Chelidonium majus

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Qui ne connaît pas la chélidoine, la célébrissime « herbe aux verrues », cette plante fidèle compagne de l’homme et de ses habitats jusqu’au cœur des villes et réputée pour son fameux suc laiteux orange vif réputé comme remède externe contre les verrues ? Pourtant, quand il s’agit de la replacer dans le vaste monde des plantes à fleurs et de la rapprocher d’autres espèces, on rencontre plus d’hésitations : euh, elle fait penser à du colza ou à une giroflée avec ses fleurs jaunes à quatre pétales et son fruit allongé avec un bec ? Eh bien, non, la chélidoine se classe dans la famille des Papavéracées, la famille des pavots et coquelicots. Alors, approchons nous un peu plus près de la grande éclaire (un de ses nombreux noms vernaculaires) pour mieux cerner ses caractéristiques et apprécier son côté « petit coquelicot ».

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La chélidoine habite deux types de milieux : les environnements humains (notamment les vieux murs et décombres) mais aussi les forêts perturbées et fraîches.

Une fausse-crucifère

Effectivement, on entend souvent la chélidoine se faire « traiter » de crucifère ou brassicacée à cause de ses fleurs assez petites à quatre pétales jaunes mais surtout à cause de son fruit qui ressemble très fortement aux siliques du colza ou de la giroflée.

Comme chez ces derniers, ce long fruit sec étroit et bosselé en surface est prolongé par le style persistant au sommet et il s’ouvre à maturité en deux valves qui se soulèvent de bas en haut faisant apparaître les graines disposées sur deux rangs. Mais, il y a un petit détail qui cloche : chez une crucifère, le fruit sec ouvert avec les deux valves soulevées laissent voir une cloison centrale mince, membraneuse, une fausse cloison appelée replum et qui divise le fruit en deux loges ; chez la chélidoine, pas de telle cloison. On observe chez elle à maturité un cadre vide qui correspond au bord épaissi des valves sur lequel se trouvent fixées les graines.

Autrement dit, on a là un fruit qui ressemble fortement à une silique mais qui n’en est pas une faute de replum ; il s’agit d’un bel exemple d’évolution convergente au niveau du fruit entre des plantes très éloignées en terme de parentés (les brassicacées versus les papavéracées). Ce fruit est en fait une capsule, un fruit sec comme celui des coquelicots sauf qu’ici il s’ouvre par deux valves. On retrouve de tels fruits dans la famille des Papavéracées en plus spectaculaires encore chez les glauciennes qui sont justement des proches parents de la chélidoine au sein de la famille (voir la chronique sur la glaucienne jaune).

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Capsules vertes très allongées de la glaucienne jaune (Papavéracée)

Le côté pavot

Alors, voyons maintenant ce qui rapproche la chélidoine des pavots et coquelicots (3). Il y a d’abord le fameux latex orange vif, un latex secrété dans des canaux laticifères et qui s’écoule dès que l’on coupe le moindre organe de cette plante : il est chargé d’alcaloïdes toxiques aux noms improbables (chélidonine, berbéridine, sanguinarine, chélérythrine, protopine et coptisine). Or, l’ une des plus célèbres papavéracées, le pavot somnifère fournit pour le meilleur et le pire des alcaloïdes redoutables extraits de son latex blanc : codéine, morphine, papavérine, thébaïne, noscapine, oripavine, …. On en retrouve de même dans les coquelicots (qui, pour les botanistes, sont des pavots sous le nom de genre commun de Papaver) bien connus pour leurs propriétés sédatives calmantes.

Mais le meilleur critère qui signe l’appartenance de la chélidoine à la famille des Papavéracées se trouve dans la fleur en bouton. Il est enveloppé par deux sépales (et non pas quatre comme chez les crucifères au passage !) qui s’écartent à l’éclosion et tombent très vite : ce caractère « vite caduc » est typique des coquelicots. Mais ce n’est pas tout : l’éclosion du bouton révèle les quatre pétales qui se trouvent repliés entre eux, chiffonnés et qui vont se déplier et garder en souvenir un aspect un peu ridé au moins au début de l’épanouissement.

C’est à cet aspect chiffonné que les fleurs de coquelicots doivent de se prêter à la confection de mini poupées bien connues autrefois des enfants (probablement moins aujourd’hui !).

Enfin, dernière signature mais pas particulièrement spécifique : le grand nombre d’étamines disposées autour de l’ovaire (et non pas six comme chez les crucifères). En ce sens, la fleur se rapproche plus de celle des renoncules ou boutons d’or (famille des Renonculacées) qui sont bien plus proches parents des papavéracées, les deux familles se classant dans le même ordre dit des Ranunculales.

La tribu de la chélidoine

Maintenant que son statut de Papavéracée est acté, allons voir où la chélidoine situe à l’intérieur de la famille qui compte pas moins de 760 espèces réparties en 44 genres au moins. On divise désormais (1) la famille en quatre sous-familles dont deux majeures : la sous-famille qui englobe les pavots et coquelicots et une seconde (autrefois considérée comme une famille à part, les Fumariacées) qui regroupe les fumeterres, les corydales, les cœurs-de-Marie (Fumarioideae).

La chélidoine se place clairement dans la première sous-famille que l’on scinde en trois grandes tribus sur la base des parentés : la tribu du pavot de Californie et des apparentés, la tribu des pavots et coquelicots (genres Papaver, Argemone ou pavots épineux, Romneya ou pavot en arbre, ..) et enfin la tribu de la chélidoine.

Les anglo-saxons nomment cette tribu les « pavots forestiers » car elle regroupe essentiellement des espèces essentiellement forestières. Sans les analyses génétiques pour établir les parentés, on aurait du mal à associer avec la chélidoine des plantes exotiques telles que les Macleaya originaires d’Asie orientale (de la chine au Japon) devenues assez populaires comme ornementales avec leurs petites fleurs brun chamois, sans pétales, groupées en grandes panicules (d’où leur surnom de pavot à panicule ou de pavot plumeux). Rien à voir au premier abord avec la chélidoine ? Sauf que dès que l’on coupe une feuille on voit s’échapper un latex orange et que les feuilles portent des poils très semblables de la chélidoine ! On interprète cette divergence d’aspect par une évolution au sein de la tribu vers un mode de pollinisation par le vent d’où une tendance à la réduction des pièces florales à l’inverse des fleurs de chélidoine pollinisées essentiellement par des insectes. On trouve aussi comme proches parents avec ce look « décalé », les bocconies, des arbustes ou petits arbres des forêts tropicales parfois cultivées comme curiosités botaniques.

Il subsiste des incertitudes quant à savoir si les glauciennes (voir la chronique) ou pavots des dunes doivent être classés dans cette tribu ; on peut noter qu’elles partagent les mêmes fruits très allongés et ces poils raides sur le feuillage tout comme le latex orangé ! On pense qu’il s’agirait d’une branche de cette tribu forestière ayant évolué vers des habitats plus ouverts et arides

Un pacte avec les fourmis

La chélidoine possède un caractère très original au niveau de ses graines : la présence d’un arille. Ce terme masculin , dérivé de arillus pour grain de raisin, désigne un appendice charnu et nutritif porté par la graine (voir la chronique sur les fruits du fusain) et qui joue un rôle dans la dispersion des graines par les animaux attirés par cet arille (voir la chronique sur les fruits charnus).

Chez la chélidoine, l’arille se présente sous forme d’une excroissance blanche lisse, un peu molle, en forme de crête de moins de 2mm de long qui émerge de la ligne (raphé) qui marque la surface de la graine. A la loupe, on voit qu’il est formé d’un empilement de longues cellules transparentes chargées de réserves lipidiques huileuses ; à maturité ces cellules perdent leur noyau et meurent ce qui rend cet appendice assez facile à détacher. Très apprécié des fourmis, il va jouer un rôle majeur dans la dispersion des graines par celles-ci : une chronique particulière sera consacrée à cette interaction entre les graines de la chélidoine et les fourmis.

Au passage, on notera l’aspect réticulé de la surface des graines de la chélidoine … que l’on retrouve sur les graines des .. coquelicots. Comme quoi les signes extérieurs de parenté ne sont pas toujours les plus évidents à l’œil nu !

Photos J.P. Matysiak

07/03/2023 Un lecteur naturaliste J.P. Matysiak vient de me signaler une autre interaction intéressante d’un insecte avec la chélidoine : une toute petite coccinelle, Clitostethus arcuatus, semble inféodée à la chélidoine (et aussi le lierre) sur laquelle elle chasse des aleurodes ou mouches blanches (insectes proches des pucerons) spécifiques de cette plante et probablement toxiques (elles sucent la sève toxique de la chélidoine). La coccinelle « récupère-t-elle cette toxicité en stockant dans son corps les alcaloïdes ce qui la protégerait des prédateurs ?

Des arilles différents

Si l’on s’intéresse aux autres papavéracées, on découvre que nombre d’entre elles (mais pas toutes) possèdent aussi un arille sur leurs graines. Mais, à y regarder de plus près, on constate que cet arille est loin d’avoir toujours le même aspect et encore moins la même structure, ce qui signifie que ce type d’organe est apparu plusieurs fois indépendamment au sein de la famille et selon des voies de développement différentes. Ainsi chez les bocconies, proches des chélidoines rappelons le (voir ci-dessus), les graines assez grosses portent un gros arille rouge vif, très charnu qui fonctionnerait comme « appât » pour attirer les oiseaux frugivores : en consommant l’arille, ils avalent la graine dure qui traverse le tube digestif sans être digérée selon le processus dit de l’endozoochorie (voir la chronique). Chez les Maclaeya, il n’existe actuellement que deux espèces très proches : l’une dite Maclaeya cordé (M. cordata) a des fruits qui contiennent 4 à 6 graines arillées (petit arille) tandis que l’autre dite Maclaeya à petits fleurs (M. micropcarpa) a des fruits très petits à une seule graine … sans arille ! Ceci montre qu’au cours de l’évolution, ce caractère peut très bien disparaître au sein d’une lignée car la production d’un arille par graine requiert un certain investissement énergétique de la part de la plante et selon le contexte écologique il peut devenir moins avantageux. Enfin, dans la sous-famille des fumeterres et corydales, on retrouve des arilles qui attirent les fourmis mais sous une forme bien différente : chaque fruit sec dur (akène) est entouré d’un simple rebord à réserves lipidiques, loin de l’appendice charnu de la chélidoine (appelé strophiole, nom féminin).

BIBLIOGRAPHIE

  1. Phylogeny and Character Evolution of Papaveraceae s. l. (Ranunculales) Sara B. Hoot, Keir M. Wefferling, and Jason A. Wulff. Systematic Botany (2015), 40(2): pp. 474–488
  2. Morphological evolution and ecological diversification of the forest-dwelling poppies (Papaveraceae: Chelidonioideae) as deduced from a molecular phylogeny of the ITS region. Frank R. Blattner and Joachim W. Kadereit. Plant Syst. Evol. 219:181-197 (1999)
  3. Botanique systématique. Une perspective phylogénétique. Judd et al. De Boeck Ed. 2002

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la chélidoine
Page(s) : 118-119 Guide des plantes des villes et villages
Retrouvez la chélidoine
Page(s) : 210-211 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez la chélidoine
Page(s) : 146-147 Guide des Fleurs des Fôrets