Cette chronique rapporte quelques aspects de la biodiversité observée lors d’une mini-balade sur un espace naturel accessible au grand public ; il ne s’agit que d’un instantané très partiel pour une date donnée avec des informations complémentaires sur le site. Vous pouvez retrouver l’ensemble de ces chroniques-balades à la lettre Z, rubrique Zoom-balade. 

03/07/2020 Ce zoom-balade est centré sur le site exceptionnel de la forteresse médiévale de Château Rocher perchée au sommet d’une falaise qui surplombe la vallée de la Sioule de près de 150 mètres de hauteur à pic. Nous allons le découvrir en parcourant un circuit de découverte depuis le hameau de Blot-Rocher sur la commune de St Rémy de Blot. Cette chronique décrit la première moitié de ce circuit qui mène du hameau au vallon de Busseret avant de rejoindre la D109 sur laquelle se trouve le parking de départ pour la montée au Château rocher ; cette seconde partie et fin du circuit est traitée, vu sa densité et sa richesse, dans une autre chronique intitulée « La montée à Château Rocher (St Rémy-de-Blot). 

Dans cette première partie du circuit nous découvrons un environnement très différent : un vallon boisé et bocager typique des Combrailles avec, cerise sur le gâteau, au fond du vallon un site enchanteur à papillons de jour. 

En rose, la partie du circuit décrite ici ; la partie verte est décrite dans l’autre chronique sur Château-Rocher

NB : les numéros insérés dans le texte permettent de se localiser sur le plan ci-joint fourni. Attention : ce circuit diffère un peu du circuit officiel pour le départ mais le rejoint à partir de (3)

Combrailles 

Les Combrailles (on peut aussi dire la Combraille) forment une région naturelle qui s’étend au Nord-Ouest du Massif-Central à cheval sur plusieurs départements ; ici, nous sommes dans les Combrailles du Puy-de-Dôme au nord-ouest de ce département. Cette région mal connue du grand public, se compose de plateaux granitiques, perforés çà et là par des pointements volcaniques et structurée par la vallée de la Sioule et ses gorges remarquables que surplombe Château-Rocher. Cette région culmine à la roche de Sauterre (997m), site auquel nous avons consacré un zoom balade hivernal. Dans cette partie des Combrailles, l’altitude se situe autour de 500-600m et la présence des gorges tempère le climat rude sur les plateaux. 

Le paysage de collines et de plateaux de part et d’autre des gorges de la Sioule est dominé par des boisements continus ou en taches dispersées intégrées dans une matrice bocagère qui a relativement peu subi les outrages de l’agriculture intensive même si, comme partout, la situation se dégrade très vite de manière insidieuse. La pauvreté des sols et les pentes importantes à l’approche des gorges ont freiné la malédiction générale qui touche les zones bocagères et nous allons y savourer quelques pépites, témoins d’un temps ailleurs depuis longtemps révolu. 

Dès les premiers mètres du chemin de départ (1), le ton est donné avec deux éléments frappants. D’abord, à droite, un pré en pente couvert de ronciers opulents et colonisé dans la partie supérieure par des noisetiers ; il témoigne de la déprise agricole forte dans ce secteur avec le déclin de l’élevage qui conduit à l’abandon des terres les moins fertiles et pratiques laissées à la reconquête forestière qui ne traîne pas ! A gauche, dans la haie, un magnifique têtard de frêne nous fixe de son œil mi- taquin mi-maléfique ; ses nombreuses cavités naturelles laissent augurer de son potentiel de réservoir de biodiversité notamment pour les insectes saproxyliques spécialisés dans le bois mort (voir la chronique sur les arbres têtards).

Chemin faisant

La bande centrale herbeuse du chemin et ses accotements non fauchés complètent ce décor de campagne de haute qualité environnementale. Les brunelles vulgaires prospèrent sur la bande médiane sauf quand les sangliers sont venus retourner la terre de leur groin (boutis). Les grandes berces insolentes en avril mai ont déjà passé : il ne reste plus que des tiges sèches et des ombelles chargées de fruits ailés prêts à se disperser aux quatre vents. Des touffes de millepertuis perforé, espèce très commune, fleurissent les bas côtés et ont pris le relais

Le chemin s’enfonce rapidement dans des bois (2) une forte pente à gauche et un talus à droite, oasis de biodiversité végétale. La germandrée socorodoine ou sauge des bois abonde ici dans ces boisements de chênes plutôt secs en haut de pente : ses colonies arborent des myriades de grappes fleuries discrètes mais efficaces pour attirer les bourdons avec leur nectar.

Une liane aux grandes feuilles en cœur d’un vert luisant part à l’assaut des arbres en lisière : le tamier ou herbe aux femmes battues, une plante qui recherche la chaleur et annonce la proximité des gorges plus abritées (voir la chronique sur cette liane originale).

Le tamier, une liane des haies et talus

Sur un pan de talus ombragé, une jolie graminée toute en délicatesse domine la scène avec ses épis très clairsemés : la mélique uniflore. 

Deux plantes peu communes retiennent notre attention et subissent les assauts du photographe. Une campanule aux clochettes très évasées se signale par son port très lâche et ses inflorescences peu fournies : la campanule étalée ; peu commune en général et en populations clairsemées, elle signe des sols siliceux (ici, des schistes métamorphiques) et un peu frais.

La seconde demande plus d’attention pour être repérée : un œillet très fin et longiligne aux petites fleurs d’un beau rouge moucheté, enchâssées dans de longs calices fusiformes : l’œillet velu ou œillet arméria (voir la chronique générale sur les fleurs des œillets). Autrefois commun mais se raréfiant de manière significative, ce bel œillet discret signe quant à lui des sols secs et sableux argileux assez frais aussi. 

En s’approchant du fond du vallon, après la jonction avec le « vrai » circuit (3) on découvre d’anciennes murettes de dalles empilées colonisées par de grandes plaques de peltigères, ces grands lichens d’un gris cendré, en compagnie des rosettes charnues du grand sedum. Au milieu des tapis de mousses, on repère facilement des toiles en forme de tubes ouverts en entonnoir et insérés dans les fissures : elles sont l’œuvre des ségestries, des araignées qui chassent les insectes nocturnes depuis ces retraites. 

Neige de papillons

Le chemin descend encore et sur la droite apparaît une grande clairière en pente, une coupe forestière reboisée en résineux et en cours de recolonisation. Depuis le départ, mais surtout à partir d’ici, nous sommes frappés par l’abondance des papillons qui volètent de partout avec en tête les demi-deuils aux dessins en échiquier et les myrtils bruns. Parmi les floraisons, celle des ronciers les attire en masse, promesse au passage d’une belle récolte de mûres pour cet été. Un nacré de la ronce posé sur une feuille bat des ailes frénétiquement sur place en vibrant : il s’agit sans doute d’une parade de mâle pour attirer les femelles en répandant un « parfum » sexuel (phéromone).

Un magnifique mâle de tabac d’Espagne s’offre en spectacle sur une inflorescence de ronce en tournant sur lui-même tout en butinant. Des tristans brun sombre presque noirs se déplacent mollement. Un tircis choisit une feuille à peine éclairée dans une zone ombragée pour se poster. 

Puis, soudain, à une intersection d’où part un sentier qui remonte et traverse un petit ruisseau à gué (4), une surprise incroyable : des dizaines de piérides du navet sont agglutinées sur le sol humide près du ruisseau.

On les reconnaît aux nervures teintées de gris sous les ailes postérieures. Sur la photo, j’en compterai au moins 70, auxquels s’ajoute une bonne dizaine en vol ! D’autres espèces sont attirées par cette humidité qu’ils viennent « siroter » : sur la même photo, je réussis à saisir trois espèces différentes attablées : un paon du jour, un robert-le-diable et un vulcain. Des argus volètent autour mais sans se poser. Une scène classique en soi mais qu’on a de plus en plus de mal à observer dans les campagnes dévastées par les pesticides et les transformations des paysages. Moment magique où l’on savoure ce privilège d’être passé ici au bon moment ! 

Vallon frais 

A partir de ce point, nous longeons le ruisseau de Busseret bordé de prés en friches, colonisés par la fougère aigle, et engoncé entre deux pentes boisées. Le large sentier descend doucement, propice à la flânerie botanique avec le haut talus qui nous accompagne et les larges bas-côtés herbeux. Ombre et humidité (5) expliquent la présence d’une flore « mésophile » de sols frais avec quelques espèces peu courantes. Un millepertuis en petites touffes retient l’attention par ses fleurs jaune d’or peu nombreuses, bien différentes de celles du millepertuis perforé vu au début et en plein soleil. Ses tiges fines ainsi que ses feuilles portent une fine pilosité douce ; un autre trait frappant concerne le calice porteur de « points noirs » espacés, des glandes portées sur un court pédicelle que l’on retrouve en petit nombre sur les pétales. Il s’agit d’un millepertuis peu commun, le millepertuis velu qui recherche des stations à la fois aux sols frais et au climat assez chaud. 

Quatre grandes herbes aux feuilles d’ombellifères typiques se dressent au bord du chemin ; des feuilles très découpées comme du persil, vert foncé et, surtout, des tiges lisses recouvertes d’un « glaçage » givré blanchâtre (une pruine comme sur la peau des prunes). Il suffit de passer le doigt dessus pour effacer ce revêtement et d’ailleurs des trainées signalent sans doute le passage de limaces ou d’escargots. Il s’agit de la sous-espèce forestière (subsp. elata) de la petite ciguë, typique des sous-bois un peu humides. Ce n’est que ma troisième observation de cette plante peu courante et mal connue même des botanistes. 

Le long de flaques d’eau en partie résorbées sur le chemin, on distingue un ourlet de plantes basses en colonies denses aux feuilles allongées et pointues comme celles d’un pêcher. En se penchant, on note la présence d’une gaine qui enveloppe la tige avec chaque feuille (ochréa), signature des renouées ; en fait, même si cela ne saute pas aux yeux, elles sont en pleine floraison avec des épis arqués de fleurs espacées rosées blanchâtres. Comme il en existe plusieurs espèces proches, un test s’impose, épreuve initiatique de toute personne désireuse d’accéder au rang de « vrai » botaniste : récolter une feuille, la mordiller sans l’avaler en claquant des dents dessus et attendre quelques instants. L’effet surprend : une brûlure piquante sur la langue qui dure et confirme tout de suite son identité. Le prix à payer pour être sur qu’il s’agit bien de la renouée poivre d’eau, hydropiper en latin ! 

Pente de charmes

Sur la pente boisée qui surplombe le sentier (6), se développe un boisement assez ancien avec de beaux spécimens de charmes taillés en cépées et quelques hêtres qui donnent une petite ambiance pseudo-montagnarde. Un chant rythmé et sourd retentit en haut : couoûoû-ouh répété. Un pigeon à n’en pas douter mais clairement pas un ramier : un pigeon colombin, une espèce forestière peu connue qui niche dans les cavités de vieux arbres dont les loges de pic noir ; une preuve de plus qu’il s’agit d’un peuplement relativement ancien ! 

Sur le sommet du haut talus plus sec, à la faveur d’un passage plus éclairé, voici des belles touffes fleuries de bruyère cendrée, témoin d’un climat plutôt atlantique bien arrosé ; nous la reverrons, au loin, en masse sur les pentes des gorges depuis le parking de la montée (voir la chronique sur la montée au château). 

Nous retrouvons de nouveau en masses les germandrées sauge des bois mais aussi une composée aux petits capitules jaunes formés de quelques languettes en inflorescences très ramifiées mais aux branches très diffuses : la laitue des murailles. Ses feuilles découpées en lobes embrassent les tiges lisses par deux oreillettes. 

Quelques herbes géantes se tiennent un peu penchées tellement elles sont grandes sur le talus : une tige longuement feuillée presque jusqu’au sommet, des feuilles couvertes de poils poudrés très doux et une longue inflorescence rameuse de fleurs blanches assez petites.  On reconnaît évidemment une molène mais on a peu l’habitude d’en voir dans un milieu boisé : il s’agit de la molène à mèches (sous-entendu « pour fabriquer des mèches de lampes ») typique des lisières caillouteuses et des friches herbeuses. Cette espèce existe sous deux formes colorées : à fleurs jaunes ou, comme ici, à fleurs blanches. En sa compagnie, nous notons une haute graminée aux inflorescences retombantes élégamment arquées : le brome rameux facile à reconnaître à ses gaines des feuilles hérissées de poils. 

Nous rejoignons la route D 109 que nous allons remonter sur quelques centaines de mètres, à l’ombre des canopées élevées, jusqu’à atteindre un parking avec le panneau annonçant Château-rocher. Ici, commence la seconde chronique qui décrit la fin de cette balade riche en diversité ! 

Accès : le départ se fait depuis le hameau de Blot-rocher que l’on atteint en traversant le village de St Rémy de Blot (sur la D99). A l’entrée de ce hameau, sur la gauche en arrivant, il y a une aire de pique nique ombragée auprès du lavoir au fond. 

La mare des Gouyards 

En repartant (en voiture), juste après la sortie du village de St Rémy de Blot, vous atteignez le hameau des Gouyards avec un beau communal où trône un énorme tilleul et un calvaire. Se garer ici et aller vers la grande mare ceinturée de frênes, de trembles et de saules. Nous avons choisi de rajouter cette mare, hors circuit, car elle vaut le détour et là encore témoigne de milieux qu’on a de plus en plus de mal à trouver en bon état (voir la chronique sur l’importance des mares pour la biodiversité). Elle fait partie de la vingtaine de mares des Combrailles sélectionnées par le Conservatoire des Espaces Naturels d’Auvergne pour être restaurées et conservées. Ici, elle a été débroussaillée lors d’un chantier bénévole et curée pour éviter son comblement progressif. Une aire de pique-nique en « terrasse » y a même été aménagé juste au bord … pour bien profiter des coassements des grenouilles vertes ! 

A notre arrivée, une femelle de colvert se hâte suivie de ses canetons qui pédalent de toutes leurs forces pour la suivre au milieu des massettes et des touffes de glycéries (graminée). Les grands arbres qui la bordent entretiennent un ombrage permettant de maintenir une eau fraîche même en plein été. En visitant les bords vaseux découverts par la baisse relative du niveau, nous découvrons un tapis d’une petite plante gazonnante assez peu commune et liée à ces milieux amphibies, mi- eau, mi- vase, le pourpier d’eau. Sur les radeaux flottants d’algues et de lentilles, des couples d’agrions accouplés sont en pleine phase de ponte ; l’une d’elles vient se poser au bord. Il doit s’agir d’une espèce très commune, l’agrion jouvencelle (voir la chronique sur les mares et les libellules). 

Souhaitons longue vie à cette mare source d’une biodiversité qui se raréfie de plus en plus et félicitations pour cette commune qui a su préserver une part de son patrimoine naturel.