Coccinella septempunctata

Coccinelle à sept points sur un chardon penché infesté de pucerons

11/05/2020 Ce printemps, nous connaissons une présence massive des coccinelles à sept points, l’une des espèces indigènes les plus communes, une abondance que l’on n’avait pas connue depuis des années. Belle occasion de s’intéresser à se sympathique coléoptère prédateur iconique et à ses interactions avec ses proies principales, les pucerons, via un extraordinaire échange d’informations olfactives complexes dont on commence juste à décrypter tous les méandres. Ici, nous n’aborderons que les interactions directes entre coccinelles à sept points et pucerons, en laissant de côté pour une autre chronique les interactions coccinelles/plantes hôtes des pucerons, tout aussi singulières et qui passent elles aussi par des échanges de messages chimiques. 

Coccinelle à sept points attablée sur une colonie de pucerons (pastel des teinturiers)

Communication chimique

Les coccinelles, comme une majorité d’autres insectes, communiquent entre eux via des molécules odorantes dites sémiochimiques (du grec semio = signe) qui sont de deux grands types :

– les phéromones qui servent dans la communication entre individus d’une même espèce (intraspécifique) comme les phéromones sexuelles (attraction et rencontre des sexes), d’espacement entre individus ou au contraire de regroupement (agrégation), d’alarme pour avertir d’un danger ou encore de piste (traces de passage lues par les congénères)

– les substances allélochimique (allelo = l’un et l’autre, idée de réciprocité) utilisées dans la communication entre espèces différentes, soit au bénéfice du seul émetteur (allomones), ou du seul récepteur (kairomones) ou des deux (synomones). Les interactions coccinelles à sept points/pucerons s’appuient sur ces substances allélochimiques mais aussi sur certaines phéromones dont celles d’alarme, détournées en quelque sorte de leur rôle intraspécifique. On pourrait aussi les qualifier de médiateurs chimiques inter-espèces. On pressent d’emblée avec toutes ces catégories subtiles la complexité de ce mode de communication !

Comme la coccinelle à sept points fait partie des espèces clés utilisées dans la lutte biologique contre les pucerons (prédateur auxiliaire) , elle a fait l’objet d’un très grand nombre de recherches liées à l’agronomie et fait donc figure d’espèce modèles, tout comme les nombreuses espèces de pucerons ravageurs des cultures. Dans la suite de cette chronique, nous parlerons de coccinelle sans préciser à chaque fois « à sept points » pour alléger le texte mais les études mentionnées ne se réfèrent bien qu’à cette espèce. 

Miellat 

Colonie de pucerons (forme aptère) sur un sureau noir

Dès les années 70, on avait avancé que le miellat, ce liquide sucré rejeté par les pucerons et issu de l’excès de sève absorbé (voir la chronique sur le miellat et les syrphes), avait la propriété d’attirer les coccinelles et on invoquait alors la présence d’un acide aminé particulier, le tryptophane. Mais le miellat des pucerons reste un liquide complexe contenant des sucres et des acides aminés issus de la sève de la plante hôte et qui peuvent servir de ressource nutritive de bonne qualité pour les coccinelles elles-mêmes. 

Expérimentalement, si on traite une culture avec du sucrose, un des sucres du miellat, elle devient plus attractive pour les coccinelles. La présence de miellat tend à « fixer » les coccinelles qui cessent leurs déplacements  continus un peu au hasard, augmentant ainsi leur chance de trouver des pucerons. Mais un autre facteur peut attirer les coccinelles : les sucres sur les feuilles favorisent le développement de champignons en surface du type fumagine (un signe typique de l’abondance de miellat sur une plante : le feuillage noircit et devient tout « sale ») ; ces champignons peuvent aussi servir de ressource nutritive complémentaire aux coccinelles (voir la chronique sur l’alimentation des coccinelles) ! Cette fumagine recouvre les feuilles des plantes d’un écran qui limite leur photosynthèse : ainsi stressées, elles pourraient alors libérer des substances volatiles liées au stress induit (voir l’autre chronique à venir sur coccinelles et plantes) lesquelles aideraient les coccinelles à les repérer de loin ! Finalement, le miellat des pucerons pourrait tout aussi bien n’attirer les coccinelles que de manière indirecte sans lien direct avec les pucerons qui le produisent. 

Le miellat contient par ailleurs aussi des métabolites secondaires des plantes dont des substances défensives toxiques. On sait par exemple que le choix de la plante hôte par les pucerons détermine la fréquentation des fourmis qui viennent prélever les gouttes de miellat ; donc, a priori, pour les coccinelles adultes ou larves, selon la plante attaquée, la valeur nutritive du miellat ne sera pas la même. 

Alarme fatale 

Quiconque a essayé de photographier de près des pucerons n’aura pas manqué de remarquer un étrange comportement à son approche : les insectes dérangés et inquiets relèvent et agitent brusquement leur abdomen de manière saccadée et presque synchrone entre eux ! Cette agitation leur permet de libérer via les deux appendices en forme de pointes au bout de l’abdomen (cornicules) une phéromone d’alarme qui peut induire la fuite de la colonie attablée. La composition chimique de ces émissions odorantes varie d’une espèce à l’autre mais on y retrouve presque toujours (voire uniquement) un composé connu sous le nom chimique de (E) bêta-farnésène (EBF) ; on a démontré que l’EBF attire les coccinelles qui exploitent ainsi un signal destiné initialement aux pucerons entre eux. Mais seuls les pucerons alertés libèrent cette phéromone : ceci explique que souvent on voit des coccinelles traverser à toute allure une colonie de pucerons qui n’a pas le temps de réagir et, du coup, la coccinelle ne s’arrête pas, ne « sentant » rien ! 

Cependant, cette molécule odorante (EBF) est très répandue dans la nature et risque donc d’induire des « fausses » alertes pour les coccinelles. Mais, les plantes attaquées libèrent de leur côté d’autres messagers chimiques d’alerte (destinés aux plantes voisines) dont le bêta-caryophyllène mais de manière continue ; les coccinelles sont capables de différencier le ratio entre l’EBF des pucerons et ce bêta-caryophyllène et quand il dépasse un certain seuil, elles sont attirées ! D’autre part, elles ne détectent l’EBF qu’à partir d’une certaine dose seuil et ne repèrent donc que les pucerons bien stressés et qui s’agitent ! 

Les cornicules sont ces deux pointes noires creuses au bout de l’abdomen

D’autre part, les colonies de pucerons s’auto-régulent en émettant des phéromones d’espacement qui agissent sur leur comportement et évite la surexploitation de la plante : si la densité devient trop forte, des individus ailés apparaissent et émigrent vers d’autres plantes. Des expériences en laboratoire démontrent que les coccinelles réagissent à ces phéromones indicatrices d’une forte densité et donc synonymes pour elles de « bon plan de chasse » : elles cessent leurs déplacements et se mettent à chercher activement les pucerons. 

Chez ce puceron de l’érable sycomore, des individus aptères (verts) côtoient des individus ailés (noirs) de la même espèce

Kairomones 

D’autres signaux chimiques interviennent dans les interactions pucerons/coccinelles ou vice versa. 

On a montré que les coccinelles étaient attirées par les traces odorantes laissées par le passage des fourmis rousses des bois qui grimpent sur les plantes infestées pour « traire » les pucerons et récupérer du miellat (et les protéger au passage des attaques des prédateurs) ; les coccinelles ainsi alertées se dirigent vers ces plantes et y cherchent les pucerons. Ainsi, les pucerons se trouvent trahis par leurs protectrices ! 

En retour, les pucerons eux aussi savent détecter les coccinelles via notamment les traces odorantes laissées par les larves des coccinelles. Les pucerons verts du pois utilisent leurs antennes pour les détecter : ceci induit l’apparition d’individus ailés qui peuvent ainsi échapper aux prédateurs en émigrant. Cette évolution se fait assez rapidement vu le taux de reproduction très rapide de ces insectes par parthénogénèse (sans fécondation) et viviparie. Les pucerons augmentent aussi alors leur activité et se reproduisent moins pour réduire le risque de prédation. Par contre, le puceron vert de la vesce qui est toxique (ou le puceron de la fève peu appétent) et en plus souvent protégé par des fourmis ne montre pas de telle réaction aux traces des larves de coccinelles. 

Cette sensibilité aux traces des coccinelles a été étudiée en détail chez le puceron bicolore des céréales (qui vit aussi sur le merisier à grappes une partie de son cycle). Les traces de passage des coccinelles sur les feuilles de la plante hôte (orge) testée induisent un évitement de la part des pucerons et les conduisent à quitter la plante. Les signaux détectés seraient de nature à la fois tactile et/ou olfactive. Le comportement d’évitement dépend du sexe de la coccinelle et du nombre d’individus : l’odeur du passage d’une seule coccinelle provoque un rassemblement des pucerons alors que celle de plusieurs coccinelles les dispersent. Ils seraient donc capables d’ajuster leur comportement à l’intensité de la prédation, leur évitant de perdre du temps et de l’énergie à changer de plante inutilement tant qu’ils sont aptères (sans ailes). On assiste donc à une sorte d’escalade des deux cotés dans la capacité à détecter « l’autre » et à adapter son comportement, scénario typique d’un contexte de coévolution proies/prédateurs. 

Trois coccinelles à sept points sur une oseille crépue infestée de pucerons noirs

Même de nuit ?

Coccinelles à sept points sur une colonie de pucerons du cerisier (qui provoquent un enroulement des feuilles)

Les coccinelles sont considérées comme des prédateurs diurnes mais plutôt par défaut, faute d’observations … la nuit ! Une équipe de chercheurs a donc conçu un montage expérimental sophistiqué en laboratoire pour savoir si oui ou non les coccinelles pouvaient chasser la nuit et si oui avec quelle efficacité. On place des coccinelles à l’entrée de tunnels à deux branches (en forme de Y : olfactomètre) avec au bout de l’une des branches une plante avec des pucerons et l’autre une plante sans pucerons par exemple. Les chercheurs ont de plus différencié mâles et femelles et mis en place deux protocoles parallèles : un en exposition à la lumière (comme en plein jour) et l’autre dans une obscurité totale (comme par nuit noire). 

De jour, les coccinelles recherchent activement les pucerons via des signaux olfactifs émis par les plantes infestées de pucerons : les coccinelles ne voient pas les pucerons au bout des branches du dispositif au début avant de s’engager dans une des branches. De nuit, elles restent capables de détecter les pucerons et de les consommer alors qu’elles ne peuvent vraiment les voir cette fois que lorsqu’elles en sont à quelques millimètres ! On sait que de jour la première rencontre avec un puceron lors d’un déplacement déclenche une activité de recherche intensive et organisée ; repérer une plante infestée de pucerons constitue une première étape majeure pour ne pas perdre de temps. 

Donc, l’olfaction demeure cruciale dans l’activité prédatrice des coccinelles. Elles sont capables de se nourrir avec la même efficacité aussi bien à la lumière qu’en pleine obscurité, d’autant plus si elles ont connu une période de diète. Les femelles se montrent plus actives dans l’obscurité que les mâles et globalement elles sont plus attirées par les plantes infestées et font preuve d’une plus grande efficacité dans la « récolte ». Ceci rejoint d’autres observations indiquant que les femelles sont plus voraces que les mâles sans doute à cause de leurs besoins énergétiques plus élevés avec les œufs à fabriquer et la recherche compliquée de sites de pontes qui sont des plantes infestées de pucerons. Leur meilleure capacité de détection des plantes infestées rejoint d’ailleurs cette nécessité supplémentaire vis-à-vis de la reproduction. De jour, on observe aussi que les mâles qui se déplacent touchent souvent des pucerons mais ne les mangent pas pour autant : leurs déplacements semblent liés avant tout, de jour, à la recherche active de femelles. 

Reste à savoir si ces résultats expérimentaux dans un contexte très artificiel peuvent être transposés à ce qui se passe dans la nature. La chasse nocturne pourrait être une activité temporaire compensatrice (quand les conditions météo le permettent car la température baisse de nuit) permettant notamment aux femelles de couvrir leurs besoins énergétiques importants. D’un point de vue évolutif, la sélection vers la pratique de la chasse nocturne semble logique : elle diminue les risques d’exposition aux prédateurs et parasitoïdes (des guêpes) de jour et elle laisse plus de temps alloué à d’autres activités essentielles comme la migration vers d’autres sites riches en nourriture ou la recherche de sites de ponte ; enfin, lors d’épisodes diurnes météorologiques défavorables, la nuit permet éventuellement de compenser : ce serait notamment le cas avec les vents forts qui freinent fortement l’activité diurne mais « tombent » souvent au crépuscule et reprennent après le lever du soleil. 

Bibliographie 

Synthèse bibliographique : l’écologie chimique des coccinelles. Delphine Durieux, François J. Verheggen, Axel Vandereycken, émilie Joie, éric Haubruge Biotechnol. Agron. Soc. Environ. 2010 14(2), 351-367


Chemical stimuli supporting foraging behaviour of Coccinella septempunctata L. (Coleoptera: Coccinellidae): volatiles and allelobiosis. Jan PETTERSSON et al. Appl. Entomol. Zool. 43 (3): 315–321 (2008) 

Ladybird footprints induce aphid avoidance behavior. Velemir Ninkovic, Youren Feng, Ulf Olsson, Jan Pettersson Biological Control 65 (2013) 63–71 

Aphids-induced plant volatiles affect diel foraging behavior of a ladybird beetle Coccinella septempunctata. Milda Norkute, Ulf Olsson and Velemir Ninkovic
Insect Science (2019) 00, 1–10