Bryonia dioica

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Outre ses vrilles (voir la chronique) ou ses racines (voir la chronique), la bryone se distingue en plus par sa sexualité. En effet, contrairement à une écrasante majorité de plantes à fleurs (94% des espèces), la bryone ne produit pas de fleurs hermaphrodites avec des organes mâles (étamines libérant le pollen) et des organes femelles (pistil contenant les ovules, les futures graines) réunis : certains pieds ne donnent que des fleurs à étamines et sont dits mâles ; d’autres ne donnent que des fleurs à pistil et sont dits femelles. On qualifie de dioïque une telle plante aux sexes séparés sur des plantes différentes (d’où l’épithète dioica du nom latin de cette espèce). Il ne faut pas confondre avec les plantes dites monoïques, bien plus répandues où les fleurs mâles sont différentes des fleurs femelles mais portées par les mêmes plantes comme par exemple chez de nombreux arbres tels que noisetiers, chênes, hêtres, …

Bryone mâle

La distinction des deux sexes demande une observation un peu rapprochée car hormis les fleurs, rien ne distingue les pieds mâles des pieds femelles au niveau des tiges, des feuilles, des vrilles ou du port et de la taille. Et encore, dans les deux sexes, les fleurs présentent, de loin, la même apparence : une corolle régulière étalée en forme de roue à cinq pétales blanc verdâtre veinées de blanc, soudés à leur base, un peu charnus d’aspect et sous-tendus par cinq sépales vert foncé triangulaires peu visibles car nettement plus courts. Les fleurs sont regroupées en petites inflorescences ramifiées à l’aisselle des feuilles, portées sur un pédoncule.

Les fleurs des pieds mâles se signalent par leur taille relativement plus grande, dans des inflorescences sur des pédoncules plus longs ; mais, surtout, elles arborent les organes mâles les étamines … sauf que dans leur cas, ces dernières offrent un aspect peu habituel et déroutant qui rappelle un peu celui … d’un pistil ! On compte trois étamines : deux plus grandes portent chacune deux sacs polliniques sous forme de crêtes tortueuses et plissées qui s’ouvrent à maturité et libèrent le pollen ; la troisième ne compte qu’un sac pollinique. On retrouve cette « anomalie » (trois étamines différentes dans une fleur à 5 pièces florales) dans de nombreuses espèces de la famille de la bryone, les Cucurbitacées et on l’interprète comme le résultat d’une évolution vers une fusion des étamines entre elles à partir du modèle ancestral (cinq étamines libres) encore présent dans de rares espèces de la famille : deux paires d’étamines se sont soudées deux à deux tandis que la cinquième reste libre et seule.

Bryone femelle

Les fleurs femelles, un peu plus petites, sont disposées en inflorescences moins fournies et surtout sur des pédoncules plus courts. Mais elles se reconnaissent très facilement à la boule verte en dessous de la corolle, séparée par un étranglement : c’est l’ovaire qui contient les ovules. Au centre de la fleur, point d’étamines évidemment mais trois styles qui cachent l’ovaire et se déploient en stigmates (organes récepteurs du pollen) lobés et riches en papilles, d’un vert foncé. Globalement, cela donne des fleurs femelles plus discrètes que les fleurs mâles.

Cependant, dès que la floraison avance et que les premières fécondations ont lieu par transfert du pollen de fleurs mâles sur les stigmates des fleurs femelles via des insectes pollinisateurs (voir la chronique sur la bryone et ses associés), la différence mâle/femelle devient évidente : les ovaires se gonflent et se transforment en fruits charnus, des baies globuleuses de 5 à 9mm de diamètre, d’abord vertes, puis virant au rouge mat en été-automne. Donc dès que vous voyez des baies sur un pied de bryone, il s’agit forcément d’un pied femelle, les pieds mâles ne produisant jamais de fruits vu que leurs fleurs n’ont pas de pistil.

Dans la baie à peau épaisse, au milieu d’une pulpe liquide à l’odeur fétide nauséabonde, se trouvent 4 à 6 graines aplaties qui peuvent être de deux couleurs : soit unies, soit marbrées de gris-noir et blanc. Quand on les observe de près, sous la loupe, on se dit qu’elles nous rappellent des graines de melons et citrouilles avec leur rebord périphérique : on retrouve la signature de la famille des Cucurbitacées ! On pourrait penser qu’il n’y a rien à voir entre la baie de la bryone et le fruit des melons ou citrouilles : or, pour les botanistes, ce dernier qualifié de péponide (nom féminin) n’est ni plus ni moins une grosse baie (vraiment grosse pour certaines espèces cultivées !) à enveloppe devenue coriace. Une autre chronique traite de la dispersion de ces fruits et graines par les oiseaux.

Un cas d’école

La bryone est la première plante sur laquelle, historiquement, fut démontrée l’existence d’un mécanisme génétique de détermination du sexe via la présence dans chaque cellule de l’organisme d’une « paire » de chromosomes non homologues, les chromosomes sexuels, observables au microscope. On parle de déterminisme hétéromorphique : si ce dispositif est très répandu dans le monde animal (par exemple mâle XY et femelle XX chez les mammifères ou ZZ chez les mâles et ZW chez les femelles pour les Oiseaux), il reste par contre très rare au sein des plantes à fleurs et n’est connu que dans une poignée d’espèces réparties dans des genres non apparentés ce qui indique une apparition indépendante au cours de l’évolution : le cannabis, le houblon, certaines oseilles (Rumex), des silènes comme le compagnon blanc et donc quelques cucurbitacées dont la bryone ou le genre exotique Coccinia. Donc, seule une toute partie des plantes dioïques sont concernées par ce dispositif.

On doit cette découverte au botaniste C. Correns (1864-1933) qui mena des expériences d’hybridations entre la bryone commune (dioïque) et une autre espèce méditerranéenne (mais aussi cultivée comme ornementale), la bryone blanche (B. alba) qui elle est monoïque (voir introduction) ; il cultiva près de mille descendants de ces hybridations où la bryone dioïque servait de « père » en fournissant du pollen. A partir du sexe des descendants, il put ainsi démontrer que la moitié des grains de pollen produits par la bryone commune portaient en eux une « tendance mâle » tandis que l’autre moitié portait une tendance femelle ; autrement dit, le sexe était transmis aux descendants. Plus tard, d’autres scientifiques dont le généticien W. Bateson (1861-1926) recommencèrent le même type d’expérimentation avec un autre couple d’espèces (B. alba remplacée par B. aspera comme espèce monoïque). Leurs résultats confirment ceux de Correns avec un déterminisme de type mâle XY.

Mais, malgré ces résultats incontestables, jamais l’observation détaillée des chromosomes de la bryone n’a pu mettre en évidence un chromosome sexuel Y différent de X dans les cellules des pieds mâles ! Comment expliquer une telle contradiction ?

Une dioécie naissante ?

Le contexte « familial » de la bryone incite d’emblée à la prudence : en effet, dans les Cucurbitacées, on connaît de nombreux cas au sein d’un même genre d’espèces monoïques versus dioïques, voire au sein d’une même espèce selon les régions !

Dans le cas de la bryone, une étude génétique basée sur la recherche d’un marqueur génétique (une séquence ADN) du sexe mâle (1) a montré qu’en Europe du nord, la détermination génétique du sexe sur la base du sexe mâle avec un chromosome différent (au moins dans son contenu génétique) semble bien nette alors qu’elle s’avère fluctuante dans les populations d’Europe du sud. Autrement dit, la détermination du sexe serait chez la bryone à un stade peu avancé, non complètement abouti.

Pour mieux comprendre, il faut élargir le champ d’observation en interrogeant l’histoire évolutive de l’ensemble du genre Bryonia, (2) qui compte dix esp, il y a 10 espèces dont 7 dioïques et 3 monoïques ; l’arbre de parentés de ces espèces semble indiquer que le caractère dioïque est ancestral et qu’à deux reprises il y a eu une évolution vers le caractère monoïque (une fois pour l’espèce B. monoica d’Asie centrale et une autre fois pour les espèces B. alba, méditerranéenne et B. aspera d’Iran et de Turquie). L’espèce qui nous concerne, B. dioica, serait apparue il y a environ 8 millions d’années.

En élargissant encore plus le champ d’observation, on observe que le genre actuel le plus proche des bryones est Ecballium avec une seule espèce présente en France, connue sous le nom évocateur de « cornichon péteur » (à cause des ses fruits explosifs qui projettent leurs graines) ou de concombre d’âne ; or, ce dernier possède aussi un déterminisme de type mâle XY mais il existe une sous-espèce monoïque au comportement écologique différent (3) ! Bref, la stabilité du système de détermination sexuelle est loin d’être le point fort de la famille !

Si on remonte encore plus dans le temps, les données génétiques indiquent que l’ensemble Ecballium/Bryonia se serait séparé il y a 45 millions d’années du genre Austrobryonia qui compte quatre espèces actuelles toutes monoïques …. en Australie, ce qui suppose un événement de dispersion vers l’Asie d’où aurait ensuite essaimé le groupe Ecballium/Bryonia en direction de la Méditerranée. Mais ceci est une autre histoire !

BIBLIOGRAPHIE

  1. A sex-linked SCAR marker in Bryonia dioica (Cucurbitaceae), a dioecious species with XY sex-determination and homomorphic chromosomes. R.K. OYAMA ; S.M. Volz ; S.S. RENNER. Journal of Evolutionnary Biology. Vol. 22 ; 214-224 2009
  2. HYBRIDIZATION, POLYPLOIDY, AND EVOLUTIONARY TRANSITIONS BETWEEN MONOECY AND DIOECY IN BRYONIA (CUCURBITACEAE). Stefanie M. Volz and Susanne S. Renner. American Journal of Botany 95(10): 1297–1306. 2008.
  3. Gender Specialization Across a Climatic Gradient: Experimental Comparison of Monoecious and Dioecious Ecballium. Denise E. Costich. Ecology. Vol. 76, No. 4 (Jun., 1995), pp. 1036-1050

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la bryone
Page(s) : 28-29 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus