Tripolium pannonicum

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C’est après la fin des dernières vagues de vacanciers, quand un calme relatif s’installe enfin sur les côtes délaissées, que l’on peut profiter du spectacle des tapis fleuris d’aster maritimes dans les marais côtiers. Voilà donc une occasion de découvrir les facettes méconnues de cette espèce très spécialisée et indissociable de son milieu tout aussi particulier : les vasières soumises au balancement des marées dans les estuaires et les marais salants qui communiquent via des canaux avec la mer. C’est le domaine des vases et des tangues, ces dépôts de sédiments fins et argileux qui s’accumulent. Là, l’aster maritime occupe deux types de milieux aux noms délicieusement « exotiques » (d’origine néerlandaise : normal, c’est le pays des polders !) : la haute-slikke sur la vase molle recouverte à chaque marée (même les plus faibles) et le bas-schorre, fait de vase consolidée qui n’est recouvert que lors des fortes marées. Une vie très contrainte donc entre dépôts de vase, sel et inondations/exondations répétées !

La marguerite de Saint Michel

Originellement, c’est l’aster maritime qui avait reçu ce surnom pour signifier sa floraison tardive, la Saint Michel se situant le 29 septembre ; il était alors le seul « aster » (nom général qui englobe en fait plusieurs genres proches pour les botanistes) à fleurir si tard et de manière massive. Au 18ème siècle, avec l’introduction des asters américains (genre Symphyotrichum), ce nom leur a été transféré sous la forme anglaise Michaelmas-daisy.

Comme cette plante forme de vastes colonies très denses, sa floraison ne passe pas inaperçue sur le fond vert sombre du feuillage, dans ce décor plutôt gris des vasières côtières. Comme toutes les astéracées ou composées, les asters maritimes arborent des capitules de type marguerite : un disque central de fleurs en tube jaune vif (les fleurons) et une couronne de languettes mauve clair rayonnantes (les ligules). La combinaison feuillage vert/ligules violettes/fleurons jaunes est d’ailleurs à l’origine du nom de genre latin Tripolium qui signifie tricolore. Quant à l’épithète pannonicum, il fait allusion à la Pannonie, cette ancienne région d’Europe centrale (vers la Hongrie) dont les steppes salées continentales hébergent aussi cet aster.

Cependant cette description ne vaut que pour une partie des asters maritimes ; en effet, il existe deux formes fleuries différentes : la forme à ligules (donc type marguerite) et une forme sans ligules, autrement dit aux capitules formés uniquement de fleurons jaune d’or et qui rappelle une autre composée, l’aster linosyris (Galatella linosyris). Elevée au rang de variété (var. discoideus) cette forme sans ligules est très répandue au nord en Picardie et plus au sud en Vendée mais reste rare en Bretagne. Sur le terrain, en Vendée par exemple, on trouve les formes ligulées dans les marais salants alors que les formes jaunes sans ligules abondent dans la partie estuaire. Mais on observe des exceptions nombreuses. Cela démontre en tout cas un premier caractère de cet aster : sa variabilité, une qualité sans doute essentielle pour survivre dans ces milieux extrêmes.

Une floraison attractive

Au moment où fleurissent les asters (essentiellement septembre-octobre), il n’y plus guère qu’eux à offrir des fleurs en abondance dans ces milieux littoraux. Aussi, les tapis fleuris d’asters et leurs milliers de fleurs en tubes chargées de nectar attirent irrésistiblement les pollinisateurs encore présents. On peut observer alors de véritables nuées de piérides blanches et d’autres jaune orangé du genre Colias (le souci, le soufré et le fluoré) qui butinent cette provende inespérée.

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Piérides du genre Colias butinant des asters maritimes fin septembre.

Les abeilles domestiques viennent aussi se ravitailler mais il y a une petite abeille solitaire, la collète du sel (Colletes halophilus), brune avec l’abdomen rayé qui collecte le pollen des asters de manière presque exclusive. Elle vole de mi-août à fin octobre et installe ses terriers dans le sable des dunes, tout près des marais à asters. Elle fait partie de ce groupe d’abeilles solitaires très spécialisées comme la collète du lierre commune à l’intérieur et qui butine presque exclusivement le lierre en automne.

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La collète du lierre est très proche de la collète du sel qui recherche les asters.

Les sommités fleuries servent aussi de nourriture aux larves d’un petit capricorne très élégant, la saperde à pilosité verdâtre (Agapanthia villosivridescens) : ces larves creusent le haut des tiges mais de l’intérieur sous les inflorescences ; cette espèce n’est pas inféodée à cet aster mais recherche les plantes des milieux humides et dans les zones d’estuaires, l’aster peut devenir sa « proie » principale. Aux Pays-Bas, dans les zones estuariennes, ce coléoptère prend même un caractère invasif sur les peuplements d’asters.

Il n’aime pas le sel !

Un comble direz-vous pour une plante dite halophyte qui vit dans des milieux justement caractérisés par une certaine salinité qui peut en plus fluctuer au gré des marées côté mer et avec l’arrivée d’eau douce côté fleuve. En plus, l’aster maritime est capable de supporter des salinités atteignant les 2/3 de celle de l’eau de mer ce qui est considérable. Mais cela semble bien être le lot commun des plantes halophytes : le sel est un poison dangereux s’il envahit l’organisme et ces plantes, en fait, ont acquis des dispositifs leur permettant de surmonter ou de résister à ce problème.

Parmi les mécanismes dont dispose l’aster maritime, l’un concerne le stockage du sodium (un des deux composants du « sel » de mer, le chlorure de sodium) (1). La plante accumule de grosses quantités de sodium dans ses cellules épidermiques et dans les tissus sous-jacents ce qui lui permet de résister à l’invasion de sodium. Par contre, les cellules qui contrôlent l’entrée et l’ouverture des stomates réussissent, elles, à conserver une concentration en sodium basse ; rappelons que les stomates sont ces minuscules orifices des feuilles permettant à la plante de respirer et de prélever le dioxyde de carbone pour faire la photosynthèse et donc se nourrir. La conséquence pratique importante, c’est que les stomates vont pouvoir rester ouverts et la plante va continuer à se nourrir en dépit de cette invasion de sel qui, chez une plante « normale », induirait la fermeture des stomates.

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Peuplement d’asters maritimes côtoyant une colonie de fucus (algue brune marine) à marée basse dans un estuaire en Vendée.

Sur le terrain, ce « désamour du sel » s’observe bien : sur les terrains très salés, les asters restent très petits et ne produisent que quelques capitules à la floraison ; en terrain saumâtre, plus dilué en sel, les asters prennent un port opulent et fleurissent massivement.

Une autre étude (2) montre, en situation expérimentale, que si on élève le taux de dioxyde de carbone (CO2) autour des asters, cela augmente encore plus cette tolérance au sel via l’activation accrue de certaines enzymes permettant une détoxification. Autrement dit, dans le contexte actuel, l’aster maritime est prêt pour un futur proche et déjà bien enclenché !

Et les submersions ?

En plus du problème de la salinité, l’aster doit affronter les submersions répétées notamment dans la haute-slikke (voir introduction) où lors des fortes marées, il peut être presque entièrement recouvert pendant quelques heures. Pour résister à ce second problème, l’aster semble bénéficier de l’aide de champignons associés à ses racines (mycorhizes). Une étude portugaise (3) a étudié cet aspect expérimentalement. Les pieds d’asters mycorhizés (pourvus de ces champignons) résistent mieux en grandissant plus vite que ceux qui en sont dépourvus. Au début de l’installation des champignons dans les racines, la plante connaît une période de stress qui limite sa croissance mais ensuite, elle en profite nettement. Il semble que le champignon associé agit sur la rétention de sucres solubles dans les cellules ce qui augmente la résistance au sel.

Le légume-feuille de l’avenir ?

 

On voit donc que l’aster maritime dispose de sérieux atouts pour la survie ne milieu salé très contraint. Or, dans de nombreux pays (notamment semi-désertiques), la salinisation des terres et leur stérilisation suite à une irrigation mal gérée reste un problème considérable. Parmi les candidats possibles pour une culture commerciale sur de telles terres, l’aster maritime occupe une bonne place car son feuillage un peu charnu au goût légèrement salé (çà se comprend !) est parfaitement comestible et il pourrait devenir un légume feuille d’avenir ! Des essais prometteurs ont commencé dans divers pays dont Israël. Par contre, les biotechnologies lorgnent aussi sérieusement vers l’aster en s’intéressant à ses gènes, histoire de les récupérer pour les inoculer à d’autres espèces non résistantes au sel ! A tout prendre, je référerais très nettement manger de l’aster maritime avec quelques huîtres qu’un quelconque OGM et au moins, les champs fleuris d’asters bénéficieraient à la biodiversité sur ces terres stérilisées !

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Grosse colonie fleurie d’asters maritimes (sans ligules) au bord d’un estuaire, fin septembre en Vendée.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Avoidance of sodium accumulation by the stomatal guard cells of the halophyte Aster tripolium. L.K.R.R. Perera, D.L.R. De Silva and T.A. Mansfield. Journal of Experimental Botany, Vol. 48, No. 308, pp. 707-711, March 1999
  2. Elevated atmospheric CO2 concentration enhances salinity tolerance in Aster tripolium L.Nicole Geissler • Sayed Hussin • Hans-Werner Koyro. Planta (2010) 231:583–594
  3. How do mycorrhizas affect C and N relationships in flooded Aster tripolium plants? Domingos Neto, Luıs M. Carvalho, Cristina Cruz & Maria Amelia Martins-Loucao. Plant and Soil (2006) 279:51–63

A retrouver dans nos ouvrages

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