Cuscuta sp.

cuscevo-pano

Cuscute des champs sur des betteraves sucrières.

Dans la chronique de présentation générale des cuscutes (Des parasites hors normes), nous avons vu que ces plantes étaient des holoparasites, dépendant entièrement de leur hôte pour leur nutrition et qu’elles avaient une morphologie très simplifiée : pas de feuilles, pas de racines et, au moins en apparence, pas de chlorophylle. Un tel aspect aussi éloigné du modèle classique de « la plante verte » se retrouve chez d’autres parasites comme les orobanches et est évidemment directement lié aux contraintes d’un tel mode de vie. Tout ceci pose la question essentielle de comment au cours de l’évolution sont apparues les cuscutes : quelles sont leurs origines (leurs ancêtres) et quelles transformations ont-elles subi (et continuent d’ailleurs !) pour en arriver à ce que nous observons aujourd’hui.

Vous avez dit « plantes parasites » ?

Seulement 1% des plantes à fleurs possèdent un tel mode de vie soit environ 4000 espèces réparties dans 265 genres dans 17 familles différentes. Pour ne citer que les familles présentes sur notre territoire, citons les Orobanchacées (avec les orobanches, lathrées, rhinanthes, mélampyres, euphraises, pédiculaires, bartsies, odontites…), les Santalacées avec le célébrissime gui et les thésiums ou les Cytinacées avec le rare cytinet sans oublier les cuscutes dont nous dévoilerons la famille un peu plus loin !

D’emblée, quand on parcourt du regard cet échantillon, on est frappé par la diversité des aspects. Certaines conservent la couleur verte et ont l’air tout à fait « normales » (comme les mélampyres ou rhinanthes) et il faut les déterrer pour découvrir qu’elles possèdent sur les racines des suçoirs qui pénètrent les racines de leurs hôtes. D’autres comme le gui ont vraiment un air d’extra-terrestre du monde végétal, suspendu aux branches des arbres tout en conservant des feuilles. Enfin, viennent les « sans couleur verte » apparemment dépourvus de chlorophylle comme les orobanches, les lathrées ou nos cuscutes. Cette extrême disparité morphologique associée à une aussi grande diversité des modes de nutrition indique clairement que le parasitisme et ses transformations associées est apparu plusieurs fois indépendamment et donc selon des modalités très différentes.

Si on replace toutes les familles concernées sur l’arbre de parentés des plantes à fleurs, on constate qu’elles sont largement dispersées et que les premières plantes à fleurs n’étaient pas des plantes parasites. Le parasitisme ne définit pas un groupe ayant un ancêtre commun mais a du évoluer indépendamment au moins dix fois au cours de l’histoire des plantes à fleurs. Dans les familles concernées, on a par ailleurs deux cas de figures : soit toute la famille est parasite (comme les orobanchacées), soit pour d’autres, seuls quelques genres inclus dans la famille sont parasites.  Donc, quand on parle du « groupe des plantes parasites », on ne fait allusion qu’à un mode de vie commun qui ne dit rien sur leurs parentés entre elles.

Recherche ancêtres désespérément

Première étape pour cette quête : retrouver sa famille. Toutes les analyses génétiques des dernières décennies confirment clairement deux points : les 150 à 200 espèces (le nombre varie selon les délimitations des espèces) de cuscutes forment bien un groupe mais qui s’insère au cœur de la famille des Convolvulacées, la famille des liserons et ipomées. Les cuscutes ne sont donc pas une famille à part comme on a eu longtemps tendance à le croire, abusés par les transformations extrêmes liées au mode de vie parasitaire ; elles ne « méritent » que le rang de tribu au sein de leur famille. Cela dit, même quand on les classait à part, on les plaçait quand même auprès des Convolvulacées compte tenu de leur morphologie florale et de leurs tiges volubiles (voir la chronique sur les ipomées) qui entourent leurs supports.

Ce premier pas étant franchi, reste la question existentielle clé : de qui sont les cuscutes sont-elles les plus proches parents au sein de leur famille ? Jusqu’ici (au vu de la bibliographie à laquelle nous avons pu accéder), et malgré la prise en compte de nombreux gènes, on n’a toujours pas trouvé de réponse claire à cette question à cause de leur génome avec des séquences fortement divergentes qui perturbent les comparaisons. On peut simplement dire qu’elles ne se sont pas séparées des autres convolvulacées à l’origine de la famille puisqu’au moins deux autres tribus non parasites se détachent à la base de l’arbre de la famille avant les cuscutes. Il semblerait que la tribu la plus apparentée avec celle des cuscutes soit celle qui inclut liserons et ipomées mais cela reste à démontrer. Il existe un autre indice non génétique en faveur de cette hypothèse : on sait que certaines ipomées (voir la chronique qui leur est consacré) ont la capacité de grimper préférentiellement vers des supports de certaines couleurs en étant capables d’utiliser la lumière réfléchie par ces derniers et de l’analyser via une protéine photoréceptrice, le phytochrome … qui existe aussi chez les cuscutes et leur sert à s’orienter au moment de la fixation sur la plante hôte !

Oh la copieuse !

Il existe un autre genre de plante parasite aux tiges orange qui grimpent en tournant autour des tiges de leurs hôtes dans lesquelles elles enfoncent leurs suçoirs : Cassytha avec douze espèces réparties entre Australie, Asie et Afrique. De loin, la ressemblance est assez frappante avec les Cuscutes mais la « supercherie » est vite levée car ces plantes possèdent des feuilles bien développées et des fleurs différentes donnant des fruits charnus colorés. On a longtemps été incapable d’assigner une place claire à ces plantes au sein de la classification et c’est le recours aux analyses génétiques qui a permis de les placer au sein de la famille du ….. laurier-sauce (Laurus nobilis), les Lauracées, surtout connue pour ses représentants arbres et arbustes comme l’avocatier ou le cannellier. Là aussi, on en avait longtemps fait une famille à part avant que le placement des Cassytha au cœur des Lauracées ne la rende invalide. On a donc là un bel exemple d’évolution convergente où, au cours de l’évolution, de manière complètement indépendante, une morphologie de même type apparaît. Si on doit « traiter » l’une des deux de copieuse (ce qui n’a aucun sens dans un cadre évolutif !), ce serait en fait les Cuscutes car les Cassytha, en tant que Lauracées sont beaucoup plus anciennes puisque la famille s’enracine vers la base de l’arbre de parentés des plantes à fleurs alors que les Convolvulacées sont bien plus récentes.

Passer du vert à l’orange

Parmi les changements radicaux associés à la vie parasitaire chez les Cuscutes, la perte apparente de la chlorophylle en cours de développement (voir la chronique Des parasites hors normes) constitue un fait majeur compte tenu de l’importance vitale de ce pigment vert dans la nutrition végétale. En fait, la situation réelle est infiniment plus compliquée car une majorité d’espèces conserve de la chlorophylle au stade adulte mais dans des proportions variables selon les espèces ; la chlorophylle réapparaît au moment de la reproduction dans les inflorescences et surtout dans les jeunes fruits en cours de maturation. Les cuscutes semblent remettre en service la machinerie photosynthétique pour fabriquer des lipides qui serviront de réserves pour les graines en formation.

La cuscute géante d’Inde (C. reflexa) possède encore de la chlorophylle et les enzymes clés de la photosynthèse ; la localisation profonde dans les tissus des chloroplastes (ces organites cellulaires sièges de la photosynthèse et qui contiennent un peu d’ADN) indique qu’ils ne doivent traiter que le dioxyde de carbone issu de la respiration des cellules et ne pas prélever celui de l’air.

Pourtant, il existe un petit groupe d’espèces sud-américaines qui ont complètement perdu toute capacité de photosynthèse (le génome des chloroplastes semble complètement disparu) ; elles se démarquent par un mode de vie leur permettant de persister plusieurs saisons sur leurs hôtes. Ainsi, elles auraient moins besoin de produire des graines et auraient perdu complètement la chlorophylle.

En tout cas, il en ressort que cette évolution s’est faite de manière plurielle et variable à l’intérieur du genre Cuscute, certains sous-groupes ayant perdu plus de gènes et plus vite que d’autres. Globalement, le génome des chloroplastes s’est bien simplifié avec des pertes mais aussi, donc pour certaines, la conservation de gènes majeurs permettant le maintien de la photosynthèse.

De près, on ne voit que les tiges sous forme de fils en réseau très ramifié

Au stade adulte, on ne voit plus de chlorophylle dans les tiges dépourvues de feuilles.

Des ipomées aux cuscutes ?

On peut dresser les grandes lignes du scénario évolutif possible qui aurait conduit depuis des plantes proches des Ipomées (peut être !) vers les Cuscutes avec à l’origine, une plante volubile capable de détecter avec la lumière réfléchie certains supports. Le contact avec une plante support aurait pu engendrer un stress mécanique qui aurait commencé à modifier la plante. La perte progressive et partielle de la chlorophylle via une altération du génome des chloroplastes aurait suivi avec le développement de tissus spécialisés dans le prélèvement de nourriture chez l’hôte tout en perdant les feuilles. Toutes ces transformations se seraient faites dans plusieurs lignées indépendantes (au moins trois) au sein des cuscutes ce qui explique leur diversité actuelle.

Faute de fossiles capables de nous renseigner sur la réalité de ce scénario, nous ne connaîtrons sans doute jamais le vrai cheminement des cuscutes vers leurs formes actuelles.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Testing the Phylogenetic Position of a Parasitic Plant (Cuscuta, Convolvulaceae, Asteridae): Bayesian Inference and the Parametric Bootstrap on Data Drawn from Three Genomes. SASA STEFANOVIC AND RICHARD G. OLMSTEAD. Syst. Biol. 53(3):384–399, 2004
  2. MONOPHYLY OF THE CONVOLVULACEAE AND CIRCUMSCRIPTION OF THEIR MAJOR LINEAGES BASED ON DNA SEQUENCES OF MULTIPLE CHLOROPLAST LOCI. S. STEFANOVIC ́ , L. KRUEGER, AND RICHARD G. OLMSTEAD American Journal of Botany 89(9): 1510–1522. 2002.
  3. Systematics and plastid genome evolution of the cryptically photosynthetic parasitic plant genus Cuscuta (Convolvulaceae) Joel R McNeal, Kathiravetpilla Arumugunathan, Jennifer V Kuehl, Jeffrey L Boore and Claude W dePamphilis. BMC Biology 2007, 5:55
  4. Complete plastid genome sequences suggest strong selection for retention of photosynthetic genes in the parasitic plant genus Cuscuta. 
Joel R McNeal, Jennifer V Kuehl, Jeffrey L Boore and Claude W de Pamphilis. BMC Plant Biology 2007, 7:57
  5. Plastid genome structure and loss of photosynthetic ability in the parasitic genus Cuscuta. Meredith J. W. Revill, Susan Stanley and Julian M. Hibberd. Journal of Experimental Botany, Vol. 56, No. 419, pp. 2477–2486, September 2005