Mirabilis jalapa

Dans son pays d’origine (l’Amérique du sud et centrale), la belle-de-nuit est pollinisée par des espèces de sphinx, grands papillons nocturnes à longue trompe qui lors de la récolte du nectar tout au fond du tube floral assurent le transfert du pollen accroché à leur corps sur le stigmate saillant. Deux chroniques ont détaillé ces aspects : l’une sur la structure de la fleur et la chronologie de sa floraison et l’autre sur cette relation avec ses pollinisateurs.

Parmi les attributs de la fleur susceptibles d’attirer ces pollinisateurs (ce que l’on appelle le syndrome de la sphingophilie : voir la seconde chronique) figure le parfum sucré de cette fleur. Il a été analysé dans ses moindres détails par une équipe de chercheurs allemands et suisse (1).

Une vraie petite merveille au jardin !

En plus de sa beauté, la belle-de-nuit étonne par son parfum subtil !

Un parfum assez simple

L’analyse chimique révèle quatre substances odorantes principales, ce qui reste assez limité et en fait un bon modèle d’étude. Le parfum de la belle-de-nuit reste dominé une substance du groupe des ocimènes (mot dérivé de Ocimum, le nom latin du basilic au parfum si tenace), un bêta-ocimène, à odeur citrique, chaude et florale, utilisé par ailleurs comme phéromone par les abeilles. Ensuite, par ordre décroissant, on trouve un myrcène que l’on retrouve dans de nombreuses huiles essentielles, un acétate héxényl-3 à odeur de fruit vert et un farnésène à odeur de pomme verte. Evidemment, compte tenu de la chronologie très spécifique de la floraison (voir la chronique sur ce sujet), on peut supposer qu’il doit y avoir une certaine relation entre l’émission de ces substances prises séparément et l’attraction exercée sur les sphinx.

Deux pics odorants

L’analyse fine des émanations odorantes des fleurs montre que le composant principal, le bêta-ocimène, présente un maximum d’émission entre 17H et 20H ; il reste détectable jusque vers 02H du matin avant de quasiment disparaître. Sa libération coïncide donc avec le pic d’activité des grands sphinx pollinisateurs centré vers 19H (voir la chronique sur la pollinisation) ; il doit donc jouer un rôle central dans l’attraction de ceux-ci vers ces fleurs en particulier (rappelons que ce sont des espèces de papillons généralistes qui ont, en quelque sorte, l’embarras du choix).

Par contre, un autre composé, l’acétate d’héxényl-3 présente un pic plus tardif décalé par rapport au précédent entre 20H et 23H pour s’atténuer ensuite. Or, cette substance est connue par ailleurs pour être émise par diverses plantes en cas d’attaques par des herbivores comme signal répulsif envers les agresseurs. L’hypothèse serait donc que cette émission viserait à éloigner les femelles de papillons nocturnes qui, une fois le butinage terminé, pourraient être tentées de pondre leurs œufs sur cette plante ; cela a déjà été démontré sur d’autres espèces.

On voit donc que le parfum pourrait avoir plusieurs significations par le fractionnement dans le temps des émissions de ses constituants !

D’où viennent ces substances odorantes ?

Pour détecter les zones productrices, les chercheurs utilisent sur des fleurs fraîchement coupées le colorant rouge neutre qui pénètre sélectivement dans les zones odorantes en activité. Ainsi, ils ont pu montrer qu’au niveau de la fleur, ce sont les lobes de la fausse-corolle en dehors du dessin central en forme d’étoile qui les sépare (et visible par transparence sur une fleur fraîche) avec, à l’intérieur de ceux-ci des sous-zones plus spécialisées avec des structures cellulaires différentes. L’ activité de libération de substances odorantes se fait surtout sur l’épiderme supérieur de ces lobes doté de cellules distendues surélevées qui rappellent celles observées sur les pétales de roses ou de pétunias, deux fleurs très odorantes. Le dessous de la fausse-corolle a une structure qui se rapproche plus de celle d’une feuille (il s’agit en fait d’un calice coloré, donc avec une structure plus proche de celle d’une feuille).

Par ailleurs, sur ces mêmes lobes, il y a des stomates (ouvertures servant à faire des échanges gazeux avec l’extérieur) mais leur activité n’est pas en lien avec les pics d’émissions odorantes qui ont lieu le soir ou la nuit. Enfin, il existe un revêtement de poils multicellulaires, notamment sur le dessous de la fausse-corolle ; une analyse chimique montre qu’ils contiennent bien un composé odorant, un farnésène mais pas du même type que celui trouvé dans le parfum. Peut-être, servent-ils de site de stockage avant que cette substance ne soit convertie en produit actif ailleurs.

Ce sont donc les lobes de la fausse-corolle qui assurent la fonction odorante.

Une évolution complexe

Dès que l’on analyse en profondeur un processus biologique comme celui de l’émission de parfum, on se rend compte que rien n’est simple et qu’il existe une compartimentation très précise des émissions.

Une autre étude (2) élargie à vingt autres espèces de la même famille des Nyctaginacées, elles aussi pollinisées par des papillons nocturnes (sphinx ou phalènes), montre que chacune d’elles possède son propre cocktail de composés volatiles avec des substances spécifiques à certaines espèces donnant un caractère unique à nombre de ces parfums. Certaines des substances odorantes se retrouvent par ailleurs dans des parfums de fleurs d’autres familles qui attirent des catégories d’insectes très différents comme des coléoptères. Une telle évolution aussi complexe tient sans doute à la complexité des chaînes métaboliques qui permettent la synthèse de ces substances, chaînes avec souvent des dizaines d’intermédiaires et d’enzymes, qui sont autant de maillons susceptibles d’être affectés par des mutations.

BIBLIOGRAPHIE

  1. VOLATILE COMPOSITION, EMISSION PATTERN, AND LOCALIZATION OF FLORAL SCENT EMISSION IN MIRABILIS JALAPA (NYCTAGINACEAE). U. EFFMERT, J. GROßE, U. S. R. ROSE, F. EHRIG, R. KAGI, and B. PIECHULLA. American Journal of Botany 92(1): 2–12. 2005.
  2. Fragrance chemistry and pollinator affinities in Nyctaginaceae. Rachel A. Levin, Robert A. Raguso, Lucinda A. McDade. Phytochemistry 58 (2001) 429–440

A retrouver dans nos ouvrages

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