dune-panorama1

Les avants-dunes côtières, celles qui se trouvent face à la mer, connaissent des conditions environnementales extrêmes qui imposent une pression sélective très forte sur la flore. Cette dernière a donc un caractère très spécialisé avec un lot d’espèces que l’on ne trouve que dans ce milieu et qui prennent de ce fait un caractère emblématique en terme de biodiversité. En sélectionnant cinq d’entre elles, nous allons voir comment chacune à leur manière elles ont résolu ces problèmes de survie en situation extrême.

Dune, ton univers impitoyable

L’avant-dune côtière réunit effectivement du fait de sa position et de sa structure un ensemble de conditions extrêmes très stressantes pour les plantes. On peut citer :

– la salinité élevée apportée à la fois par l’air (les embruns) et le sol et qui fluctue sans cesse notamment à l’occasion des fortes marées qui lèchent les dunes

– une faible disponibilité en eau car le sable ne retient pas l’eau et la végétation clairsemée autorise une évaporation intense

– une grande pauvreté en nutriments (le sable pur n’est que minéral cristallisé non captable par les racines) avec tout juste quelques débris de laisses de mer projetés depuis la plage

– une abrasion pernicieuse des feuillages par le sable soufflé par le vent

– une tendance à l’enfouissement par le sable qui se déplace au gré des tempêtes

– un éclairement intense à la fois direct et réfléchi par les grains de sable induisant des températures au sol élevées ; gare au coup de soleil et aux UV destructeurs !

 

On voit donc réunies là des conditions très contraignantes de divers ordres et surtout imprévisibles dans leur intensité et leur périodicité avec des perturbations majeures récurrentes comme à l’occasion de grosses tempêtes ou d’épisodes de canicule.

Cinq résistantes de la dune

Deux chercheurs espagnols ont mené une étude écophysiologique sur cinq espèces sur la côte de Galice en situation naturelle, espèces que l’on retrouve chez nous car ils ont choisi parmi les plus répandues sur toute la façade atlantique ; donc, même si vous n’êtes pas un botaniste-né, ces plantes vous seront probablement familières de visu.

 

Ce tableau comparatif les présente brièvement et souligne d’emblée avec leurs photographies jointes la diversité de leurs morphologies et de leurs cycles de vie ; en tout cas, de cette première approche, il ne se dégage aucun portrait-robot type de la plante dunaire !

tableau-especesdune

Un ban d’essai physiologique

Pour mieux saisir cette diversité, les chercheurs ont évalué trois traits fonctionnels, i.e. des caractéristiques internes qui permettent à la plante de « fonctionner », de se nourrir et de croître :

– la capacité d’absorber la lumière incidente en lien notamment avec la quantité de chlorophylle contenue dans le feuillage

– la capacité à exploiter cette lumière absorbée pour effectuer la photosynthèse et fabriquer sa propre nourriture

– la capacité à conserver l’eau absorbée par les racines, caractère clé qui agit sur la croissance des feuilles et leur capacité à réaliser justement la photosynthèse, dans un contexte, nous l’avons vu, de milieu quasi désertique la plupart du temps.

Ces paramètres restent assez théoriques pour des novices ; aussi, nous allons analyser les résultats obtenus en termes simples et accessibles.

Sea and sun

Le liseron des dunes se détache de manière surprenante du lot par sa capacité en été à capter nettement plus de lumière que les quatre autres, sans doute grâce à ses feuilles charnues … quand il reste un peu ! Pour autant il n’est pas le plus efficace à exploiter ensuite cette lumière capturée à cause d’un problème lié à l’eau (voir ci-dessous).

Pour ce qui est de l’efficacité à utiliser la lumière captée, l’euphorbe des dunes affiche une faiblesse surprenante été comme hiver alors qu’à l’inverse la giroflée des dunes s’avère la plus efficace, été comme hiver. Cette différence se retrouve dans les feuillages : lisse et cireux chez l’euphorbe donc peu protecteur envers l’échauffement alors que chez la giroflée l’épais manteau de poils étoilés réduit les risques d’échauffement et de blocage des systèmes internes de conversion de la lumière en nourriture.

Avec ou sans eau

De manière assez prévisible, on n’observe peu de différences entre ces cinq espèces durant l’hiver par rapport à la capacité à retenir l’eau pompée, les conditions étant alors nettement plus favorables alors que des écarts importants apparaissent en été … à une exception surprenante près, le liseron des dunes. Ses feuilles contiennent autant d’eau en hiver qu’en été alors qu’elles sont charnues et riches en eau ; une explication possible serait l’abrasion exercée par les grains de sable soufflés par les vents et qui useraient sa couche cireuse protectrice la rendant moins efficace à limiter les pertes en eau par transpiration en été !

dune-liseronfeuilles

Feuilles charnues du liseron des dunes

A l’opposé, le panicaut maritime retient le plus d’eau dans son feuillage en été et peut ainsi maintenir croissance et photosynthèse au cœur de l’été et se permettre de fleurir en plein milieu de l’été.

Tout en divergence

Si on associe tous ces traits pour comparer ces cinq espèces, le lis de mer et la giroflée des dunes sont les deux plus proches mais avec des niveaux différents d’efficacité de l’utilisation de la lumière captée ; le lis de mer se montre le moins plastique des cinq avec des traits qui varient peu au fil des saisons et donc une efficacité assez faible. On pourrait lui attribuer un moyen – ! Le panicaut maritime réunit au contraire le plus de traits associés à une adaptation à un fort ensoleillement : avec la plus faible quantité de chlorophylle (coûteuse en énergie à fabriquer !) il réussit à être le plus efficace en photosynthèse grâce à sa forte rétention de l’eau captée.

On aurait pu s’attendre, face à ce « mur de stress » à une certaine convergence des réponses ; c’est tout le contraire qui est constaté : la diversité des traits fonctionnels retenus par les unes et les autres reste extrême comme les conditions de vie ! Chaque espèce présente une somme d’interactions et de compromis entre des traits multiples ; une partie de cette diversité tient aussi peut-être aux contraintes des origines : ces cinq espèces appartiennent à des familles très différentes et non apparentées et les caractéristiques générales au sein de ces familles n’autorisent pas forcément tous les changements possibles. Ces traits en terme de fonctionnement se traduisent extérieurement par des caractères morphologiques visibles dont certains seront évoqués dans une autre chronique « Feuilles dans la dune, face à la mer ».

L’autre leçon de cette étude, c’est qu’il est nécessaire de conserver activement toutes les espèces de la dune pour espérer maintenir le fonctionnement global d’un tel écosystème dans un contexte de changement climatique ; les espèces ne sont pas interchangeables et ne vont pas réagir de la même manière selon leurs points faibles ou forts !

Terminons par un autre aspect plus sombre : l’arrivée récente de nouveaux stress liés à la pression touristique tels que le piétinement massif (ou le déchaussement) ou l’apport d’éléments nutritifs (via les déchets divers et variés) face auxquels ces plantes auront peu de chances de développer des réponses adaptatives vu la vitesse foudroyante et généralisée de ce phénomène. Décidément vivre dans les dunes pour les plantes ne relève pas du farniente !

Gérard GUILLOT : Zoom-nature.fr

dune-panorama2

BIBLIOGRAPHIE

  1. Living the difference: alternative functional designs in five perennial herbs coexisting in a coastal dune environment. Raimundo Bermúdez and Rubén Retuerto. Functional Plant Biology, 2013, 40, 1187–1198

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez toute la flore des dunes
Page(s) : Guide des plantes des bords de mer
Retrouvez le lis de mer
Page(s) : 36-37 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez la giroflée des dunes
Page(s) : 296-297 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages