomes ; ainsi, à partir d’un pied initial issu de la germination d’une graine, on peut obtenir des dizaines de pieds étalés dans l’espace qui ont exactement le même patrimoine génétique que le pied mère : on parle donc de croissance clonale. Chaque pied devient une colonie.

Ce rhizome stocke des réserves nutritives sous forme de sucres (fructanes) élaborés par la photosynthèse à partir des premières feuilles de la première rosette de la plantule ; ces feuilles persistent jusqu’en automne et doivent recevoir un éclairage total et ne pas se trouver en concurrence avec d’autres espèces pour espérer constituer un premier rhizome suffisamment fort pour assurer l’avenir à long terme du nouvel individu. Chaque début de printemps, les années suivantes, le rhizome se vide de ses réserves et permet la pousse rapide et soudaine des feuilles et/ou des pousses fleuries. Chaque rosette élabore ainsi une série de feuilles ; dès le stade six feuilles (soit une surface de 200cm2 de feuilles ou « capteurs solaires »), le point de compensation est atteint, i.e. que, dès lors, la rosette fabrique plus de substances qu’elle n’en utilise et les envoie vers les rhizomes qui les stockent à nouveau. Ainsi, en moins de trois ans, sans faire de bruit, le petit pied de tussilage parachuté sous forme de graine a fait plein de petits et a consolidé son rhizome qui s’est ramifié en tous sens. Si le terrain reste nu, au bout de 3 ans, la densité dépasse les trente pousses par quart de mètre carré !

La phalange ou la guérilla

Ce discours guerrier adopté n’est pas choisi au hasard tant le tussilage, tributaire d’environnements imprévisibles et très temporaires (tôt au tard, la végétation finit par revenir) déploie des modes de croissance très agressifs, comme pour compenser ses piètres qualités de compétiteur. Faute de combattre vraiment, il essaie de prendre les adversaires de vitesse. Le rhizome peut varier de manière très subtile le nombre de pousses souterraines produites, leur allongement, leur ramification, l’angle des nouvelles pousses avec la pousse mère, le nombre de bourgeons produits, … Ainsi, le tussilage dispose de deux grands modes de croissance clonale diamétralement opposés qui peuvent coexister sur un même pied-colonie selon l’environnement immédiat et sa disponibilité en ressources nutritives (minéraux du sol) et son ensoleillement.

Le premier mode est qualifié de phalange par allusion à la formation de fantassins de l’armée grecque disposés en rangs compacts et sur une grande profondeur. Dans ce mode, le rhizome s’allonge très peu tout en se ramifiant fortement presque sur place et en donnant naissance à des paquets serrés de tiges fleuries et de feuilles très rapprochées ; là, le pied-colonie avance très peu mais sort ses batteries de missiles : les capitules générateurs de graines qui seront parachutées à tout vent. Ceci se produit là où le sol est bien humide, dénudé et riche en éléments nutritifs.

Le second mode dit de guérilla consiste à allonger les pousses et à les étaler dans l ‘espace notamment si la végétation commence à se réinstaller ; ainsi, le pied-colonie réussit à s’infiltrer au milieu des rangs ennemis et à ressurgir de ci de là à la faveur de micro-clairières ; la probabilité de rencontrer d’autres zones riches en nutriments augmente aussi, avec toujours la vitesse comme leitmotiv. Même si ces nouvelles pousses de plus en plus éloignées du point de départ se trouvent isolées par rupture, elles peuvent devenir indépendantes et aller de l’avant. Cependant, cette guérilla ne réussit que tant que la végétation reste clairsemée ; dès que la couverture bloque l’accès à la lumière, le tussilage est condamné à disparaître sauf, qu’entre temps, il aura peut être réussi à accéder à un nouvel espace favorable.

Cette combinaison de deux modes de croissance clonale n’est pas l’apanage exclusif du tussilage et on le retrouve chez nombre de plantes vivaces dotées d’une forte capacité de multiplication végétative comme la renoncule rampante avec ses tiges rampantes aériennes ou stolons.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Carbohydrate dynamics in roots and rhizomes of Cirsium arvense and Tussilago farfara. L NKURUNZIZA & J C STREIBIG. 2011 European Weed Research Society Weed Research 51, 461–468
  2. Photosynthesis and growth of newly established shoots of Cirsium arvense and Tussilago farfara are resource independent. L NKURUNZIZA, E ROSENQVIST & J C STREIBIG. 2010 European Weed Research Society Weed Research 51, 33–40
  3. Expansion of Tussilago farfara L. in disturbed environments. A. Namura-Ochalska. Série de trois articles Acta Societatis Botanicorum Poloniae 1987 ; 1993

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le tussilage
Page(s) : 162-63 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
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Page(s) : 123 Le guide de la nature en ville
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Page(s) : 248-249 Guide des plantes des villes et villages