Bombyliidae

Bombyle butinant une inflorescence de lychnis viscaire (caryophyllacée)

Les bombyles méritent bien leur nom populaire anglais de bee-flies, les mouches-abeilles : ce sont des diptères donc des « mouches » qui ressemblent assez fortement à certaines abeilles qui sont quant à elles des Hyménoptères. La ressemblance va au-delà de l’apparence physique puisque, comme ces dernières, ils se nourrissent du nectar (et un peu du pollen) des fleurs et participent à la pollinisation dite entomophile, i.e. en servant d’agents de transport du pollen d’une fleur à une autre. On les connaît surtout, dans le monde scientifique, pour leurs mœurs de parasitoïdes avec des comportements très élaborés. Par contre, leur rôle dans la pollinisation est resté longtemps méconnu et largement sous-estimé : cette chronique va donc tenter de mettre en lumière l’importance de ces mouches-abeilles pour la reproduction des plantes à fleurs. 

Bombyliidés 

La famille des bombyles compte plus de 6000 espèces dans le monde, la plupart inféodées aux régions chaudes et arides ; le genre Bombylius, les bombyles au sens strict, domine avec 450 espèces. 150 espèces vivent en Europe centrale ; leur taille varie de 8 à 16mm en moyenne. Parmi les espèces communes, on peut citer entre autres : le grand bombyle ou bombyle bichon (Bombylius major), l’anthracine morio (Hemipenthes morio), le bombyle noir (Bombylella atrata) ou le bombyle hottentot (Villa hottentotta).

Au sein des diptères, cette famille se distingue par ses courtes antennes en trois parties, la dernière étant segmentée. Leur convergence d’aspect avec les abeilles tient notamment à leur corps densément velu et dans les tons de noir ou de brun. Mais la ressemblance ne s’arrête pas là avec notamment les pièces buccales qui, chez la plupart des genres de bombyles, sont hautement transformées en une longue trompe qui ne se rétracte pas ni ne se replie. Néanmoins, sa longueur peut sembler varier selon sa position soit en position de repos ou soit en action sur une fleur où elle tend alors à s’étirer. 

Les adultes se nourrissent essentiellement de nectar floral qu’ils aspirent à l’aide de cette trompe ; il semble par ailleurs que certaines espèces au moins consomment un peu de pollen mais, le plus souvent, ce serait incidemment en nettoyant leur trompe. En tout cas, lors des visites de fleurs, leur corps velu hérissé recueille facilement du pollen comme chez les abeilles et les bourdons ; contrairement à ceux-ci, les bombyles ne brossent pas le pollen adhérant sur leur pilosité faute d’organes de collecte du pollen. Ils cherchent activement les fleurs adéquates en se déplaçant d’un vol calme mais assez rapide et pratiquent, à l’instar de leurs cousines les syrphes (voir la chronique sur ces mouches pollinisatrices), le vol sur place juste au-dessus des fleurs : ils prélèvent le nectar en se posant délicatement avec leurs pattes assez longues sur la fleur, selon la morphologie de celle-ci (voir le paragraphe sur la forme). Ils ne s’activent que par temps ensoleillé et se posent souvent sur le sol dénudé ou sur des pierres pour se chauffer.

Bombyle en vol stationnaire prêt à atterrir ; noter les longues pattes grêles

Les fleurs à bombyles 

La trompe reste droite même au repos

Dans notre flore, un grand nombre d’espèces de plantes à fleurs très diverses peuvent recevoir à des degrés variables les visites de bombyles ; néanmoins, on peut dégager un certain nombre de caractères communs partagés. La majorité d’entre elles ont des fleurs de couleurs vives : violettes, pourpres, bleues et blanches ; les fleurs jaunes et encore plus les rose ou rouges semblent nettement moins attractives. Parmi les plus visitées, on peut citer les pulmonaires (voir la chronique sur ces plantes), les buglosses, les lamiers, les sauges, les primevères, les violettes, les muscaris, … Chez les buglosses par exemple, les écailles blanches à l’entrée de la gorge de la corolle servent de guides à nectar pour orienter la trompe. 

Au niveau de la forme, les fleurs préférées sont tubulaires (comme celles de la vipérine), en tube surmonté d’une coupe (pulmonaires, primevères), à deux lèvres (sauges et lamiers) ou groupées en capitules comme chez les knauties et scabieuses. Ainsi, le bombyle majeur visite 37% de fleurs des deux premiers types et 5% du dernier type. L’entrée de la corolle est le plus souvent ouverte et suivie d’un tube assez étroit.

La longueur de la trompe selon les espèces par rapport à la profondeur de la fleur constitue un critère clé. En effet, elle détermine la profondeur maximale du tube de la corolle qui peut être atteinte, sachant que le nectar se trouve toujours au plus profond du tube et que l’entrée du tube bloque la tête. C’est au cours de la collecte, selon la nécessité de s’approcher plus ou moins près, que le corps du bombyle va capter du pollen. 

Pour autant, on ne peut pas vraiment parler de syndrome de pollinisation spécifique des bombyles (voir cette notion avec la chronique sur les syrphes). En fait, les fleurs visitées par les bombyles sont majoritairement visitées par des abeilles et bourdons et les bombyles n’en sont souvent que des pollinisateurs secondaires : ces fleurs relèvent en général du syndrome mélittophile, i.e. qu’elles sont pollinisées par abeilles et bourdons. La famille des borraginacées (voir les chroniques sur cette famille), néanmoins, regroupe des espèces qui semblent attirer plus spécifiquement les bombyles et elles ont développé des caractères particuliers tels que la coloration bleue ou pourpre (voir le cas des pulmonaires ou du grémil pourpre-violet), des fleurs régulières avec un tube étroit mais pas très long, une gorge rétrécie notamment par des écailles et des lobes de la corolle en coupe servant de piste d’atterrissage. On ne peut donc pas exclure qu’ils aient joué un rôle dans la coévolution de ces fleurs avec des insectes pollinisateurs, notamment dans les environnements secs et arides où ils sont très représentés. Et il ne faut pas oublier que contrairement à nombre d’abeilles et bourdons, ils ne consomment que très peu de pollen ce qui augmente leur efficacité pollinisatrice. 

L’attraction des fleurs 

Comme les bombyles sont très différents des abeilles et bourdons, on peut se poser la question de savoir comment ils repèrent les fleurs à butiner. Des expériences ont été conduites sur diverses borraginacées (voir ci-dessus) pour tester leur attractivité d’abord de loin puis de près, dans l’orientation vers les fleurs les plus « rentables » d’une inflorescence (voir ce processus dans la chronique sur les pulmonaires).  

De loin, si on masque le parfum en mettant des cylindres de verre sur les fleurs, l’approche des bombyles n’est pas affectée et ils tentent en vain de butiner ces fleurs sous cloche ! La couleur constitue donc l’élément déterminant vis-à-vis de ces insectes. Des observations sur des bombyles du genre Bombylius montrent que 28% des visites vont vers des fleurs pourpres ou violettes, 27% vers des bleues et autant vers des blanches ; ensuite viennent les fleurs jaunes (12,5%), rose (5%) et rougeâtres (1,2%). Il y a donc une nette préférence pour une certaine gamme de couleurs, tout au moins quand il y a assez de choix. Des expériences avec des carrés de papier coloré confirment l’attraction dominante du violet et du bleu foncé. 

De près, pour choisir quelles fleurs d’une inflorescence visiter, l’odeur semble intervenir comme le montre le cas des visites sur les muscaris à grappe ; les fleurs fanées sont approchées mais le bombyle n’y insère pas sa trompe. Les bords blancs de la corolle apportent un signal visuel mais le parfum détermine l’insertion de la trompe. Enfin, la forme des fleurs ne semble pas être capitale et les bombyles testés n’ont pas de mémoire de taille ou de forme des fleurs contrairement aux bourdons.

Mode d’emploi

Si les bombyles font du vol sur place devant les fleurs, ils ne butinent pas pour autant en vol mais se posent avec leurs longues pattes délicates. En général, le bombyle inspecte la fleur de près en vol à quelques centimètres et si elle lui convient, il se pose avec ses six pattes qui agrippent en même temps la corolle pendant qu’il insère en même temps sa trompe dans le tube floral. Outre la corolle ou le calice, le bombyle peut utiliser d’autres parties comme support d’atterrissage (dont des bractées). Pendant le butinage, l’insecte continue de battre très rapidement des ailes (« buzz ») ou s’interrompt, notamment si le nectar est abondant et demande une séance prolongée. Si le nectar s’avère absent, le bombyle repart en une fraction de seconde mais parfois il insiste en vain. Devant une inflorescence multiple, il visite plusieurs fleurs mais ne revient jamais sur celles déjà visitées. 

Les espèces ou individus plus petits ayant mathématiquement une trompe plus courte doivent approcher leur tête et leur corps plus près dans la fleur pour atteindre le nectar profond : ils doivent donc s’assurer d’une bonne prise avec les pattes. Ainsi, dans les fleurs de liseron des champs, les bombyles doivent descendre au plus creux de la corolle en entonnoir et sont forcés d’interrompre les vibrations des ailes. Sur les inflorescences en capitules comme celles des scabieuses ou knauties, les bombyles se déplacent sans vibrer des ailes sauf peut-être pour les espèces plus grandes.

Les bombyles visitent aussi les capitules (ici, crépide de Nîmes)

Bien que dotés d’une longue trompe a priori adaptée à des fleurs profondes tubulaires, les bombyles peuvent visiter d’autres fleurs avec du nectar plus caché et pour lesquelles une longue trompe est au contraire plutôt un  handicap ! Par exemple sur les fleurs de la luzerne en faux de type papilionacée, le bombyle glisse sa trompe latéralement dans la carène : il arrive ainsi à atteindre le nectar sans déclencher le mécanisme explosif qui projette le pollen (voir le mode d’emploi des fleurs de fabacées avec la xylocope) ; dans ce cas, il se comporte en tricheur du point de vue de la plante. Sur les fleurs de sauge des prés, hautement irrégulières, le bombyle n’arrive pas actionner le système de pédale qui fait basculer les étamines à levier mais touche néanmoins le stigmate avec son dos velu (voir la chronique sur ces étamines basculantes).

Efficacité 

Au printemps, quand seulement quelques espèces de fleurs sont présentes, les bombyles qui volent à cette époque peuvent montrer une grande constance envers certaines espèces telles que les pulmonaires qui deviennent alors prédominantes pour les espèces précoces telles que le bombyle majeur ou le bombyle discolore. De même les muscaris à grappe qui fleurissent dès mi mars attirent très fortement les bombyles. Plus tard dans le printemps, l’offre se diversifie et alors ils visitent une plus grande diversité de fleurs mais certains individus se concentrent sur ders taches fleuries avec une seule espèce comme le grémil pourpre-violet sur les lisières. 

Leur activité dépend entièrement de la météo : le plein soleil est requis et les plantes doivent être elles-mêmes éclairées directement. Dès que la météo se détériore, la fréquentation baisse fortement ou si la canopée des arbres jette de l’ombre sur les plantes fleuries comme en forêt. 

Les bombyles ont besoin de chauffer leur corps régulièrement, notamment en se posant sur des pierres ou sur des feuilles en plein soleil.

Si on inspecte la « fourrure » des bombyles au niveau de la tête ainsi que la surface de leur trompe, on y trouve moult grains de pollen ce qui en fait donc des pollinisateurs potentiels efficaces. Des expériences ont été menées sur des pulmonaires visitées majoritairement par des bombyles : les fleurs libres donnent en moyenne 1,6 graine/fleur tandis que celles recouvertes d’une gaze les rendant inaccessibles ne produisent presque aucune graine. Les pulmonaires poussant en forêt dans des zones ombragées produisent en moyenne moins de graines par fleur que celles proches en plein soleil : effet indirect des besoins thermiques des bombyles ! 

Donc, globalement, on peut penser qu’ils représentent des pollinisateurs importants au moins pour certaines espèces de fleurs telles que les borraginacées bleues ou violettes ou pourpres ; il est remarquable que les borraginacées à fleurs jaunes telles que des consoudes ou les cérinthes ne recoivent aucune visite des bombyles ; de même, pour le grémil des champs à fleurs blanches alors que le grémil pourpre-violet est très visité (voir la chronique sur les grémils).