Aix galericulata

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Dans la famille des anatidés (canards, oies, cygnes, tadornes et apparentés), de nombreuses espèces de canards se distinguent par des associations de couleurs vives au niveau du plumage des mâles, au moins pendant la période de reproduction. Parmi les espèces indigènes ou exotiques souvent élevées en captivité, je place sans hésiter largement en tête le magnifique petit canard mandarin, un bijou naturel ! Comme en plus il s’agit d’une espèce en voie de naturalisation en Europe, y compris en France et que sa biologie offre quelques originalités, nous lui consacrons une chronique entière, à sa gloire !

Mandarin : ça lui va bien !

Mandarin : haut dignitaire de l’empire chinois ou coréen souvent somptueusement vêtu : voilà une définition qui sied bien à ce petit canard (40-50cm de long pour un poids de 500-700g) à double titre. D’abord, son aire d’origine se situe à cheval sur le sud-est de la Russie et le NE de la Chine (bassins des rivières Amour et Oussouri) et au Japon dans l’île d’Hokkaido essentiellement. Quant à l’aspect de grand dignitaire, il n’y a pas photo (ou plutôt si, plein de photos !) car le mâle de canard mandarin arbore une palette de couleurs inouïe : un bec rouge corail, de larges favoris frangés orange mandarine, un sourcil blanc gracieusement courbé, un ventre orangé et, cerise sur le gâteau, deux incroyables « franges relevées » orange vif sur les côtés des ailes, comme deux voiles. Tout cet assortiment bigarré est mis en valeur par la calotte violet sombre et le reste avec du blanc et du sombre ou verdâtre. Quand il relève la tête, une sorte de large huppe ébouriffée se déploie.

La femelle est beaucoup plus discrète comme chez une majorité de canards : grise avec un cercle orbital blanc, des taches blanches sur les flancs, un petit miroir alaire vert (le mâle aussi en vol). A la fin du printemps, le mâle perd sa parure pour muer et adopter un plumage dit d’éclipse très proche de celui de la femelle ; il ne reprend ses superbes couleurs qu’en automne.

Ce plumage si particulier explique l’étymologie de son nom latin d’espèce (2) ; Aix vient d’un mot grec pour chèvre car les deux voiles arrière dressées font penser à des « cornes » ; galericulata vient du latin galerus, pour capuchon à cause de la tête comme recouverte d’une capuche.

Arboricole

Le canard mandarin n’hésite pas à se percher et à se réfugier dans les arbres en cas de danger. Mais cette relation avec les arbres va plus loin en période de reproduction : il niche dans des cavités plus ou moins haut placées dans les arbres non loin des rives des plans d’eau ou rivières qu’il habite (jusqu’à 500m à l’intérieur). Il adopte soit des grosses loges de pic (dont celles du pic noir présent dans son aire de répartition) abandonnées, soit des cavités naturelles (souvent dans des chênes ou des frênes en Angleterre) ou bien des nichoirs posés à son intention. Quand les canetons éclosent, la cane quitte le nid, se pose au sol et les appelle ; un à un, ils sautent dans le vide (parfois depuis 15m de hauteur) et atterrissent tant bien que mal au sol sans se blesser grâce à leur poids limité et leur revêtement de duvet ! Ce comportement spectaculaire existe chez d’autres anatidés comme les garrots, certains harles, et même parfois chez nos colverts qui peuvent nicher dans d’anciens nids de corneilles. Ce mode de reproduction « loin de l’eau » et le comportement très discret de la femelle rendent difficile la détection des nidifications et le suivi du comportement au nid.

Des parents improbables!

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Arbre de parentés des Anatidés. Une partie des groupes mentionnés sont illustrés ci-dessous.

Autrefois, on classait le mandarin dans un groupe informel, un peu fourre-tout, dit des « canards percheurs » car on avait bien du mal à le placer au sein de la famille des Anatidés. Son mode d’alimentation est un mélange de plusieurs styles : soit il barbote en surface comme les canards dits de surface, soit il pique la tête dans l’eau ou bien, plus rarement, il plonge entièrement à l’instar des canards plongeurs. On le considérait, avec son très proche cousin le canard carolin (Aix sponsa) d’Amérique du nord, arboricole lui aussi (wood duck en anglais !), comme intermédiaire entre les tadornes et les canards de surface tels que le colvert ou les sarcelles. Son comportement et son anatomie le rapprochent un peu des oies par ailleurs.

Récemment, une équipe chinoise (4) a séquencé l’ADN mitochondrial de ce canard ; des comparaisons avec d’autres espèces montrent que le plus proche parent des deux espèces du genre Aix (mandarin et carolin) est …. Cairina moschata, le canard musqué d’Amérique du sud et centrale, bien connu sous sa forme domestiquée, le canard de Barbarie ! Un gros canard noir un peu lourdaud, loin des canons de beauté des mandarins et des carolins !

Ce groupe Aix/Cairina est parent des Tadornes et du Céréopse cendré, sorte « d’oie » grise à bec court des côtes sud de l’Australie, surnommée « oie-cochon » pour ses cris. Tous ensemble, ils forment une sous-famille, les Tadorninés.

Un peu coucou

L’étude de la reproduction du canard mandarin réserve des surprises originales (3). D’abord, dans les pontes, il y a souvent une part des œufs (un quart environ pour l’étude anglaise) qui n’éclosent pas, faute semble t’il d’un développement embryonnaire suffisant ; ceci serait dû au fait que des œufs sont rajoutés alors que la femelle a commencé à couver ; donc quand l’éclosion arrive, ces œufs n’ont pas été assez incubés. L’autre fait marquant découvert à la fois en Chine en milieu originel et en Angleterre dans les populations naturalisées, devenues complètement « sauvages », c’est la grande variabilité de la taille des pontes. Au lieu de 9 à 12 œufs comme on l’observe le plus souvent en captivité, la moitié des nids contenaient 17 œufs et plus avec un record de 44 dans le même nid. Curieux, non ? Or, on connaît des faits semblables chez son cousin, le canard carolin, une espèce très étudiée depuis longtemps : là, on a pu montrer que les pontes abondantes résultaient d’un parasitisme de ponte à l’intérieur de l’espèce. Une femelle occupe un nid et pond et d’autres viennent ajouter des œufs (2 ou 3 autres femelles en moyenne). Les anglo-saxons appellent cela le « dump nesting » (to dump : déposer, se débarrasser) On pense que le mandarin procède régulièrement de la même manière ! Le taux d’éclosion n’est pas impacté par ce curieux comportement ; par contre, il y a en moyenne deux fois plus de canetons qui quittent un nid parasité que dans un nid non parasité (œufs pondus par une seule femelle).

En voie de naturalisation

Le canard mandarin figure désormais dans la longue liste des espèces naturalisées en Europe (6). Son arrivée provient des introductions comme oiseau d’ornement sur les plans d’eau notamment dans les jardins privés ou les parcs urbains. Ce commerce a commencé dès le 16ème siècle depuis le Japon et s’est poursuivi de manière intensive jusque dans les années 1980 via la Chine.

L’Angleterre a été la première colonisée : la première observation d’un oiseau devenu « sauvage » y date de 1886. Un recensement effectué en 1987 donnait une population de 7000 oiseaux et depuis le mandarin ne cesse de progresser tant en nombre qu’en aire de répartition, tout en restant surtout dans le sud-est du pays.

En France (5), la première mention de nidification date de 1977 dans le Loiret ; on estime à une trentaine de couples la population nicheuse dans les années 2000 dans l’ouest de la France, en Ile-de-France et çà et là. Ailleurs en Europe, il est installé en Allemagne notamment dans les parcs de Berlin, en Suisse, en Belgique, en Italie, aux Pays-Bas, .. et jusqu’aux Açores ! On suspecte même que ces populations introduites commencent à adopter un comportement migratoire comme dans leurs pays d’origine en hiver.

Gênant le mandarin ?

Evidemment, devant une espèce exotique en expansion, on se demande de suite : n’y a t’il pas problème ? En captivité, il est réputé pour causer des pertes chez les autres oiseaux nichant dans des cavités en piétinant leurs œufs ; dans la nature, il pourrait entrer en compétition avec d’autres espèces cavernicoles recherchant des cavités assez grandes comme les choucas, les harles bièvres ou les garrots à œil d’or (autres « canards » arboricoles). Dans les pays où il est déjà bien installé aucune observation ou étude ne viennent corroborer un tel impact et on considère que son impact écologique est faible voire nul.

Par ailleurs, on arrive au paradoxe que ces nouvelles populations naturalisées deviennent numériquement supérieures à celles existant à l’état naturel en Chine et en Russie et qui connaissent un certain déclin du fait de la déforestation et de la construction de grands barrages. Au Japon, un programme de sauvegarde a permis une progression des populations avec des réintroductions depuis l’Europe : alors la survie de l’espèce n’est elle pas amenée à passer par ce nouveau réservoir européen ?

En Angleterre, la progression du mandarin semble avoir été facilitée par la pose de nichoirs (3). Cependant, contrairement à ce que l’on pensait, les pontes dans les nichoirs sont en moyenne plus faibles que celles dans des cavités naturelles ; on pensait que les nichoirs favorisaient le parasitisme de ponte mais il n’en est rien. Par contre, en offrant plus de cavités, le nombre d’œufs pondus par année augmente nettement et favorise globalement l’espèce.

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BIBLIOGRAPHIE

  1. Site HBW alive : http://www.hbw.com/species/mandarin-duck-aix-galericulata
  2. L’étymologie des noms d’oiseaux. P. Cabard ; B. Chauvet. Ed. Belin Eveil Nature. 2003
  3. Clutch size and nesting sites of the Mandarin Duck Aix galericulata , A. K. Davies & G. K. Baggott (1989) Bird Study, 36:1, 32-36
  4. The Complete Mitochondrial Genome of Aix galericulata and Tadorna ferruginea: Bearings on Their Phylogenetic Position in the Anseriformes. Liu G, Zhou L, Li B, Zhang L PLoS ONE 9(11) ; (2014)
  5. Les oiseaux allochtones en France : statut et interactions avec les espèces indigènes Philippe J. Dubois. Ornithos ; 329-364 ; 2008
  6. Review of the status of introduced non-native waterbird species in agreement area of the African- Eurasian Waterbird Agreement research contract CR0219. BTO Research Report 229 : 1-129. BLAIR M.J., MCKAY H., MUSGROVE A.J. & REHFISCH M.M. (2000).

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le canard mandarin
Page(s) : 79 Le Guide Des Oiseaux De France