Aucuba japonica

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L’aucuba du Japon est très cultivé comme arbuste d’ornement dans les parcs et jardins, tant pour sa rusticité, sa capacité à supporter un fort ombrage que pour ses beaux fruits charnus rouge corail qu’il conserve jusqu’au milieu du printemps. Dans une autre chronique consacrée à la reproduction et à la croissance de l’aucuba, nous avions souligné que ces fruits pourtant très appétissants ne semblent pas consommés par les oiseaux hivernants sous nos climats ce qui pose la question de leur toxicité. Cette chronique va donc explorer la « chimie » de l’aucuba et cette entrée va nous fournir un fil conducteur vers la question des parentés : de qui l’aucuba est-il le plus proche parent ? Dans quelle famille se situe-t-il au sein de la classification des plantes à fleurs compte tenu notamment de quelques unes de ses particularités évoquées dans l’autre chronique ?

Attractifs … pour les enfants !

Les fruits de l’aucuba sont-ils toxiques pour l’Homme ? Comme souvent, on trouve des informations contradictoires à ce sujet sur Internet dont une partie non vérifiées ; selon les sources, les fruits de l’aucuba vont de très à peu toxiques à moyennement !

Le CHRU de Lille (1) a publié une synthèse portant sur 78 cas d’intoxications par les fruits d’aucuba suivies entre 1995 et 2002. Les « victimes » sont très majoritairement de très jeunes enfants entre 1 et 3 ans qui ont consommé un seul fruit dans la moitié des cas. Le plus souvent (86% des cas), la consommation de fruits a eu lieu dans un jardin privé et seulement à 5% dans une cour de récréation. Les symptômes observés dans seulement 1 cas sur dix vont des vomissements aux diarrhées mais avec des effets limités et vite circonscrits par un traitement adéquat, consistant le plus souvent à rincer la bouche et prodiguer un pansement digestif. On peut donc dire que les fruits de l’aucuba semblent peu à très peu toxiques mais à éviter néanmoins et en cas d’ingestion il faut consulter un médecin ou un centre antipoison.

Un autre résultat intéressant de cette étude concerne la période du pic d’intoxication entre le 15 mars et le 15 avril. Or, nous avons vu (voir l’autre chronique sur l’aucuba) que les fruits sont présents sur cet arbuste dès le début de l’automne et deviennent rouges assez rapidement. L’interprétation de cette « bizarrerie » passe sans doute par l’observation de leur non-consommation par les oiseaux locaux ; ainsi, au sortir de l’hiver et au moment où les enfants commencent à ressortir plus fréquemment dans les espaces verts, les fruits des aucubas sont parmi les rares restant et bien visibles, attirant ainsi encore plus l’attention des enfants ! Curieux effet collatéral d’une absence d’attractivité envers les oiseaux locaux !

Aucubine et dérivés

Les fruits, et surtout le feuillage, contiennent effectivement une substance chimique toxique, l’aucubine, du groupe des glycosides iridoïdes, substances destinées à repousser les consommateurs herbivores comme des insectes ou à freiner leur développement. Au Japon, les fruits subissent entre autres les attaques de mouches des fruits (drosophiles) ou de moucherons gallicoles. Une étude pharmacologique menée en 1993 (2) a démontré la capacité de l’aucubine à combattre les effets d’une intoxication par une amanite vireuse ; elle agirait au niveau de la synthèse d’ARN messagers qui s’effondre suite à l’action de l’amanitine sur le foie.

Dans le feuillage, on trouve aussi un dérivé de l’aucubine, l’aucubigénine qui présente une activité antibactérienne et aussi des propriétés anti-fongiques. Le nom d’aucubine renvoie évidemment à l’Aucuba mais pour autant cette substance n’est pas spécifique de cet arbuste tout en étant confinée dans seulement quelques familles des plantes à fleurs. Cet aspect nous amène donc à explorer la question des parentés de l’aucuba et de sa place dans la classification des plantes à fleurs.

Une famille recomposée

Le genre Aucuba ne compte que deux autres espèces relativement proches toutes confinées en Asie orientale : A. himalaica et A. chinensis. Jusqu’en 2000, on plaçait classiquement les aucubas au sein de la famille des Cornacées (les cornouillers) dans l’ordre des Cornales. Il est vrai qu’il existe une certaine ressemblance entre l’aucuba et par exemple le cornouiller mâle au niveau des fruits ou des fleurs étoilées.

Et puis, coup de tonnerre en 2000 qui a surpris plus d’un botaniste, le recours à la comparaison des séquences ADN conduit à une toute autre vision de la position des Aucubas dans la classification. Avec un fort support moléculaire, on est amené à regrouper les Aucubas avec une quinzaine d’espèces d’arbustes, tous originaires d’Amérique, les Garrya ou arbres aux chatons de soie. Désormais, Aucuba et Garrya forment la famille des Garryacées élargie donc pour inclure les premiers.

Parmi les Garrya, une espèce est régulièrement cultivée comme ornementale dans les parcs ou jardins botaniques : G. elliptica, originaire de la côte Pacifique sud d’Amérique du nord. Cet arbuste au feuillage persistant atteint 5m de hauteur et se remarque au moment de la floraison hivernale par ses fleurs groupées en longs chatons pendants (jusqu’à 30cm de long) gris argenté. A priori, on ne voit guère de ressemblances entre ces deux genres d’arbustes, en tout cas bien moins qu’avec les cornouillers dont on les a séparés.

Et pourtant ….

C’est oublier que parenté ne rime pas forcément avec ressemblance : parenté signifie que ces deux genres partagent un ancêtre commun à partir duquel ils ont divergé chacun selon une direction bien différente qui les a « éloignés » morphologiquement. Cependant, si on fouille dans les archives botaniques, on découvre que dès 1877, le botaniste français H. E. Baillon (1827-1895) avait déjà pressenti ce rapprochement Aucuba/Garrya. La chimie nous apporte là un premier élément convaincant : les Garrya fabriquent eux aussi de l’aucubine ! Par contre, pas d’aucubine chez les Cornacées ni aucune Cornale ! Et on peut trouver d’autres indices : les deux genres sont des arbustes, à sexes séparés et à feuillage persistant coriace.

A partir de ce rapprochement, on a réexaminé de plus près les fleurs des Garryas, très simplifiées et transformées : entre les étamines des fleurs mâles, on trouve un tissu particulier qui, avec cet éclairage nouveau, peut être interprété comme l’équivalent du disque nectarifère bien présent dans les fleurs femelles, ce qui permet de les rapprocher des fleurs mâles des Aucubas ainsi conformées.

Un autre rapprochement

Les fils correspondent aux nervures à l'intérieur desquelles est stockée la substance

Mais la nouvelle perspective apportée par l’analyse ADN va plus loin : elle rapproche la nouvelle famille des Garryacées d’une autre famille énigmatique, les Eucommiacées, avec une seule espèce : un arbre chinois, lui aussi cultivé comme ornemental dans les grands parcs urbains, Eucommia ulmoides, l’arbre à gutta-percha. Ce nom évoque une particularité étonnante des feuilles de cet arbre : si on déchire délicatement une feuille en travers, les deux moitiés restent associées par de longs filaments de « caoutchouc » (gutta-percha) à l’emplacement des nervures ! Les fleurs très réduites de cet arbre (comparées à celles d’un orme d’où l’épithète ulmoides) avaient conduit, faute de mieux, à le classer jusque là au sein de l’ordre des Saxifragales, auprès de la famille des Hamamélidacées tout comme on le faisait avec les Platanes qui, depuis, ont été rapprochés des Lotus dans l’ordre des Protéales (voir la chronique sur les platanes et leur place dans la classification). On avait tendance à mettre ensemble des espèces aux fleurs réduites avec l’idée qu’elles étaient « primitives » alors que chez un grand nombre d’entre elles, il s’agit d’un caractère dérivé acquis secondairement.

Or, là encore, la chimie parle dans le même sens que l’ADN : Eucommia contient lui aussi de l’aucubine ; de plus, il fabrique une substance particulière, un eucommioside que l’on retrouve …. chez l’aucuba. La fameuse gutta-percha se retrouve par ailleurs chez … les Garrya mais elle n’a pas été repérée chez Aucuba. Et enfin, les trois « nouveaux associés » contiennent tous de l’acide pétrosélinique dans leurs huiles essentielles, acide peu répandu que l’on ne retrouve par ailleurs que chez les Ombellifères (pétrosélinique vient de Petroselinum, le nom latin du persil) et les Araliacées (lierres), deux familles elles aussi étroitement apparentées entre elles. Le partage de fleurs unisexuées (arbres ou arbustes dioïques) en plus a donc conduit à réunir les deux familles (Eucommiacées et Garryacées) dans un ordre à part (de fait plutôt réduit en taille !), les Garryales, assez éloigné des Cornales où on les plaçait autrefois.

Voilà maintenant plus de quinze ans que cette découverte a été faite et pourtant, notamment sur les sites horticoles, on continue de voir l’aucuba catalogué comme Cornacée ; au delà de l’imprécision, il est dommage de ne pas diffuser cette nouvelle perspective qui change le regard sur l’aucuba et sa vraie nature. Ajouter la dimension historique (les parentés) à la dimension esthétique (arbres ornementaux) donne encore plus de sens à ce que nous côtoyons dans notre environnement.

BIBLIOGRAPHIE

  1. http://cap.chru-lille.fr/~cap/GP/magazines/93795.html
  2. Aucubin: A new antidote for poisonous Amanita mushrooms. Ii-Moo Chang ; Yoshio Yamaura. Phytotherapy Research ; 1993 ; Pages 53–56
  3. Site Angiosperm Phylogeny Group III : http://www.mobot.org/MOBOT/research/APweb/

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez l'aucuba du Japon
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