Veratrum album/Gentiana lutea

Le développement du pastoralisme bovin dans les prairies d’altitude transforme lentement la composition floristique avec notamment la tendance à l’invasion des pâturages par quelques espèces vivaces non consommées par le bétail ; au premier rang de ces espèces « refusées » et envahissantes figurent le vératre blanc et la gentiane jaune dont le développement excessif diminue la qualité des pâturages tant pour l’alimentation du bétail que pour le maintien de la biodiversité floristique. La connaissance du calendrier de germination des graines et de l’existence ou pas d’une banque de graines capable de persister dans le sol à court, moyen ou long terme est un enjeu essentiel pour comprendre l’extension de ces deux espèces et donc aussi comment les limiter.

Deux envahisseuses souvent confondues

Le rapprochement de ces deux espèces ne concerne pas que leur caractère envahissant dans les prairies de montagne. En effet, sur le terrain, leur aspect végétatif (au stade feuillé) peut facilement tromper d’autant qu’elles restent longtemps à ce stade ; de ce fait, nombre de promeneurs confondent ces deux espèces. Elles présentent effectivement toutes les deux des feuilles amples et ovales avec des nervures presque parallèles sur des tiges robustes. Le feuillage de la gentiane jaune se distingue facilement, outre sa teinte bleutée cireuse et glabre, par la disposition opposée (deux par deux) des feuilles au long des tiges (alternes chez le vératre). Comme ces deux espèces fréquentent les mêmes milieux montagnards (prairies, pâturages mai aussi forêts claires) le risque de confusion est encore plus élevé, même si elles en se côtoient pas souvent : le vératre recherche des sites humides alors que la gentiane excelle dans les pâtures plus sèches.

Pourtant, tout sépare le vératre et la gentiane jaune ; le premier se classe dans la famille des Mélianthacées (qui inclut entre autres la parisette) et s’apparente aux Liliacées (lis, tulipes, fritillaires, …) au sein des Monocotylédones ; la seconde appartient à la famille des Gentianacées apparentée aux Rubiacées (garances, gaillets, …), très « loin » en terme de parentés des Monocotylédones. La preuve de ce non-apparentement saute aux yeux par contre si on observe les plantes fleuries !

La distinction n’ a rien d’anecdotique pour les ramasseurs de racines de gentiane utilisées pour fabriquer des liqueurs car la racine du vératre et violemment toxique et mortelle !

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En Auvergne, les racines de gentiane sont récoltées dans les pâtures pour fabriquer un alcool célèbre (la Suze)

Une banque de graines à court terme

Une étude menée en Suisse (1) a porté sur le devenir des graines de ces deux espèces une fois tombées au sol après l’ouverture des fruits (des capsules sèches dans les deux cas). La majorité des graines récoltées au moment de l’ouverture des fruits (en fin d’été) sont incapables de germer bien que viables ; elles sont dormantes et doivent subir une exposition prolongée au froid hivernal (et à l’humidité) pour lever cette dormance ; on parle de germination différée, processus ultra-classique pour des plantes alpines : si les graines germaient dès leur chute en automne, elles auraient toutes les chances d’être détruites dès les premières gelées et sous le manteau neigeux.

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Capsules sèches ouvertes de gentiane jaune.

Chez les deux espèces, au bout de trois ans dans le sol, la grosse majorité des graines a disparu : soit elles ont germé auparavant, soit elles se détruisent. Autrement dit, le vératre et la gentiane disposent d’une banque de graines dans le sol à très court terme (trois ans maxi). Ceci est sans doute à relier à leur investissement dans la multiplication végétative via leur appareil souterrain.

Globalement, l’étude montre aussi une certaine tendance à un moindre succès des germinations et à une mortalité plus élevée des graines des deux espèces dans les prairies de fauche par rapport aux pâturages broutés ou aux milieux forestiers.

En termes de gestion de ces espèces envahissantes, on voit donc que si on éradique une population sur un site (y compris les parties souterraines), il y aura peu de chances que le site ne soit recolonisé très rapidement à partir de graines restées dormantes dans le sol.

Deux  calendriers de germination différents

Le résultat le plus surprenant de cette étude concerne le timing de la germination. La majorité des graines de vératre ne germent qu’au bout de deux ans de séjour dans le sol : les graines doivent donc subir une maturation. Par contre, au delà, à trois ans, seules 0,15% d’entre elles persistent ! A l’opposé, la majorité des graines de gentiane jaune germent dès l’année suivant leur libération ; celles qui n’ont pas réussi à germer entrent en dormance et réussissent à se maintenir encore un ou deux ans puisque au bout de trois ans, il reste encore 5% de graines intactes dans le sol. S’agit-il d’un mode d’évitement de compétition entre deux espèces proches en termes de mode de vie ? Il faut aussi remarquer que les graines des gentianes beaucoup plus petites se prêtent mieux à endurer une certaine dormance contrairement aux grosses graines du vératre plus fragiles à moyen terme. La comparaison doit aussi prendre en compte le nombre de graines produites considérable chez la gentiane et des taux de floraisons différents avec notamment la floraison très irrégulière du vératre.

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Graines (sous la loupe) petites et ailées de la gentiane jaune.

BIBLIOGRAPHIE

Seed bank persistence of clonal weeds in contrasting habitats: implications for control. Elze Hesse, Mark Rees, Heinz Müller-Schärer. Plant Ecol (2007) 190:233–243

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le vératre blanc
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