Bryonia dioica

bryone-panorama

La bryone fait partie de ces plantes communes omniprésentes dans notre environnement jusque dans les jardins et en ville à la faveur des friches et espaces non entretenus. Cette plante grimpante aux nombreuses tiges pouvant atteindre quatre mètres de long se reconnaît très facilement à ses feuilles vertes foncées, en cœur à la base, dont la forme à 3 à 5 lobes rappelle celle du lierre, à ses vrilles étonnantes en forme de ressorts (voir la chronique sur les vrilles), à ses fleurs discrètes d’un vert blanchâtre rayé et, en automne, à ses baies rouge vif. Mais peu de gens connaissent la partie souterraine de cette plante, une racine étonnante qui a beaucoup fait parler d’elle au cours de l’histoire.

Le navet du diable

Déterrer un pied de bryone âgé de plusieurs années suppose d’avoir du matériel de bonnes dimensions et robuste : la racine charnue (un tubercule) se présente comme un énorme navet allongé, aussi gros qu’une tête d’homme ou long comme un bras. Vers le bas, le tubercule se ramifie en racines secondaires plus ou moins tordues et biscornues, ce qui donne à l’ensemble une silhouette parfois étrange rappelant une forme animale avec des membres. Pour extraire le tout du sol, il faut donc creuser très profond et avec précautions pour dégager toutes les racines ! L’écorce blanc jaunâtre à brunâtre recouvre une chair à pulpe blanche qui dégage à la coupe une odeur forte et désagréable.

Evidemment, une telle racine n’a pas manqué d’interpeller nos lointains aïeux qui l’ont surnommé navet du diable, rave de serpent ou racine vierge. En anglais, on retrouve la même appellation sous la forme de devil’s turnip qui, par déformation, a donné en milieu populaire le surnom de wild neep. La référence au diable ou au serpent dans ces noms donne d’emblée le ton : la racine de bryone avait mauvaise réputation et elle le méritait (voir ci-dessous).

Source de longévité

Cette racine tubéreuse permet à la bryone d’être vivace et de s’installer durablement dans son habitat ; une fois installée, elle peut persister des dizaines d’années durant, développant de plus en plus profondément son « navet ». En automne, toutes les tiges herbacées sèchent et meurent.

Au printemps, dès la fin mars, la racine commence à produire plusieurs jeunes tiges : ces pousses vert foncé s’allongent à toute vitesse, nourries par les abondantes réserves accumulées dans la racine. Elles s’étalent d’abord au sol puis très vite commencent à escalader la végétation environnante encore alors peu développée ; ainsi, dès la fin avril, la bryone a tissé son réseau de tiges en tous sens et de plusieurs mètres de long, prenant une bonne longueur d’avance sur les autres plantes et s’assurant l’accès à la lumière.

Une asperge de printemps

Les jeunes pousses allongées, prélevées à leur émergence, étaient consommées en région méditerranéenne comme asperges de printemps. P. Lieuthagi, ethnobotaniste, rapporte qu’elles étaient encore vendues sur les marchés des Pyrénées Orientales il y a quelques décennies sous le surnom de carbacines. Cette consommation a de quoi surprendre compte tenu de la toxicité extrême de la plante toute entière mais on les faisait blanchir à l’eau bouillante avant de les accommoder en omelette par exemple ; ce traitement devait éliminer une bonne partie de les substances toxiques. On retrouve la même pratique avec d’autres jeunes pousses de lianes comme celles du tamier (une autre grimpante toxique mais non apparentée à la bryone) connues elles sous le surnom de raspounchous ou encore avec les pousses des clématites, pourtant très âcres !

Une étude ethnobotanique menée en Toscane italienne (1) rapporte aussi cette consommation encore en vigueur localement et, pour l’auteur A. Pieroni, il s’agit d’une survivance enracinée très loin dans l’Antiquité gréco-romaine puisqu’on retrouve des mentions explicites dans différents textes anciens comme ceux de Dioscoride, Pline ou encore Galien (129-214), médecin grec bien connu qui déclarait : « les premiers germes de la couleuvrée se mangent ordinairement au printemps comme viande fort bonne à l’estomac et propre à émouvoir l’urine ». Plus tard, au 12ème  siècle, dans le Liber de simplici medicina (Le livre des Simples Médecines), M. Platearius de l’école de médecine de Salerne, ajoute : «  L’eau où les tendrons auront cuit, donnée à boire, provoque fort l’urine ». Tendrons et germes désignent bien sûr les fameuses jeunes pousses. Ceci confirme le rôle avant tout diurétique conféré à ces asperges, une sorte de cure de printemps dépurative pour « laver les humeurs »

Il y a un talon d’Achille

On pourrait croire qu’une telle racine puissante dispose de capacités de multiplication végétative à la manière des racines des liserons chez qui le moindre fragment peut redonner une plante entière. Si on coupe un gros tubercule (2) en rondelles de 2cm de hauteur et les racines latérales en tronçons de 1cm de long et qu’on met ces fragments en culture, on constate que seuls ceux prélevés dans la partie supérieure proche de la surface ou collet, réussissent à redonner des pousses et à produire ultérieurement une nouvelle plante. Voilà donc le point faible de la racine de bryone : une faible capacité de multiplication végétative. Effectivement, au printemps, si on dégage la base d’une plante, on constate que les pousses partent toutes du sommet du tubercule. Cette faiblesse est connue de certains jardiniers ou arboriculteurs (la bryone fréquente volontiers les vergers) : au lieu de s’échiner à la déterrer ou, pire, de la traiter aux désherbants, il suffit de trancher le sommet du tubercule pour anéantir la plante.C’est aussi pour cette raison que la bryone ne réussit à se maintenir que dans les terrains non régulièrement entretenus et surtout au sol retourné, ce qui détruit sa racine.

Une bombe chimique

Une telle masse charnue gorgée de réserves ne devrait pas manquer d’attirer les convoitises des petits rongeurs à la recherche de nourriture en hiver ou encore les sangliers, adeptes du déterrage de racines et de bulbes. Et pourtant, dans la pratique, aucune trace d’attaque d’herbivore n’est observée. La forte odeur déjà signalée, qualifiée de vireuse, apporte la réponse à cette immunité : le tubercule renferme un cocktail de substances toxiques. On y trouve des résines (de la bryorésine), de la bryonidine, une glycoprotéine qui bloque la synthèse des protéines en inhibant les ribosomes des cellules, tout un ensemble de terpènes cycliques appelés cucurbitacines, des stérols, …. Tout ceci lui procure des effets purgatifs et vomitifs qualifiés de violents et drastiques mais aussi tout un arsenal de propriétés médicinales plus ou moins avérées, largement utilisées au cours de l’histoire.

De telles propriétés se retrouvent chez de nombreux membres de la famille de la bryone, les Cucurbitacées, et souvent les substances actives se trouvent localisées dans les parties souterraines ; ainsi, les racines du melon possèdent-elles aussi des effets émétiques (capable de provoquer des vomissements) ou purgatifs très puissants mais méconnus !

Une empoisonneuse notoire

Laissons ici de côté les empoisonnements chez l’homme liés à l’usage médicinal de la racine, pour nous intéresser aux effets sur les animaux. Curieusement, le bétail domestique qui ne broute en principe pas le feuillage tout aussi malodorant et toxique (sauf peut-être les chèvres) peut consommer ces tubercules quand ils se trouvent déterrés à l’occasion par exemple de travaux de terrassements. Ainsi, dans les années 1960, en Angleterre (3), suite au creusement d’une tranchée dans un pré et à l’arrachage d’une haie où florissaient des bryones, le troupeau de vaches présent se mit à manger presque avidement ces « navets » mis à nu et dès le premier jour des travaux, quatre d’entre elles en mourraient. Deux autres qui en avaient aussi consommé survécurent et bizarrement, dans les mois qui suivirent, se mirent à brouter le feuillage des bryones : ceci leur provoqua des diarrhées et un arrêt de la production de lait. Ainsi, il semble que la plante exerce une sorte de pouvoir répulsif/attractif très étrange !

D’ailleurs, dans la campagne anglaise, on faisait sécher ces racines au four pour en faire de la farine qui était ajoutée à la nourriture des chevaux et censée leur donner un pelage plus lustré !

Gérard GUILLOT Zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. Medicinal plants and food medicines in the folk traditions of the upper Lucca Province, Italy. A. Pieroni. Journal of Ethnopharmacology 70 (2000) 235–273
  2. Control of the environmental weeds Reynoutria japonica and Bryonia cretica
  3. T.K. James1, A. Rahman and A.I. Popay. Fifteenth Australian Weeds Conference.
  4. Flora Britannica. R. Mabey. Ed. Chatto and Windus. 1997 ; p. 131-132.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la bryone
Page(s) : 28-29 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus