Capsella bursa-pastoris

On parle souvent de la biodiversité ordinaire, toutes ces espèces que l’on rencontre assez communément autour de nous ; mais à propos de la capselle bourse-à-pasteur, il faudrait inventer un nouveau degré : la biodiversité ultra-ordinaire ! Cette plante fait partie de ces plantes banales omniprésentes autour de nous, peu voyantes et sans trait marquant, celles auxquelles on ne prête même plus attention et dont on pense qu’elles n’ont guère d’intérêt. Et pourtant, elle est l’une des plantes à fleurs les plus répandues sur la planète que ce soit dans les milieux urbains (voir la chronique sur plantes et oiseaux des villes), dans les milieux cultivés ou naturels. Mais pourquoi un tel succès planétaire ? 

Très variable 

Tant qu’elle ne porte pas de fruits, la bourse à pasteur reste difficile à identifier pour le non averti notamment du fait de sa très forte variabilité. Cette annuelle apparaît sous forme d’une rosette de feuilles nettement plaquées au sol dont la longueur peut varier de 3 à … 33 cm de long selon les stations, selon la météorologie, … Ces feuilles vert grisâtre déconcertent par la variabilité de leur contour : le plus souvent nettement lobées avec des lobes moyens et un peu pointus, elles peuvent aussi être presque entières. Elles portent de nombreux poils simples courts mêlés de poils étoilés plaqués mais là encore la pilosité varie beaucoup en densité et en répartition sur les différentes parties de la plante et selon les milieux. Sous la rosette, une racine en pivot marron jaunâtre s’enfonce dans le sol capable d’atteindre plus de 30cm de profondeur en sol non compacté ; elle se bifurque vers 10cm de profondeur et émet des réseaux de racines fibreuses latérales. 

La tige principale droite émerge au centre de la rosette et se ramifie souvent très vite dès sa base ; elle porte aussi la double pilosité comme les feuilles et elle aussi affiche de fortes variations allant de très basse, presque naine, dans des sites piétinés à presque un mètre dans des sites engraissés. Ses feuilles (caulinaires) sont par contre toutes entières, devenant de plus en plus étroites vers le haut et, contrairement aux feuilles basales, sont dépourvues de pétioles (dites sessiles) et embrassent la tige par deux oreillettes aiguës à leur base. Cependant, ce caractère se retrouve chez diverses autres plantes de la même famille qui compte de nombreuses espèces communes dans notre flore. 

Crucifère

La floraison attire à peine l’attention ; pourtant, les tiges portent de longues grappes lâches et très allongées formées chacune de dizaines de fleurs ; le sommet se termine par un groupe resserré en ombelle terminale et qui reste longtemps fleuri alors que toutes les fleurs en contrebas donnent rapidement des fruits. Chaque pied porte ainsi des centaines de fleurs blanches, très petites et discrètes. Elles présentent la même structure typique que la majorité des espèces de cette famille très homogène et qui renferme un grand nombre d’espèces à fleurs blanches et petites … comme celles de la bourse-à-pasteur ! Quatre sépales verts, mais souvent teintés de rougeâtre, forment le calice d’où émergent les quatre pétales ne dépassant pas 2,5mm chacun. Ces quatre pétales disposés en croix ont donné l’ancien nom de cette famille : les Crucifères. La famille a été rebaptisée Brassicacées pour suivre le code international de nomenclature scientifique qui nomme les familles à partir d’un genre qu’elle renferme : ici, le genre Brassica(choux, navets, colza, rave, ..) a servi de base pour Brassicaceae. Mais, contrairement à ce qu’affirment nombre de sites ou même de botanistes, le nom alternatif de Crucifères reste parfaitement valide officiellement (sous sa version latine Cruciferae)  bien que non dérivé d’un nom de genre (comme huit autres familles de la classification). N’en déplaise à ceux qui snobent les noms anciens forcément désuets !

Pour voir les organes sexuels, la loupe à main devient quasi indispensable : six étamines dont quatre plus grandes (androcée tétradyname !) et le pistil au centre portant un style très court. A la base des étamines, se trouvent des glandes à nectar ou nectaires. 

Typique enfin ?

Avec les premiers fruits (qui se forment très vite après le début de la floraison vers la base des grappes), toutes les incertitudes sur l’identification se lèvent d’un coup : en effet, le genre Capselle (Capsella) se distingue de toutes les autres Crucifères (ou brassicacées !) par son fruit sec aplati, triangulaire en forme de cœur à deux logées séparées par une échancrure au sommet où se tient le court stigmate. Il est à l’origine du nom vernaculaire bourse-à-pasteur mais nous n’en dirons pas plus ici car nous consacrerons une chronique à part sur ces fruits et les graines étonnantes qu’ils contiennent.  

Capselles rougeâtres en ville ; même de loin, on repère le fruit un peu différent, resserré à sa base.

Donc pas de confusion possible … sauf qu’il existe une seconde espèce très proche, apparue en France à partir de la fin du 19èmesiècle et en pleine expansion notamment dans les zones urbaines : la capselle rougeâtre (C. rubella) ! Ses fruits ont la même forme générale immanquable mais ils ont une base rétrécie et des bords latéraux un peu « creusés » (concaves) alors que ceux de la bourse-à-pasteur sont plutôt au contraire « renflés » (convexes). Globalement, la capselle rougeâtre se distingue aussi par sa taille toujours basse (moins de 30cm) (mais on trouve parfois des individus nains de l’autre espèce !) et, surtout, les fleurs possèdent des pétales très petits, souvent rosés à rougeâtres et qui ne dépassent qu’à peine (versus deux fois plus longs) le calice lui aussi fortement teinté de rouge. Elle tend aussi à fréquenter des lieux plus piétinés et relativement secs mais les deux espèces peuvent aussi cohabiter dans les mêmes sites. Ouvrez l’œil : vous avez toutes les chances de la voir tant elle est devenue assez répandue elle aussi ! 

Capselle rougeâtre

Subcosmopolite 

Plante citadine par excellence

En France, la bourse-à-pasteur se rencontre partout du niveau de la mer jusqu’à 2500m d’altitude dans l’étage alpin. En Europe, son aire s’étend au nord jusqu’en Islande et en Norvège. De là, elle occupe toute l’Asie tempérée et subtropicale et atteint presque 6000m d’altitude dans l’Himalaya. Son étroite association avec les milieux perturbés par les activités humaines (voir ci-dessous et voir la chronique sur la dispersion des graines) lui a permis de conquérir au cours des derniers siècles presque toute la planète à l’exception des régions polaires et de la Polynésie. Elle a suivi les colons européens en Amérique du nord ou en Australie par exemple ; dans les pays tropicaux, elle se cantonne en altitude comme au Kenya en Afrique et elle s’avance loin dans la vallée du Nil jusque dans les zones désertiques. Dans une étude sur la flore de 110 villes réparties sur les six continents (voir la chronique sur ce sujet), on a recensé onze espèces de plantes présentes dans au moins 90% d’entre elles et la bourse-à-pasteur y figure en seconde position derrière le pâturin annuel avec un score de présence de 95%. 

Son lien avec l’Homme ne date pas d’hier : dès 1548, W. Turner (1515-1568), « le père de la botanique britannique » la signale comme poussant le long des voies de circulation presque partout. Au Moyen-âge, on la tenait en haute considération comme plante hémostatique, spécifique du saignement de nez, sous le surnom évocateur de sanguinaria. Par ailleurs, cette plante comestible proche du cresson (dont elle partage le goût) était aussi réputée comme herbe à pot ou en salade. Les colons américains la cultivaient comme légume vert et dans les pays asiatiques, elle jouit aussi d’une forte réputation notamment au Japon en accompagnement du riz. Ces deux liens forts avec l’Homme ont du forcément favoriser son expansion au delà de ses capacités naturelles de dispersion. 

Ubiquiste 

Non seulement, la bourse-à-pasteur occupe une immense aire de répartition mais elle s’y rencontre dans une très large gamme de milieux qui partagent deux caractéristiques communes : ouverts et ensoleillés (elle ne supporte pas la concurrence des vivaces) et plus ou moins perturbés par les activités humaines (milieux dits anthropisés). Ses deux environnements de prédilection se situent d’une part dans les villes et villages et d’autre part dans les cultures (comme « mauvaise herbe »). En milieu urbain, elle recherche les sites plus ou moins piétinés ou avec des espaces dénudés : au pied des arbres plantés en ville, le long des murs, entre les pavés, sur les bords des trottoirs, sur les sommets de vieux murs, dans les terrains vagues, … A la campagne, elle prospère le plus souvent auprès des hommes en occupant les moindres plages de sol dénudé ou temporairement dégarni : jardins potagers, pelouses, bords des chemins, prairies, vergers, bords de champs, tas de fumiers, … A haute altitude, on la retrouve sur les reposoirs à bétail, autour des étables. On peut aussi la croiser plus rarement dans des sites « naturels » comme des milieux rocheux ou sur les grèves des rivières avec des espaces dénudés propices à son installation.

On comprend mieux ce don d’ubiquité quand on parcourt ses exigences écologiques très larges. Son goût pour les sols riches en azote (plante rudérale) explique largement sa proximité avec l’homme, laquelle ne va pas diminuer avec l’enrichissement croissant de tous les milieux en nitrates via la pollution atmosphérique et les engrais (eutrophisation). Elle supporte un large éventail de conditions climatiques, notamment grâce à son cycle de vie annuel (voir la chronique sur les graines) mais même au stade de rosette elle résiste assez bien au froid jusqu’à – 10°C. Côté humidité, on peut la ranger dans les espèces mésophiles peuplant des sols ni trop secs ni trop humides ; elle peut néanmoins résister à une certaine sécheresse grâce à son revêtement pileux (voir le premier paragraphe). Par contre, elle ne supporte pas l’humidité excessive ce qui expliquerait son absence dans les régions tropicales humides (sauf en altitude). Enfin, côté lumière, elle a besoin globalement d’un bon éclairement et d’une certaine chaleur ; cependant, elle peut survivre sous la canopée des arbres en réduisant sa production de tiges et de feuilles mais réussit quand même à fructifier ; ainsi avec seulement 20% de lumière ambiante, elle produit des graines dont un quart réussissent à germer ! 

Plastique 

La dernière anecdote ci-dessus éclaire l’une des caractéristiques majeures de la bourse-à-pasteur qui explique son caractère de super-conquérante : son extrême plasticité, i.e. sa capacité à adopter des formes, des ports et des modes de fonctionnement différents selon les conditions environnementales. Dans le premier paragraphe, nous avons déjà souligné la variabilité de ses caractères végétatifs dont la taille et la forme des feuilles. En ville, cette plasticité saute aux yeux quand la bourse-à-pasteur s’installe dans des sites piétinés comme les fentes entre les pavés : elle peut alors prendre un port quasi nain tout en fleurissant ! Dans ces situations, la plante se ramifie dès la base et peut régénérer sa rosette par voie végétative alors qu’elle est annuelle ! Ces plantes produisent plus de feuilles de forme plus découpée mais moins de fruits plus petits avec moins de graines : la plante réalloue ses ressources de manière différente. La capacité des graines à germer vite sur ces mini-espaces nus favorise le maintien de cette espèce. 

Mais l’aspect le plus spectaculaire dans l’adaptabilité concerne sans doute la période de floraison, une étape du cycle déterminante par rapport au maintien dans un milieu donné selon les conditions qui y règnent. En Californie où l’espèce est largement naturalisée, on a détecté deux types de populations : celles des zones montagneuses à floraison tardive et celles des vallées sèches  à floraison précoce ; on parle d’écotypes. Une vaste étude menée sur l’ensemble de la Chine montre que cette période de floraison est très variable et fortement dépendante de la longueur du jour et des températures hivernales ; là aussi, on trouve ces deux sortes d’écotypes. A haute altitude dans les Alpes, la floraison est effectivement décalée et dans le sud de l’Espagne, chaud et sec, elle est au contraire très précoce. Ces différences ont été mises en relation avec l’expression différentielle d’une gamme de gènes qui contrôlent les rythmes circadiens. 

La bourse-à-pasteur se révèle donc être une plante étonnante mais ce que nous venons d’exposer n’est qu’une partie de ses immenses pouvoirs et secrets. Nous lui consacrerons donc une autre chronique à propos de ses fruits et de ses graines en traitant de la dispersion, de la germination et du cycle de vie. 

A retrouver dans nos ouvrages

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Page(s) : 96-97 Guide des plantes des villes et villages