Anguis fragilis

Le premier réflexe quand on voit pour la première fois un orvet, c’est de le prendre pour un serpent. Et là, vous avez probablement entendu ou lu cette docte affirmation à son propos : « mais non, l’orvet n’est pas un serpent, c’est un lézard sans pattes » ! Qu’en est-il vraiment de ce distinguo lézard/serpent et cette affirmation sur l’orvet vaut-elle encore avec les données nouvelles sur les parentés entre espèces d’êtres vivants et la reconstitution de l’arbre de la vie.

Feu les Reptiles

Traditionnellement, on faisait des lézards et des serpents deux groupes bien distincts que l’on classait aux côtés des tortues, des crocodiles entre autres dans le grand groupe des Reptiles. Or, avant même l’avènement de l’utilisation des données moléculaires (l’ADN) qui va bouleverser la classification du monde vivant, on avait vite repéré, rien qu’avec les données anatomiques, que les crocodiles étaient en fait plus apparentés aux oiseaux (et donc aux dinosaures) qu’ils ne l’étaient aux lézards et que les tortues forment un groupe à part (Chéloniens) non apparenté aux lézards ni aux serpents. Ce terme de Reptiles continue d’être utilisé dans le langage courant mais au même titre que la notion de fruits et légumes dans le commerce ; dès lors que l’on se place dans un contexte scientifique de parentés, de classification, il n’a plus aucune raison d’être. Il n’est plus que le reste « fossilisé » de l’ancienne idée fausse de la classification des êtres vivants faite de grades successifs, avec tout au sommet, comme par hasard, les mammifères et l’espèce humaine.

Bon, d’accord, direz-vous, mais lézards et serpents restent-ils des termes scientifiques ?

Les serpents sont des lézards ?

Toutes les études récentes basées sur des données moléculaires (l’ADN) convergent vers une redéfinition complète des « lézards et serpents » : l’arbre de parentés présenté dans l’ouvrage « Classification phylogénétique du vivant » (voir la rubrique ouvrages en bas de page) illustre cette révolution.

D’emblée, on se sent un peu désorienté par tous ces noms ésotériques : laissons les de côté pour nous concentrer sur les quelques images présentées. Et là, nous réalisons que, nous occidentaux, nous n’avons qu’une très petite idée de la diversité réelle de ces animaux dont nous ne côtoyons qu’une infime fraction de la gigantesque diversité : plus de 9400 espèces dans le monde ! Pour comparaison, il n’existe qu’à peine 5000 espèces de mammifères. Ainsi ; qui connaît ces étranges animaux sans pattes au mode de vie fouisseur : les dibamiens et les amphisbènes ?

Quelle histoire nous raconte cet arbre ? La lignée des serpents (les Ophidiens) se trouve enracinée au cœur de cet arbre au beau milieu d’autres groupes de « lézards ». Autrement dit, les serpents sont des lézards ou plutôt la distinction lézards/serpents n’a plus de sens : ils forment un seul et même groupe (avec en plus les amphisbènes et les dibamiens) que l’on nomme désormais Squamates (mot dérivé de squame pour écaille). La famille des Lacertidés (« nos » lézards tels que le lézard vert ou le lézard des murailles) est plus proche parente des Amphisbènes que de l’orvet ou des geckos ou des scinques !

On réalise donc que le mot lézard cache en fait une grande variété de formes, non directement apparentées puisque réparties sur des branches différentes de l’arbre. En fait, pour être vraiment en phase avec la diversité de ce groupe, il faut se dire que les iguaniens (avec les caméléons, les iguanes, les agames, les fouette-queues ou le basilic) ont très peu à voir avec les lacertidés qui incluent « nos » lézards comme le lézard vert : ils sont aussi différents entre eux que le sont les chauves-souris des ruminants au sein des Mammifères. Nous sommes des Mammifères et nous saisissons bien mieux les différences au sein de notre propre groupe qu’au sein de groupes bien plus éloignés qui nous sont si étrangers.

En fait, lézards et serpents sont des types comme nous aimions en créer autrefois mais ce vocabulaire nous empêche de saisir l’étendue de la diversité réelle et de la complexité du vivant.

Et l’orvet, où est-il ?

L’orvet (Anguis fragilis) se retrouve dans le groupe des Anguimorphes avec comme « compagnons », accrochez vous bien, les Varans ou le Monstre de Gila, ce gros « lézard » (on ne peut pas s’en passer !) des déserts américains ! Des caractères anatomiques partagés confortent cette parenté. L’absence de pattes chez l’orvet ne constitue pas un obstacle en soi à ce rapprochement : la perte des membres est un processus récurrent au sein des Squamates et il s’est manifesté à plusieurs reprises et de manière indépendante chez les Dibamiens, les Amphisbènes, les Serpents à deux reprises (on a trouvé des fossiles d’Ophidiens dont des boas avec des petits membres encore présents) mais aussi dans diverses familles çà et là comme dans la famille des orvets (ou encore chez les scinques).

Mais le plus surprenant dans ce nouvel arbre, ce sont « les parents immédiats » des anguimorphes : les Iguaniens et les Ophidiens ou serpents. Tous les trois forment le groupe des Toxicofères au nom très évocateur : ils partagent tous des glandes sécrétrices de protéines dans leurs mâchoires qui sont devenues les glandes à venin des serpents ! La découverte inouïe de cette parenté improbable a d’ailleurs permis d’orienter des recherches et de découvrir qu’effectivement, outre le monstre de Gila connu depuis longtemps comme « lézard » venimeux, des varans (dont le fameux varan géant de Komodo) et au moins une espèce d’iguane secrétaient du venin et que leur morsure provoquait une envenimation. Ces glandes ont régressé devenant relictuelles et inoffensives chez les iguanes et ont disparu complètement chez d’autres dont les orvets. Notons que les caméléons (du groupe des Iguaniens), s’ils n’ont plus du tout de telles glandes conservent néanmoins dans leur génome les gènes qui dirigeaient ce caractère. Donc, rassurez vous, l’orvet n’est pas « devenu » venimeux avec tous ces bouleversements !

Tout simplement, …. un orvet !

Depuis la publication de l’arbre proposé ici, une nouvelle étude publiée en 2013  et portant sur plus de 4OOO espèces et 17 marqueurs génétiques différents confirme très largement cette classification. Elle apporte un petit détail supplémentaire intéressant à propos des fameux Toxicofères où se trouve notre orvet : dans l’arbre représenté, ce groupe reste irrésolu avec les trois branches au même niveau. La nouvelle étude place les Ophidiens ou serpents en position .. basale. Donc, l’orvet au sein des Anguimorphes est encore plus apparenté aux Serpents qu’on ne le pensait !

arbre-toxicoferes

Nouvel arbre des Toxicofères (d’après 2)

Au final, sous forme de boutade, on pourrait plutôt dire désormais que l’orvet est un …. varan sans pattes  et que l’ancien nom de serpent de verre (lié à sa faculté d’autotomie : voir la chronique sur le lézard des murailles) n’était pas aussi malvenu qu’on le disait jusqu’alors ! La morale, c’est de ne plus chercher à enfermer les êtres vivants dans des types ou des grades toujours réducteurs mais à les regarder pour ce qu’ils sont avec leur propre histoire singulière.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Classification phylogénétique du vivant. Tome II. G. Lecointre ; H . LE Guyader. Ed. Belin 2013
  2. A phylogeny and revised classification of Squamata, including 4161 species of lizards and snakes. 
R Alexander Pyron, Frank T Burbrink and John J Wiens. Evolutionary Biology 2013, 13:93

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la classification des Squamates
Page(s) : 378-409 Classification phylogénétique du vivant. Tome II. 4ème édition revue et augmentée
Retrouvez l'orvet
Page(s) : 265 Le guide de la nature en ville