Coccinellidae

« La coccinelle se nourrit de pucerons » : cette phrase sentencieuse, vous avez déjà du la lire plus d’une fois. Et pourtant, il s’agit là d’un cliché très réducteur et à double titre : ce n’est pas la coccinelle mais les coccinelles et les pucerons sont loin d’être la seule nourriture de ces insectes ! Ce type de généralisation à outrance foisonne dans les journaux, les magazines de jardinage ou nature et jusque dans les manuels scolaires et traduit bien la méconnaissance générale de ce qu’est la biodiversité avec toutes ses disparités au niveau des modes de vie et notamment des régimes alimentaires. Faisons donc plus ample connaissance avec les coccinelles que l’on croit connaître mais dont on ne connaît en général que une ou au plus deux espèces : la coccinelle à sept points, l’archétype de représentation imagée d’une coccinelle et la coccinelle asiatique, l’archétype de l’espèce invasive honnie. Une vision bien étriquée au regard des quelques 130 espèces au moins observables en France et de la diversité de leurs régimes alimentaires.

Coccinelle à sept points au milieu d’une colonie de pucerons sur une oseille sauvage

Portrait robot

Avant d’aborder la question du régime alimentaire, il faut d’abord appréhender qui sont vraiment les coccinelles. Les entomologistes considèrent comme « vraies  coccinelles » les insectes de la famille des Coccinellidés réparties dans deux tribus : celle des Coccinellinés (Coccinellini) avec près de 1000 espèces réparties entre 90 genres et celle, réduite, des Chilocorinés (Chilocorini). La famille des Coccinellidés se classe au sein d’une super-famille (Coccinelloidés) qui regroupe 15 familles et plus de 6000 espèces, apparentées aux « vraies » coccinelles mais très différentes d’aspect. Et tout ce beau petit monde se niche au cœur du méga-groupe des Coléoptères (les « scarabées », les beeetles des anglo-saxons) ! Nous baignons là dans la diversité extrême, loin, très loin de « la » coccinelle !

Au sein de la famille des vraies coccinelles, la diversité règne tout autant. Une bonne moitié des espèces répondent peu ou prou à l’image archétypale citée en introduction, celle de la coccinelle à sept points, une des espèces très communes chez nous (ou tout au moins qui l’était jusqu’à l’arrivée de la coccinelle asiatique !) : un « scarabée » de forme arrondie, de taille moyenne, aux ailes durcies (élytres) formant une carapace sur le corps, vivement coloré et luisant et avec un nombre variable de points ou de taches. Mais, cette famille renferme aussi tout autant d’espèces ne correspondant pas à ce schéma : des couleurs unies et/ou une taille minuscule et/ou un corps de forme plus allongée ! En plus, dans d’autres ordres d’insectes, on trouve des espèces ayant une apparence qui peut rappeler celle des coccinelles !

Une vraie coccinelle doit réunir les caractères suivants : des élytres qui couvrent tout l’abdomen ; des antennes courtes terminées en massue renflée et souvent peu visibles car insérées sous un rebord de la tête, des palpes terminés par un article en forme de hache typique, une taille ne dépassant le centimètre, une forme arrondie ou ovale de profil, une tête comme rentrée sous l’avancée du thorax en forme de petit bouclier plus large que long et des pattes trapues et courtes !

Diversité des régimes

Nous avons souligné en introduction l’image d’Epinal de la coccinelle mangeuse de pucerons : certes, il existe un certain nombre d’espèces spécialisées sur ces proies (qualifiées d’aphidophages, les pucerons étant des Aphidiens) et bien connues du grand public pour leur usage en lutte biologique ou tout simplement comme auxiliaires du jardinier. Mais la réalité s’avère bien plus diversifiée à double titre : il existe aussi de nombreuses espèces se nourrissant d’autres choses que des pucerons et même chez les espèces prédatrices on commence à réaliser qu’elles complètent souvent leur régime par d’autres éléments ! Avant d’entrer dans ces nuances, soulignons que, le plus souvent, larves et adultes ont le même régime alimentaire (mais là encore il y a des variations !) ; les femelles pondent souvent là où elle se sont nourries : les larves issues des œufs trouveront donc la même nourriture a priori.

On peut donc distinguer trois grands groupes de régimes alimentaires chez les coccinelles selon leur nourriture dominante : des prédatrices carnivores se nourrissant d’arthropodes (insectes essentiellement), des végétariennes et encore plus surprenant des mangeuses de champignons microscopiques (mycophages).

Pas que les pucerons

Globalement, la plupart des coccinelles prédatrices se nourrissent essentiellement aux dépens d’insectes du groupe des hémiptères. En tête viennent quand même les pucerons qui constituent pour diverses espèces la nourriture principale avec parfois une certaine spécialisation sur tel groupe de pucerons. Tous les pucerons ne sont pas comestibles et certains possèdent des défenses chimiques qui peuvent être fatales aux coccinelles. Ainsi la coccinelle des friches peut consommer le puceron du laurier-rose, alors que ce dernier est toxique pour la coccinelle à sept points ou la coccinelle à damier.

Les coccinelles patrouillent sur les tiges des végétaux en progressant méthodiquement du bas vers le haut et vers la lumière au sommet des tiges, explorant en priorité les nervures où se concentrent souvent les pucerons suceurs de sève. Elles semblent repérer ces proies à la fois avec le toucher de leurs antennes mais aussi à la vue et à l’odorat.

Mais la gamme des proies va au delà des pucerons. Les psylles sont les proies de quelques espèces du genre Calvia qui consomment aussi des pucerons. Les coccinelles de la tribu des Chilocorinés (voir ci-dessus), les coccidules et les scymninés (espèces minuscules) se spécialisent sur les cochenilles et certaines d’entre elles sont d’ailleurs utilisées en lutte biologique contre ces insectes redoutés en agriculture et sur les plantes d’intérieur. Au delà des hémiptères, on connaît au moins six espèces de nos coccinelles susceptibles de s’attaquer à des larves de chrysomèles dont la coccinelle rose ou la coccinelle à quatorze points. Les scymninés exploitent même des acariens qui ne sont pas des insectes.

Enfin, occasionnellement, notamment en cas de pénurie de la ressource principale, les coccinelles peuvent se rabattre sur divers autres arthropodes : larves de syrphes, chenilles, petits scarabées, œufs d’araignées, larves de punaises, … Par ailleurs, le cannibalisme reste assez répandu et serait un moyen de réguler les populations en cas de pénurie locale, fréquente vu les fortes fluctuations des insectes proies : les adultes peuvent manger œufs et nymphes (immobiles) de leur propre espèce ou d’autres espèces ; les larves peuvent s’entredévorer

Végétariennes

Au sein des coccinelles, le groupe des Epilachninés se distingue par son régime strictement végétarien, sans aucun complément alimentaire animal. Deux espèces de ce groupe peuvent se rencontrer chez nous. La coccinelle à vingt-quatre points habite les milieux ouverts herbacés et se nourrit sur une large gamme de plantes dont elle broute le feuillage ; elle serait cependant largement associée à une graminée très commune, l’avoine élevée qui serait sa plante hôte principale et, quand celle-ci commence à décliner en saison, elle se rabat sur toutes sortes de plantes relais dont des saponaires, des silènes, des chénopodes, des trèfles, des séneçons, …

L’autre espèce est la coccinelle de la bryone, bien plus spécialisée et confinée aux plantes de la famille des cucurbitacées dont la bryone, seule espèce indigène de cette famille dans la majeure partie du pays. Elle peut s’installer sur les plantes cultivées de cette famille dont les melons au point de devenir indésirable par les dégâts infligés au feuillage ! Ces deux espèces présentent des mandibules différentes de celles des prédatrices, témoins de leur spécialisation végétarienne. Dans le paragraphe suivant, nous verrons que d’autres matériaux végétaux dont le pollen et le nectar sont aussi régulièrement consommés de manière complémentaire par de nombreuses espèces.

Mycophages

Reste le cas surprenant et méconnu du grand public des espèces mycophages plus ou moins spécialisées sur la consommation des spores et du mycélium (les filaments) de champignons microscopiques parasites des végétaux tels que les rouilles, les oïdiums (voir les chroniques) ou les mildious. Le groupe de Halyziinés renferme de telles espèces avec la coccinelle orange, nettement arboricole et dont larves et adultes broutent les oïdiums ou rouilles sur divers arbres dont les chênes et les noisetiers ou la coccinelle à douze points ; mais elles peuvent à l’occasion compléter avec des pucerons. La petite coccinelle à vingt deux points très commune elle semble plus strictement mycophage et n’exploite que des rouilles d’une famille bien précise (Erysiphacées). Enfin, la coccinelle à seize points, toute petite et qui fréquente les milieux herbacés bas, se nourrit de rouilles mais complète son régime avec du pollen ou du nectar et quelques petits arthropodes dont des acariens. Là encore, comme pour les végétariennes, ces espèces présentent des adaptations au niveau de leurs mandibules permettant la récolte de ce matériau si particulier. Les larves sont elles aussi mycophages chez ces espèces ce qui souligne leur spécialisation.

Compléments alimentaires

Une synthèse bibliographique a montré que de nombreuses coccinelles, prédatrices ou mycophages pouvaient consommer par ailleurs en plus de leur nourriture principale du nectar, du miellat de puceron (le liquide sucré rejeté par les pucerons correspondant au surplus de sève absorbée), du pollen, des fruits, des feuilles et des champignons microscopiques. Ces compléments sont exploités quand les proies principales deviennent rares dont les pucerons qui connaissent de fortes fluctuations selon les saisons et effectuent des migrations entre différentes plantes hôtes. Elles servent aussi à préparer l’hivernage (entrée en vie ralentie) ou les migrations avant ce dernier chez les adultes ou encore à améliorer la croissance et le développement des larves. Souvent, ces compléments apportent en fait plus d’énergie que les proies principales. Ainsi le pollen se montre moins énergétique que les proies pour assurer le bon développement des larves et adultes tandis que les sucres (nectar, fruits) apportaient autant d’énergie chez les adultes que les proies ! Des larves avec un régime mixte (proies habituelles + compléments) voient leur développement nettement amélioré avec plus de succès à atteindre l’âge adulte. Les larves auraient des besoins plus impératifs que les adultes et que ces ajouts apportent des nutriments complémentaires indispensables à un développement optimal. Cet aspect a longtemps été ignoré ou considéré comme marginal et amène à considérer les coccinelles prédatrices comme étant plutôt des omnivores, surtout pour les phases larvaires. Un certain opportunisme alimentaire caractérise donc les coccinelles en dépit de spécialisations relatives.

Evolution

Reste la question de savoir comment ont évolué ces différents régimes dans l’histoire de cette famille. La lignée des coccinelles remonterait au minimum au Jurassique (150Ma) et peut-être même au Permo-Trias. On peut esquisser le scénario évolutif suivant. La lignée aurait émergé à partir d’un groupe de petits coléoptères mycophages : la consommation de champignons serait donc le régime ancestral. En se nourrissant ainsi , ces insectes auraient « découvert » une nouvelle source de nourriture : les cochenilles ; leur exploitation aurait servi de déclencheur à la diversification du groupe en ouvrant de nouvelles niches. Ensuite, la diversification s’est étendue vers les pucerons, ou les mouches blanches (aleurodes) ou les acariens et les fourmis : ces régimes correspondent donc à des états dérivés. L’adoption des pucerons comme nouvelle proie se serait effectuée chez des formes consommant des moisissures qui se développent sur les feuilles à la faveur de la présence de miellat (fumagine).

Secondairement, à partir de la lignée ancestrale chasseuse de cochenilles, sont apparus de nouveaux modes alimentaires : herbivorie, mycophagie et pollinivorie. Pour les mycophages, ce serait donc un retour aux lointaines origines ! Ce retour s’est effectué au moins à deux reprises indépendamment : la lignée des Halyzia et Psyllobora (voir la coccinelle orange), très spécialisée et celle des Tytthapsis (voir la coccinelle à 22 points) qui n’a pas complètement abandonné la prédation.

Il ressort donc une image très dynamique de cette famille avec des passages indépendants à de multiples reprises vers de nouvelles sources de nourriture. La prédation sur les pucerons sujets à de fortes fluctuations de populations dans le temps court a du stimuler l’adaptation à des nourritures plus étendues et plus variées ou le basculement vers d’autres sources plus spécialisées comme les champignons. La consommation de pollen et de nectar chez ces insectes dont les adultes vivent assez longtemps a permis la survie durant les périodes avec peu de proies. Cet ensemble de capacités aurait donc joué un rôle central dans la diversification importante des coccinelles.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Atlas des coccinelles de la Manche. Y. Le Monnier ; A. Livory. Manche-Nature. 2003
  2. Molecular phylogeny reveals food plasticity in the evolution of true ladybird beetles
  3. (Coleoptera: Coccinellidae: Coccinellini). Escalona et al. BMC Evolutionary Biology (2017) 17:151
  4. The evolution of food preferences in Coccinellidae. Giorgi, J et al. (2009). USDA Systematic Entomology Laboratory. 8.
  5. Nutritional aspects of non-prey foods in the life histories of predaceous Coccinellidae. Jonathan G. Lundgren. Biological Control 51 (2009) 294–305