Arctium

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Les enfants (et les moins jeunes) connaissent le merveilleux pouvoir accrochant des capitules de bardanes que l’on jette dans les cheveux : blague pas très drôle à déconseiller vivement vu la difficulté ensuite à démêler la chose ! Découvrons qui sont ces structures « attachantes » avant de suivre leur histoire en lien avec l’Homme. Une autre chronique analyse le mécanisme d’accrochage de ces capitules.

Des faux-fruits

Deux espèces de bardanes se rencontrent très communément en France : la grande bardane (Arctium lappa) et la petite bardane (Arctium minus). Elles partagent toutes les deux ces structures accrochantes que beaucoup prennent pour des fruits.Pour comprendre à quoi elles correspondent , il faut revenir au moment de la floraison : les bardanes font partie des Composées ou Astéracées et leurs fleurs se trouvent réunies, très serrées en groupes sur un plateau commun (le réceptacle), formant une inflorescence contractée appelée capitule. Une couronne de bractées (formant un involucre) qui, chez les bardanes, sont transformées en longs crochets, entoure le capitule. A maturité, les fleurs au centre fanent et leurs corolles tombent ; les ovaires de ces fleurs fécondées donnent les vrais fruits, un par fleur, des akènes secs et noirs. Ils se retrouvent libres mais emprisonnés au cœur du capitule qui sèche et devient tout brun.Les tiges qui portent ces capitules sèchent aussi (toute la plante sèche sauf la racine qui persiste) et deviennent très cassantes.

Un voyage au poil !

Si un animal ou un humain vient à effleurer ces grappes de capitules secs avec sa fourrure ou ses vêtements selon, ces derniers s’accrochent aussitôt et se détachent très facilement du fait de la fragilité des tiges porteuses. L’animal ou l’humain va se déplacer tout en transportant les capitules à « l’insu de son plein gré » et, plus ou moins tard, va chercher à se débarrasser de ces encombrants compagnons de voyage. Il va donc par jeter  l’ensemble par terre où les akènes vont pouvoir germer après avoir parcouru une plus ou moins grande distance : c’est le principe de la dispersion par transport externe sur des animaux que l’on nomme épizoochorie (epi = en surface ; zoo = animal ; chorie = porter). Par ailleurs, même en cours de route, des akènes ont déjà pu s’échapper des capitules accrochés au hasard des secousses.

Deux fonctions en une

Quand on regarde le capitule dès le début de la floraison, on note que les bractées crochues d’abord vertes et rigides forment une véritable armure déployée en cercle tout autour des fleurs : elles jouent alors un rôle de protection vis-à-vis des insectes herbivores, au moins pour ceux qui cherchent à arriver par en dessous. Ces bractées a priori dédiées au transport assurent donc une seconde fonction collatérale intéressante. Nous verrons dans une autre chronique que ces mêmes bractées protègent peut-être aussi les « graines » à l’intérieur contre les attaques d’oiseaux. Comment expliquer l’apparition de cette double fonction au cours de l’évolution ?

Dans l’immense famille des composées, les bardanes font partie de la tribu des Carduoidées en compagnie des chardons, cirses, carlines, onopordons, .. qui sont autant de plantes avec des capitules à bractées épineuses. La fonction première d’un capitule à bractées épineuses est la protection anti-herbivore. Ensuite, on peut imaginer le scénario suivant : dans la lignée des bardanes, une mutation aurait transformé les épines en épines crochues qui conservent leur pouvoir dissuasif tout en devenir agrippantes. Comme ce dispositif nouveau s’est trouvé « par hasard » faciliter la dispersion, il a du être sélectionné rapidement et a du se développer pour atteindre ce qu’il est aujourd’hui. On appelle exaptation ce genre d’adaptation apparue secondairement à partir d’une structure dédiée à l’origine à un autre rôle.

De vraies teignes

Cette particularité frappante leur a valu en langage populaire toutes sortes de noms évocateurs : tiro-péu (tire-cheveux) en occitan ; peignerolle, grappon, gratteau ou grattons. Le nom latin du genre Arctium dérivé de Arctos pour ours rappelle cet aspect hérissé.

Comme les bardanes possèdent entre autres propriétés médicinales avérées celle d’être dépuratives, on préconisait pour les maladies de peau d’appliquer de la pulpe fraîche de racines ; cela a débouché sur le surnom d’herbe-aux-teigneux ; mais il faut aussi sans doute voir là un bel exemple de moyen mnémotechnique de retenir les propriétés quand on sait le sens populaire du mot teigne.

A Chateaumeillant dans le Boischaut (Bas-Berry) (d’où je suis originaire !), depuis trois siècles, on fête début septembre (quand les bardanes ont commencé à sécher) la fête des grattons en mémoire du temps où on préparait avec cette plante un remède censé guérir de la peste. Mais la vraie « peste », ce sont bien les faux-fruits que l’on se jetait les uns sur les autres lors de batailles mémorables au cours de cette kermesse annuelle qui perdure …. mais sans les batailles.

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En Angleterre, la bardane se nomme burdock : dock désigne tout un ensemble de « grandes plantes » (telles que les patiences) et burr (ou bur) désigne toutes sortes de fruits dotés d’épines ou de crochets. A Edinbourg, on fête chaque année depuis 1687 Burry Man (4) vers la fin août : un volontaire (il a du mérite) est recouvert de la tête aux pieds de capitules de bardanes accrochés sur des sous-vêtements en flanelle (il faut deux heures pour l’habiller !) ; il déambule dans les rues et reçoit des cadeaux. Certains interprètent ce rite païen comme une transposition du bouc émissaire qui transporterait toutes les influences maléfiques hors de la cité… comme les animaux emmènent les capitules avec eux !

La bardane et la sérendipité

La sérendipité (mot entré très récemment dans le langage français et issu de l’anglais) ou l’art en science de trouver ce que l’on ne cherchait pas ou autre chose que ce que l’on cherchait est souvent illustré avec une histoire liée à la bardane. En 1941, un ingénieur suisse, G. de Mestral (esprit très inventif puisque dès l’âge de 12 ans il avait déjà déposé un autre brevet technique) rentre d’une ballade avec son chien. Il constate que sur son pantalon et la fourrure de son chien sont accrochés des capitules de bardanes. Intrigué, il les observe au microscope et découvre la forme en crochets. Il va en tirer une invention géniale toujours d’actualité, un textile accrochant, le velcro. Ce tissu auto-agrippant se compose de deux couches qui s’assemblent à la demande : une couche avec des crochets souples en nylon en forme d’hameçons (correspondant aux bractées de la bardane) et une autre avec des boucles souples (correspondant aux fibres du vêtement). Velcro a été construit à partir de vel pour velours et cro pour crochet. G. de Mestral dépose le brevet international (3) en 1952 et Velcro est devenu une marque déposée.

Cet exemple de biomimétisme (imitation du vivant à des fins industrielles) (2) a trouvé des applications jusque dans la conquête de l’espace par la NASA : pour attacher des poches de nourriture en apesanteur aux parois des vaisseaux spatiaux ou les carnets de note des astronautes et aussi lors des sorties dans l’espace. En effet, ce dispositif d’accrochage présente l’avantage irremplaçable d’être purement mécanique et indépendant des conditions externes (comme les dispositifs collants) et de ne pas demander une grande précision pour assembler les deux couches.

Nous verrons dans une autre chronique qu’en fait, le modèle du velcro ne correspond pas entièrement au « comportement » réel des crochets de la bardane mais plutôt à ceux d’une autre plante bien moins connue, la circée (1) !

BIBLIOGRAPHIE

  1. A biomimetic study of natural attachment mechanisms—Arctium minus part 1. Bruce E. Saunders Robotics and Biomimetics 2015, 2:4
  2. Biomimetics on seed dispersal: survey and insights for space exploration. Camilla Pandolfi and Dario Izzo Bioinspir. Biomim. 8 (2013) 025003.
  3. Velvet type fabric and method of producing same US 2717437 A (Brevet déposé par G. de Mestral)
  4. FLORA BRITTANICA. R. Mabey. Ed. Chatto and Windus. 1997

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les bardanes
Page(s) : 208 Guide des plantes des villes et villages
Retrouvez la notion d'exaptation
Page(s) : 80-83 Guide critique de l’évolution