Apoidea Anthophila

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Le langage courant maîtrise très peu la notion d’espèce ce qui conduit souvent à ces tournures qui font dresser les cheveux sur la tête des biologistes (quand il leur en reste encore !) du style « la mésange vit près des hommes » ou « l’orchidée aime la chaleur » ! Avec la médiatisation accrue, les effets de telles « compressions biologiques » (réduire des dizaines voire des milliers d’espèces en une seule qui en serait l’essence) deviennent encore plus criants comme avec le problème « des » abeilles. Ainsi, on n’entend dire sans cesse « l’abeille est menacée », ou pire encore car plus sournois « les abeilles disparaissent » alors que ces articles (l’ ou les) ne recouvrent en fait qu’une seule et même espèce : l’abeille mellifère ou abeille des ruches ou abeille domestique (Apis mellifica), bien connue du grand public. Et ainsi passent à la trappe médiatique, d’un coup de baguette linguistique, près de mille espèces présentes en France et d’une importance écologique considérable : les abeilles dites solitaires dont le mode de vie n’a pas grand chose à voir avec leur cousine domestiquée. Ce sont les grandes oubliées de la biodiversité ordinaire (nombre d’entre elles vivent dans notre environnement proche) même si au cours de la dernière décennie les projecteurs se sont enfin braqués sur ces « sans-nom » de la biodiversité, occultées par l’omniprésente abeille domestique. Cette chronique présente ces abeilles solitaires avec un rapide balayage de leur diversité.

NB : Compte tenu de l’extrême difficulté à identifier ces espèces, la plupart des photos présentées ici ne mentionnent pas le nom d’espèce ni même de genre pour éviter de diffuser des infos erronées ! 

Un groupe informel

Le mot abeille présente quelques ambiguïtés quant à ses limites ; ainsi quand les scientifiques anglais parlent de « bees » sans qualificatif associé, ils englobent en fait les abeilles telles que nous les définissons (dont l’abeille domestique honeybee)et les bourdons (bumblebees). Ceci conduit souvent à des contre-sens lors de traductions mal maîtrisées.

La définition des « abeilles » devient encore plus complexe quand on prend en compte les dernières données sur les parentés : classiquement, on disait (et on continue de le dire dans de nombreuses sources !) que les abeilles (avec les bourdons) formaient la superfamille des Apoïdes ; mais les plus proches parents de la lignée des abeilles (les Anthophiles) sont en fait des guêpes dites solitaires telles que la philanthe apivore (une mangeuse d’abeilles !) ou les Bembex, elles mêmes apparentées à d’autres guêpes solitaires telles que les ammophiles (Sphécidés) : il faut donc aussi les inclure dans cette superfamille. Ces guêpes solitaires nourrissent leurs larves avec des proies paralysées stockées dans les nids (insectes, araignées). Finalement, la « grande famille des abeilles » se résume aux seules Anthophiles placées au beau milieu des guêpes solitaires !

Parmi les Anthophiles (mot-à-mot : « qui aiment les fleurs ») on distingue un certain nombre de familles dont six nous concernent en Europe. La famille la plus connue est celle des Apidés qui renferme les abeilles sociales (parfois appelées « vraies abeilles », terme qui en dit long !), les bourdons mais aussi d’autres groupes comme les abeilles charpentières ou xylocopes (voir la chronique) ou les anthophores. Ce sont ces deux dernières qui, avec les cinq autres familles restantes (Collétidés ; Halictidés , Andrénidés , Mélittidés , Mégachilidés ), forment le groupe informel des abeilles solitaires. Solitaire signifie que chaque nid est édifié par une seule femelle sans l’aide d’autres femelles même si nombre de ces espèces peuvent construire de nombreux nids côte à côte mais chaque nid est individuel. On voit donc que même le terme de solitaire introduit un peu de confusion !

Un non-portrait

Mission quasi impossible que de dresser un portrait robot d’un groupe aussi diversifié en espèces et aussi hétérogène dans ses limites non définies par des critères de parentés. En Europe, cependant, la tâche est un peu plus facile car en fait il suffit de savoir reconnaître la seule abeille sociale de notre faune, l’abeille domestique pour reconnaître en creux les abeilles solitaires : toute abeille qui n’est pas une abeille domestique est une abeille solitaire ! Drôle de définition mais bien pratique sur le terrain.

Rappelons donc d’abord les critères d’identification de l’abeille domestique sous sa forme la plus observée, les ouvrières butineuses. C’est une abeille de taille moyenne avec un thorax peu velu et gris jaunâtre et un abdomen avec une série de bandes plus claires ; deux autres critères décisifs ne peuvent s’observer que de près ou à la loupe : des poils sur les yeux et une cellule très particulière allongée au bout de l’aile.

Terminons ce portrait en creux en ajoutant quelques autres particularités (mais qui n’aident guère à l’identification !) : chez les abeilles solitaires, il n’y a pas de reines ; elles n’entreposent pas de miel dans des rayons en cire, substance qu’aucune ne peut fabriquer ; elles ne forment pas d’essaims ; elles ne sont pas agressives même si elles peuvent être dotées d’un dard. Pour le reste, on trouve de tout chez les abeilles solitaires : des très poilues et des moins poilues, des toutes petites et d’autres robustes et trapues voire très grosses (xylocopes), des brunes, des toutes noires, des violet foncé aux ailes enfumées, des noires et grises, … Il reste néanmoins deux types de critères qui relèvent des comportements : la manière du butiner et le type de nids construits que nous allons aborder successivement.

Des super pouvoirs

Si vous voyez une abeille avec des pelotes de pollen sous forme de boulettes collées aux pattes postérieures, c’est forcément une abeille domestique car aucune abeille solitaire ne possède de corbeille à pollen (une sorte de creux) sur ses pattes postérieures et ne peut donc fabriquer ni porter de telles boulettes. Chez les abeilles solitaires, le pollen est collecté à l’aide de poils raides ou brosse à pollen (comme chez l’abeille domestique) mais sans être ensuite réuni ensuite en boulette compacte ; cette brosse se trouve soit sur les pattes postérieures si bien que l’abeille en cours de butinage se signale par ses pattes arrière enduites de pollen, soit sous l’abdomen (seulement dans la famille des Mégachilidés).

Elles ajoutent un peu de nectar pour faciliter l’adhésion du pollen aux poils mais globalement, les grains de pollen se détachent assez facilement au cours des déplacements et visites successives. Ceci explique que les abeilles solitaires soient de remarquables pollinisateurs puisqu’elles distribuent ainsi facilement du pollen de fleur en fleur. On estime qu’une seule osmie rousse équivaut à … 120 ouvrières d’abeille domestique pour son efficacité dans la pollinisation (déposer du pollen sur les stigmates) ; les abeilles domestiques qui agglomèrent le pollen en perdent beaucoup moins en route et cela représente autant de pollen perdu pour les plantes qui finira dans la ruche.

Plus ou moins sélectives

Une autre particularité conforte cette efficacité dans la pollinisation : nombre d’espèces d’abeilles solitaires sont relativement spécialisées dans leurs choix de fleurs à butiner ; les espèces dites oligolectiques ne butinent que les fleurs de quelques espèces d’une même famille. Une telle fidélité (mais qui n’est jamais absolue) augmente considérablement les chances pour que du pollen d’une fleur atterrisse sur le stigmate d’une autre de la même espèce. Ainsi, la collète du lierre (voir la chronique) se spécialise sur le lierre et n’émerge qu’en fin d’été avec la floraison de ce dernier ; l’andrène de la bryone butine essentiellement sur les fleurs de celle-ci (voir la chronique) ; … A l’inverse, les espèces polylectiques qui butinent « un peut tout » sont moins efficaces …. comme l’abeille domestique, une des plus généralistes qui soient, capable de butiner sur des centaines d’espèces de fleurs différentes.

 

Compte tenu de ces capacités hors normes, les abeilles solitaires deviennent des axillaires de plus en plus sollicitées dans les cultures comme les osmies dans les vergers de pommiers (appréciées notamment pour leur capacité à voler même par temps froid) ou une espèce de mégachile élevée en grand pour polliniser les cultures de luzernes destinées à la production de graines.

Les abeilles solitaires récoltent aussi le nectar, leur source principale  d’énergie; la collecte se fait avec leur langue (glosse) plus ou moins longue qui leur sert à lécher et aspirer le liquide sucré. Les espèces à langue courte exploitent des fleurs relativement ouvertes et faciles d’accès (ombellifères, composées, crucifères, …) alors que les espèces à longue langue recherchent des fleurs à corolles plus profondes ou au nectar moins facile d’accès (papilionacées, labiées et scrofulariacées).

Diversité des nids

Chez les abeilles solitaires, soit les nids sont libres, entièrement construits par les femelles sur divers supports, soit (dans plus de 70% des espèces) ils sont installés dans des cavités déjà existantes ou creusées par les femelles. Chaque nid se compose de plusieurs cellules ou loges et dans chacune d’elles est déposé un œuf sur un bloc de pollen (et parfois additionné de nectar) qui servira de réserve de nourriture pour la future larve ; chaque cellule est fermée et dès lors la femelle n’y viendra plus et n’aura donc aucun contact avec ses descendants. Dans les cavités étroites, les cellules se trouvent ainsi les unes derrières les autres, en enfilade. Au moment de la ponte, la femelle peut décider du sexe de l’individu à venir ; ainsi, les œufs pondus près de la sortie de la file donneront des mâles qui sortiront en premier … et attendront les femelles qui naîtront à partir des œufs situés vers le fond pour s’accoupler !

Les supports varient énormément selon les espèces et familles : galeries creusées dans le sable ou la terre compacte ; galeries creusées dans des tiges sèches à moelle tendre, dans du bois mort ou des galles ; coquilles vides d’escargots ; nids collés aux murs ou parois rocheuses ; ….

Tout aussi variés sont les matériaux servant à élaborer les cloisons entre cellules et l’opercule terminal : moelle ou sciure de bois ; terre fine mêlée de fins graviers et de salive ; ciment végétal à partir de fragments de feuilles ou de pétales de fleurs ; duvet végétal récolté sur des feuilles de plantes cotonneuses ; résine ; sécrétion sucrée de la femelle transformée en une sorte de cellophane très fine ; …

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La pose de nichoirs à abeilles est devenue très populaire et constitue une aubaine pour les espèces qui habitent près des maisons.

Une reproduction limitée

Le plus souvent, ce sont les larves qui hibernent et se métamorphosent au printemps pour donner la génération d’adultes l’année suivante. La plupart des espèces sont univoltines, i.e. avec une seule génération par an.

Les abeilles solitaires se distinguent par leur faible fécondité : une femelle pond en général au plus 30 à 40 œufs en un mois environ (un par un au fur et à mesure qu’elle élabore les cellules) ; par contre, compte tenu des soins apportés en amont (nid fermé et réserves de nourriture), la mortalité reste relativement faible : « seulement » 40 à 50% !

L’ennemi principal des abeilles solitaires pour la nidification, ce sont d’autres abeilles solitaires ; en effet, il existe toute une série d’espèces spécialisées qualifiées d’abeilles-coucous qui pondent leurs œufs par effraction dans les nids en construction : les larves détournent les réserves à leur profit (cleptoparasites ; i.e. « voleurs ») . Le plus étrange c’est que des genres parasites sont ainsi apparus dans plusieurs des familles de ce groupe et chacun est plus ou moins spécialisé sur un groupe donné d’abeilles solitaires souvent de de la même famille : les Sphecodes parasitent les Halictes ou les Colletes, les Nomada les Andrènes et ainsi de suite !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Guide des abeilles, bourdons, guêpes et fourmis d’Europe. H. Bellmann. Ed. Delachaux et Niestlé. 1999
  2. LES ABEILLES SOLITAIRES:
DES INSECTES POLLINISATEURS PEU CONNUS. Annie Jacob-Remacle ; pdf sur le site de l’OPIE ; (http://www.insectes.org/opie/)
  3. EN SAVOIR PLUS SUR LES ABEILLES…
Mini-guide d’accompagnement au protocole « Abeilles solitaires » ; http://observatoire-agricole-biodiversite.fr/
  4. Suivi Participatif des Abeilles. Livret d’identification abeilles sauvages ; https://www.arthropologia.org
  5. Les nids d’abeilles solitaires et sociales. C. Villemant ; http://www.nichoir.fr/boutique_us/

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les abeilles solitaires des villes
Page(s) : 283 à 287 Le guide de la nature en ville