Cactaceae

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Cactus-cierges autour des ruines de Quilmes, près de Buenos-Aires en Argentine (photo Roland Guillot)

Dans l’esprit de nombreuses personnes, cactus rime instantanément avec épine même si ces plantes ont bien d’autres particularités tout aussi étonnantes mais moins accessibles à l’observation. Précisons d’emblée que nous allons ici parler des cactus au sens strict scientifique : les plantes de la famille des Cactacées. Ce distinguo est très important car il existe de nombreuses autres plantes à « allure de cactus » ou cactiformes et dotées elles aussi d’épines au sens large (voir la chronique sur les épines) dans des familles non apparentées et souvent très éloignées des cactus : les agaves, yuccas et autres aloès (famille des Asparagacées) ; les didiéracées, étranges plantes de Madagascar ; certaines euphorbiacées succulentes ; des apocynacées …. Pour augmenter la confusion, il s’agit en plus souvent de plantes fréquentant elles aussi des milieux désertiques comme nombre de cactus.

Quelles sont les particularités des épines des cactus et quelles sont leurs fonctions dans la vie de ces plantes ?

NB : Les exemples illustrés dans cette chronique sont souvent sans nom faute d’identification certaine vu la difficulté extrême de cette famille et les étiquettes souvent fausses dans les expositions !

Feuilles de cactus

La formation des épines (1) ne peut se comprendre qu’à travers leur lien étroit avec les feuilles. Oui, vous avez bien lu : les cactus ont des feuilles vertes avec les attributs classiques (stomates, limbe, mais aps de pétiole) même si le plus souvent elles sont fort discrètes. Les tiges succulentes (gorgées d’eau) aux formes très variables portent des bourgeons qui initient des feuilles comme chez toutes les plantes vertes. Le plus souvent, elles restent très petites et souvent éphémères, disparaissant très vite mais laissant néanmoins une cicatrice (hyper discrète elle aussi !). Ainsi, dans la tribu des Opuntias, elles se présentent sous formes de pointes charnues, étroites de quelques millimètres de long mais bien visibles sur les jeunes pousses ; au delà de un à deux mois après leur sortie, elles disparaissent. Dans la grande tribu des Cactoïdés, les feuilles deviennent encore plus réduites, microscopique sle plus souvent, tout en ayant malgré tout les attributs classiques d’une feuille ; leur taille varie entre 2,3mm et … 500 microns (millièmes de millimètres) et les plus réduites ne dépassent même pas le stade bourgeon devenant des micro-protubérances.

Mais, comme toujours dans cette famille hautement diversifiée à tous propos, il y a l’exception majeure d’une troisième tribu, peu connue comme ornementale contrairement aux deux autres, les Pereskia ou rose-cactus : ce sont des arbres ou arbustes avec des fleurs typiques de cactus mais de grandes feuilles minces à limbe plat, pouvant atteindre plus de vingt centimètre de long, fines ou à peine épaissies ; bref, vraiment pas un look de cactus au sens populaire ! On considère cette tribu (ou au moins une partie d’entre elles) comme ancestrale, i.e. proche de l’ancêtre commun à toutes les Cactacées, une plante qui devait être proche des Pourpiers actuels (Portulaca).

En tout cas, cela signifie que les cactus possèdent encore dans leur génome tous les gènes permettant de fabriquer une feuille comme chez les plantes « normales » et qu’ils sont fonctionnels, même si le produit final reste vestigial

Naissance d’une épine

A l’aisselle de ces feuilles donc, comme chez toutes les plantes, il y a un ou plusieurs bourgeons axillaires recouverts d’écailles qui sont des mini-feuilles transformées. Les épines de tous les cactus sont donc des écailles de bourgeons axillaires de feuilles transformées ce qui explique d’emblée une caractéristique unique des épines des cactus qui distingue cette famille de toutes les autres : leur regroupement en « bouquets » étoilés autour d’un point central en une structure appelée aréole.

Chaque ébauche (primordium) d’écaille de bourgeon se développe en s’allongeant depuis la base vers l’extrémité ; les cellules s’allongent et se transforment rapidement en fibres mortes durcies donc mortes. L’activité du point d’initiation basal cesse au bout de quelques semaines : une épine est née ! Difficile désormais de savoir qu’il s’agissait à l’origine d’une future « feuille » puisque toute trace de structure foliaire a disparu : les épines ne portent pas de stomates (orifices servant à prélever les gaz de l’air et rejeter la vapeur d’eau), pas de cellules chlorophylliennes, pas de tissus conducteurs de sève : rien qu’un épiderme durci et des fibres ! L’épine de cactus, du fait de cette origine, mérite donc en anglais l’appellation de spine (épine-feuille : voir la chronique sur les épines) et non pas de thorn (épine-tige).

Du point de vue développement, une telle transformation aussi radicale intrigue : on pense que dans l’ébauche de feuille doit avoir lieu une répression de l’expression des gènes normalement dédiés à la formation d’une feuille (qui sont toujours présents et fonctionnels) et que, simultanément, doit se produire une activation de gènes qui normalement ne s’expriment qu’au niveau des fibres des tissus conducteurs de sève.

Quelques rares genres de Cactus n’ont qu’une épine à la fois et elles ont complètement disparu dans le genre Blossfeldia, originaire des Andes et chez certains cactus-lianes épiphytes (accrochés dans les arbres) de la forêt tropicale comme les Epiphyllum ou les Rhipsalis. Notons que les Pereskia, mentionnés ci-dessus, au look si peu « cactus », possèdent bien des épines par paires.

Une folle diversité

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La diversité des épines des cactus s’exprime à deux niveaux : d’une espèce ou d’un genre à l’autre et, plus étonnant encore, au sein des bouquets d’épines sur une même plante !

Les épines sont le plus souvent remarquablement droites (et d’autant inquiétantes !) car la croissance en longueur se fait de manière égale sur les deux faces (de l’ancienne feuille) ; parfois, une croissance différentielle conduit à des épines courbées voire crochues vers le bas. La section est le plus souvent ronde mais parfois aplatie ou avec, à une échelle ultramicroscopique, des microreliefs comme des sillons au rôle surprenant (voir ci-dessous).

La variation s’exprime donc aussi au sein de chaque bouquet d’épines pour une plante donnée. Le bourgeon produit en fait, selon une séquence bien établie et sous commande génétique, une série d’épines de forme, de taille, de couleur et de texture différentes. Les épines rayonnantes à l’extérieur sont en général les plus petites et les plus fines tandis que celles émergeant du centre de l’aréole se montrent plus fortes avec souvent des couleurs plus vives. Curieusement, le plus souvent, il n’y a pas d’intermédiaires entre ces deux grands types d’épines ! Cependant, il y a aussi des espèces où toutes les épines d’un bouquet sont à peu près identiques.

Une variante des épines se rencontre dans la tribu des Opuntioïdés sous forme de fines épines cassantes ressemblant à des poils raides, souvent en plus des épines proprement dites : les glochidies (du grec glokhis pour pointe). Très nombreuses par aréole, courtes, elles ont la même origine mais possèdent des cellules épidermiques recourbées qui leur donnent un aspect barbelé très accrocheur. Contrairement aux épines classiques très durables, elles se détachent facilement mais restent souvent en place tant elles sont serrées entre elles ; au moindre frottement, elles peuvent se détacher et se planter dans la peau ou les vêtements et s ‘avérer alors redoutables et dangereuses pouvant, chez l’Homme, provoquer des dermatites. On les retrouve sur les fruits comme les fameuses figues de Barbarie produites par un Opuntia et qu’il faut délicatement éplucher avant de consommer la chair.

Une arme défensive

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D’aucuns pensent que les épines des cactus sont là « pour » défendre les cactus contre les attaques des herbivores compte tenu de la difficulté que nous avons, nous aussi, à les manipuler ou simplement à les effleurer. Effectivement, un tel revêtement offensif ne peut que devenir une barrière mécanique aux attaques des grands herbivores et notamment en milieu désertique ou semi-désertique où la végétation maigre et dispersée fait l’objet de toutes les convoitises. En Amérique du sud, par exemple, terre d’élection et de diversification des cactus, ils subissent la pression des lamas, guanacos et autres alpagas ou vigognes, les seuls « grands » herbivores actuels ; mais, jusqu’à un passé récent, ils ont évolué en compagnie d’une mégafaune de grands herbivores (voir la chronique sur ce sujet).

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Alpagas pâturant dans une zone semi-désertique en Argentine (photo Roland Guillot)

Par contre, cette protection devient bien moins évidente vis-à-vis des insectes herbivores qui peuvent circuler entre les épines ; mais la « carapace » épaisse ou cortex qui constitue le corps des cactus offre une autre barrière. Pour autant, en milieu tropical où la pression d’herbivorie est forte, on trouve des espèces de cactus devenues …. inermes ! Donc, pas si simple !

Les épines servent même de points d’accroche aux graines de guis parasites (genre Tristerix ; famille des Loranthacées) véhiculées par des oiseaux et qui se développent ensuite aux détriments de la plante ! Attention : ne aps confondre avec une espèce de cactus épiphyte aux baies blanches et surnommée cactus-gui à cause de son apparence (genre Rhipsalis)

Comme tout organe, les épines ont subi au cours de l’évolution, des pressions de sélection multiples qui ont conduit vers des fonctions multiples non exclusives.

L'orinetation en tous sens des épines renforce leur dangerosité

L’orientation en tous sens des épines renforce leur dangerosité

Effet sombrero

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Cardones en Argentine à 2500M d’altitude sous un climat très ensoleillé et rude (photo Roland Guillot)

Une première fonction invoquée et liée à la fréquence de ces plantes dans des milieux très ensoleillés, y compris à très haute altitude, concerne la protection indirecte contre cette insolation excessive et les effets délétères des UV, via l’ombrage qu’elles procurent. Par leur texture et leur couleur, elle speuvent aussi réfléchir une partie du rayonnement incident. Cependant, en même temps, cet effet d’ombrage pourrait influencer l’efficacité de la photosynthèse (2). Des expériences consistant à tondre les épines montrent que cela augmente le flux de lumière à la surface ainsi que le prélèvement de dioxyde de carbone dans l’air et améliorait donc au final la production de matière. Une étude a comparé trois espèces d’Opuntia, aux épines plus ou moins denses : l’espèce avec les épines les plus denses a effectivement une capacité photosynthétique un peu plus basse que les deux autres mais semble par contre en tirer un bénéfice en termes de protection de la chlorophylle et des protéines associées sensibles aux UV et contre la chaleur excessive sans oublier une meilleure défense contre les herbivores. Tout est donc affaire de compromis !

Chasseur de brume

Une autre fonction incroyable de ces épines, au moins chez certaines espèces telles que les Opuntia, est de provoquer la condensation du brouillard sous forme de gouttelettes d’eau qui ensuite s’écoulent vers la « peau » : un arrosage intégré particulièrement efficace dans les régions désertiques côtières hyperarides mais connaissant de forts brouillards. Une équipe chinoise (3 et 4) a étudié minutieusement ce mécanisme sur un Opuntia (O. microdasys). Les bouquets d’une centaine de glochidies coniques, réparties en tous sens, sont réparties de manière homogène ; chaque épine possède une pointe barbelée, une zone médiane avec des sillons et une ceinture basale de poils. Cet ensemble s’avère très efficace (notamment la forme conique ainsi que les sillons) pour capter le brouillard, créer de grosses gouttes qui glissent le long de l’épine avant d’être absorbées par les poils à la base. Les chercheurs ont dans la foulée mis au point un appareil biomimétique inspiré de ce modèle pour récupérer ainsi de l’eau en milieu désertique : une sorte de boule épineuse creuse reliée à un système de collecte ! Comme quoi la recherche fondamentale peut aussi avoir des applications technologiques !

D’autres fonctions

La coloration des épines joue sans doute un rôle : souvent jaune paille, elles pourraient faciliter la confusion avec l’herbe sèche environnante et diminuer la détection par les herbivores. A l’inverse, les épines vivement colorées pourraient peut-être servir de signal d’alarme aposématique comme cela a été démontré avec les aiguillons des Agaves (qui ne sont pas des cactus). Peut-être aussi qu’elles facilitent le repérage par les pollinisateurs ou les animaux qui dispersent les graines dans les fruits charnus ? Les fruits eux-mêmes épineux pourraient aussi s’accrocher à des animaux ? Il reste beaucoup à découvrir dans ce domaine presque inexploré !

Chez certaines espèces, les épines deviennent glanduleuses, élaborant une sécrétion sucrée qui attire les fourmis ; elles fonctionnent alors comme des nectaires extra-floraux (voir la chronique sur ce processus) et assurent ainsi une protection par un tiers.

Enfin, terminons par un effet anecdotique très surprenant : en cas d’incendie, les épines s’enflamment ce qui endommage gravement les cactus ! Pan sur le nez des amateurs de créationnisme : leur créateur n’est décidément pas parfait !

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Adios !

BIBLIOGRAPHIE

  1. Structure–Function Relationships in Highly Modified Shoots of Cactaceae. JAMES D. MAUSETH. Annals of Botany 98: 901–926, 2006 ; remarquable article de synthèse sur les cactus
  2. The effect of cactus spines on light interception and Photosystem II for three sympatric species of Opuntia from the Mojave Desert
. Michael E. Loik. Physiologia Plantarum 134: 87–98. 2008
  3. A multi-structural and multi-functional integrated fog collection system in cactus
. Jie Ju, Hao Bai, Yongmei Zheng, Tianyi Zhao, Ruochen Fang & Lei Jiang. Nature communications. 2012
  4. Facile and Large-Scale Fabrication of a Cactus-Inspired Continuous Fog Collector. Moyuan Cao, Jie Ju, Kan Li, Shixue Dou, Kesong Liu, and Lei Jiang. Adv. Funct. Mater. 2014,

A retrouver dans nos ouvrages

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