Pandion haliaetus

 

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Balbuzard pêcheur naturalisé au Muséum de Bourges. De tels spécimens peuvent servir pour les analyses génétiques et les reconstitutions historiques.

Le balbuzard pêcheur, espèce jusqu’alors considérée comme unique, est un rapace diurne emblématique à plus d’un titre : pour les aspects spectaculaires de sa pêche, pour les actions de protection entreprises en sa faveur avec des opérations de réintroduction couronnées de succès, pour ses migrations au long cours et tout simplement pour son élégance et sa prestance.

La très vaste répartition à l’échelle mondiale de cette espèce soulève des interrogations quant à son histoire évolutive. L’utilisation des marqueurs génétiques ouvre désormais des perspectives de reconstitution d’un scénario évolutif quant à la différenciation de différentes populations plus ou moins séparées les unes des autres : c’est ce que l’on appelle la phylogéographie, l’étude des processus qui dirigent la répartition géographique des différentes lignées à l’intérieur d’une même espèce. Une étude très récente (1) vient ainsi éclairer la phylogéographie du balbuzard pêcheur et pose la question sur l’unicité réelle de cette espèce.

Mondialiste assumé !

On pourrait penser de manière intuitive que nombre d’espèces d’oiseaux doivent avoir une répartition très vaste à l’échelle mondiale compte tenu de leur capacité à voler. Or, il n’en est rien si on exclut le cas des oiseaux marins dont la répartition dépend en fait des grands bassins océaniques en suivant les côtes ou les îles. Pour les oiseaux terrestres, on ne connaît en fait que … 6 espèces dont la répartition actuelle couvre l’ensemble des grandes régions biogéographiques de la planète sur les différents continents. Ce sont : la grande aigrette, le héron garde-bœufs, l’ibis falcinelle, l’effraie des clochers, le faucon pèlerin et donc le balbuzard pêcheur.

L’aire de répartition actuelle du balbuzard s’étend en effet sur tous les continents (sauf l’Antarctique !) ce qui a conduit depuis longtemps à distinguer quatre sous-espèces sur la base de détails du plumage et de la taille :

– la sous-espèce type haliaetus présente depuis le nord ouest de l’Afrique, les Canaries, le bassin méditerranéen, la France continentale, l’Ecosse et à travers toute l’Asie au nord de l’Himalaya jusqu’au Japon et en Chine ; elle va hiverner au sud du Sahara jusqu’en Afrique du sud ou en Inde et en Asie du sud-est

– la sous-espèce ridgwayi confinée aux Bahamas et à Cuba jusqu’à la côte du Belize

– la sous-espèce carolinensis nord et sud-américaine

– la sous-espèce cristatus qui couvre une partie de l’Indonésie, l’Océanie, l’Australie jusqu’en Nouvelle-Calédonie.

Mais les limites de ces sous-espèces supposées sont toujours restées très floues et incertaines. L’étude mentionnée ci-dessus s’est donc attachée à clarifier cette disparité supposée en « faisant parler l’ADN ». Pour cela, des prélèvements ont été effectués sur 204 individus dans 31 pays différents couvrant cette vaste aire, soit sous forme de sang ou de plumes sur des jeunes au nid lors d’opérations de baguage soit sous forme de peau prélevée sous les serres de spécimens conservés dans des muséums. L’ADN mitochondrial a été extrait, analysé à partir de ces prélèvements ; les comparaisons des séquences génétiques de certains marqueurs permettent au final de dégager une sorte d’arbre généalogique interne à l’espèce.

Quatre clades

L’analyse génétique fait ressortir clairement quatre groupes bien distincts, des unités génétiquement différenciés, des clades : un sur l’Europe et l’Afrique, un sur l’Asie, un sur l’Amérique et un sur L’Indonésie-Australie. Cependant ces quatre clades ne correspondent pas tous au découpage supposé en sous-espèces : le dernier nommé coïncide parfaitement avec la sous-espèce cristatus et confirme donc son statut ; par contre, la sous-espèce des Caraïbes différenciée auparavant sur la base d’un plumage très pâle au niveau de la tête et de la poitrine et de l’absence de comportement migrateur n’est pas confirmée génétiquement et se trouve nettement incluse dans le clade américain. Plus près de nous, l’analyse génétique dévoile un fait intéressant : il n’y a pas une sous-espèce unique allant de l’Europe à l’Asie mais deux clades bien différenciés ! Or, sur le terrain, pour l’instant, on n’a trouvé aucun signe distinctif entre ces deux unités.

Historiquement, la divergence entre ces quatre clades semble avoir eu lieu sur une assez courte période et les auteurs de l’étude proposent le scénario historique suivant : l’aire d’origine serait située en Amérique ; de là, l’espèce aurait suivi la côté pacifique jusqu’en Australie. Là, depuis un refuge centré sur l’Indonésie, l’espèce aurait dans un second temps entrepris une expansion rapide vers l’Asie orientale puis jusqu’en Europe de l’Ouest ; l’expansion en Europe se serait déroulée à partir de la fin de la dernière glaciation, il y a environ 10 000 ans. Il semble que la Japon par exemple ait été colonisé après la Russie et pas depuis l’Australie comme on le pensait.

Quatre espèces ?

Ces quatre lignées ainsi différenciées montrent entre elles des taux de variations génétiques de l’ordre de 1,2%, chiffre considéré comme élevé et nettement supérieur à celui utilisé par exemple pour différencier entre elles les différentes espèces d’aigles (genre Aquila) ou de pygargues( genre Haliaetus). Autrement dit, ces résultats permettraient de conclure au minimum à l’existence de quatre Unités Evolutives Significatives différentes ; on ne peut pas pour autant les considérer d’emblée comme quatre espèces différentes car il faudrait poursuivre les investigations en intégrant plus de spécimens, en utilisant des gènes nucléaires et en prenant en compte les comportements migratoires des différentes populations. Seul le clade Australien (l’ex sous-espèce cristatus) pourrait dès maintenant se voir attribuer le rang d’espèce sous le nom de Balbuzard oriental (Pandion cristatus).

De la phylogénie à la conservation

Çà change quoi tout çà ? Outre l’aspect purement scientifique visant à reconstituer l’histoire évolutive du vivant jusqu’au sein des espèces, il y a un intérêt en terme de conservation des espèces. L’un des nouveaux objectifs majeurs de la conservation de la biodiversité, c’est de maintenir le plus possible la diversité des lignées au sein même d’une espèce pour augmenter les chances de maintien global de celle-ci. Ainsi, la lignée asiatique négligée jusqu’ici car englobée avec les populations européennes apparaît comme une lignée évolutive à conserver prioritairement ; elle mériterait plus d’attention d’autant qu’elle semble connaître un certain déclin. Des informations seraient aussi nécessaires pour mieux connaître ses voies et ses comportements de migration.

L’autre application pratique de ces découvertes concerne les multiples programmes de réintroduction qui ont été et continuent d’être initiés pour cette espèce qui avait connu aux siècles derniers un très fort déclin local ; dans ce cadre, on est amené à effectuer des prélèvements d’oiseaux que l’on relâche après acclimatation sur de nouveaux sites désertés. Il faudrait donc veiller à n’utiliser que des balbuzards appartenant à la même lignée ou clade ; ainsi, en Europe, il serait par exemple (peut être ?) déconseillé d’utiliser des oiseaux provenant d’Asie, d’autant que cette lignée est en déclin. Ces choix peuvent être importants dans la mesure où ces différentes lignées n’ont peut être aps toutes les mêmes comportements migratoires.

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Il file vers un perchoir élevé (souvent un arbre mort) où il va pouvoir dévorer sa proie avec le bec doté d’un impressionnant crochet. Photo J. Lombardy

La diversité dans les lignées

Mais qu’en est-il de la diversité ou de la différenciation des différentes populations qui composent chacune des lignées ? Globalement, les chercheurs ont détecté une variabilité interne à chaque clade relativement faible, suggérant que chacune d’elle aurait subi une certaine réduction de sa variation génétique. Ainsi les balbuzards finlandais sont-ils très proches génétiquement de ceux du …. Maroc ! Il y a cependant une exception à cette tendance : les populations des îles Canaries et celles de la Mer Rouge ou du golfe Persique montrent une certaine différenciation au sein de la lignée Europe-Afrique.

Or, ce genre de schéma concerne plutôt des lignées ayant subi par le passé des goulots d’étranglements majeurs avec une quasi disparition puis une reprise à partir d’un stock limité d’individus et donc de gènes. Ceci ne semble pas avoir été le cas pour cette espèce dans un passé lointain même si elle a subi au cours des années 1960-70 une forte réduction suivie d’une reconquête grâce notamment aux mesures de conservation intenses mises en œuvre. Si on compare les marqueurs génétiques de balbuzards actuels avec ceux de spécimens anciens (naturalisés entre 1872 et 1959) conservés en musées dans les mêmes régions, on ne constate pas de baisse de diversité génétique.

Pour expliquer cette situation contradictoire, les chercheurs font plutôt appel à un effet fondateur : de nouvelles zones ont été colonisées par un petit nombre d’individus (avec des couples très fidèles et vivant longtemps) porteurs de fait d’une diversité réduite de marqueurs. Ceci a été observé récemment où, après des réintroductions locales, on a vu une petite fraction des nouveaux arrivés constituer un nouveau noyau de population : ainsi, (2) une partie des balbuzards nés suite à leur implantation sur le site du gigantesque réservoir de Rutland Water dans le centre de l’Angleterre a essaimé au Pays de Galles, point de départ d’une nouvelle population à partir de seulement quelques individus.

A une échelle de temps plus grande, au cours des périodes glaciaires, les populations ont du se replier dans des zones refuges à partir desquelles elles ont reconquis selon le même processus les zones libérées lors des phases d’amélioration climatique.

On pense par ailleurs que la philopatrie marquée de cette espèce, i.e. la forte tendance de ces oiseaux à retourner nicher là où ils sont nés, n’a pas été un facteur majeur dans cette évolution au sein des lignées ; la capacité à s’adapter aussi bien aux eaux douces qu’au milieu marin et la grande mobilité spatiale semblent bien être les deux facteurs déterminants pour expliquer cette structuration particulière des lignées de balbuzards.

PS : un grand merci à J. Lombardy pour ses photos de scènes de pêche prises en Auvergne.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Being cosmopolitan: evolutionary history and phylogeography of a specialized raptor, the Osprey Pandion haliaetus. Flavio Monti, Olivier Duriez, Véronique Arnal, Jean-Marie Dominici, Andrea Sforzi, Leonida Fusani, David Grémillet and Claudine Montgelard. BMC Evolutionary Biology (2015) 15:255
  2. The Rutland Water ospreys. T. Mackrill. Ed. Bloomsbury. 2013

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le balbuzard pêcheur
Page(s) : 235 Le Guide Des Oiseaux De France