Passiflora caerulea

Fleur de passiflore bleue de profil avec sa couronne de filaments violacés

La fleur des passiflores (genre Passiflora) interpelle par sa complexité tout en conservant une structure apparemment simple sur un mode régulier ; dans la chronique « Fleur de passiflore : simple et compliquée », nous avons détaillé la structure intime de cette fleur par une visite guidée. Nous vous conseillons vivement de lire d’abord cette autre chronique pour ne pas être « perdus » dans celle-ci ! A cette occasion, un organe particulier a attiré notre regard d’abord par sa couleur et sa visibilité : la couronne, ensemble de cercles de filaments vivement colorés qui orne la base de la fleur et dissimule admirablement une chambre nectarifère circulaire accessible seulement aux pollinisateurs avisés et donc triés sur le volet ! Cette couronne n’a cessé d’intriguer les botanistes quant à la question de son origine au sein de la fleur et elle a suscité de vifs débats scientifiques qui ne sont toujours pas clos. Cette structure intéresse les généticiens qui veulent comprendre comment les gènes qui dirigent la construction d’une fleur interviennent dans ce processus avec souvent l’idée en arrière-plan de pouvoir ensuite les manipuler ou les modifier pour nous concocter une de ces « nouvelles plantes modifiées » dont ils ont le secret !

Pas une mais des couronnes

Dans cette chronique, nous allons beaucoup nous appuyer sur une des espèces les plus étudiées, la passiflore bleue qui est justement celle la plus cultivée chez nous puisque semi-rustique et donc cultivable en extérieur. Mais, cette approche mono-spécifique présente un sérieux biais : le genre Passiflora est extraordinairement diversifié et compte près de 500 espèces réparties dans leur majorité dans le nouveau Monde avec quelques espèces en Asie, en Afrique et en Australie. Or, au sein de cette immense diversité, la présence et la forme des différents éléments qui composent le périanthe (pétales et sépales) et la couronne (voir la chronique sur la fleur de passiflore pour le vocabulaire spécifique !) varient énormément et notamment en fonction de leurs pollinisateurs principaux. Ainsi dans les Andes, les fleurs ont une forme tubulaire, des teintes rouges, orange ou rose et des filaments de la couronne très courts en lien avec leurs visiteurs principaux, les colibris nectarivores ; or, une étude génétique de ces espèces andines montre que ce caractère « filaments courts » serait apparu deux fois. indépendamment au cours de l’évolution. De même, dans d’autres espèces, les fleurs à maturité adoptent un port pendant et non redressé ; il se pourrait alors que l’opercule qui ferme la chambre nectarifère par dessus ait pour autre fonction d’empêcher la perte du nectar. Chez la passiflore bleue aux fleurs dressées, visitée par des hyménoptères (gros xylocopes notamment dans son pays d’origine), les grands filaments émettent des parfums attractifs et l’opercule en forme de collerette ondulée pourrait servir alors de diffuseur à parfum !

Autrement dit, la pression de sélection sur l’évolution de cet organe n’est pas partout la même. Il faut donc garder en tête que l’apparition de cette structure n’est sans doute pas unique et ne s’est pas faite dans un seul sens.

Autres couronnes

On trouve une structure équivalente dans diverses autres familles sous forme là aussi d’un ensemble d’appendices libres ou soudés mais le plus souvent nettement associés aux pétales ou aux étamines alors que dans le cas des passiflores, la couronne semble former une structure « indépendante », à part ce qui complique son interprétation. Parcourons quelques uns de ces exemples apparus indépendamment au cours de l’évolution dans des familles de notre flore.

Chez les caryophyllacées (la famille des œillets), l’exemple de la coquelourde (Lychnis coronaria) est typique avec une petite couronne (on parle de coronule) d’appendices implantés sur les pétales entre la partie rétrécie enfoncée dans le calice (onglet) et la partie élargie étalée ; ce sont clairement des excroissances des pétales. D’ailleurs le nom latin rappelle cette présence par l’épithète coronaria. Cette coronule ferme l’entrée du tube étroit formé par les onglets des pétales et le calice.

Chez la jonquille (Amaryllidacées), les six tépales étalés en étoile portent un tube central, comme une cheminée évasée au sommet, une paracorolle qui porte à l’intérieur les étamines. L’asclépiade de Syrie ou herbe à la ouate (Apocynacées) présente des fleurs complexes avec des appendices développés sur les étamines en forme de capuchon et en corne formant une couronne au centre de la fleur. Toutes ces structures jouent un rôle dans la pollinisation mais ne sont pas équivalentes entre elles.

Dernier cas intéressant : on retrouve une couronne irrégulière toute simple à la base des étamines chez certains genres tropicaux (Abatia) de la famille des Salicacées, les saules et peupliers ; or, cette famille est une des proches parentes de celle des Passifloracées au sein de la classe des Malpighiales. Mais, même dans ce cadre, la couronne n’est sans doute pas homologue et on ne peut aps généraliser l’origine staminale de la couronne. Il faut donc se centrer uniquement sur les passiflores et ne pas espérer de réponse de la part de toutes ces autres plantes : à chacun sa couronne !

Hypothèses multiples

Depuis la seconde moitié du 19ème siècle, les hypothèses sur l’origine de la couronne des passiflores se sont succédées et contredites. Très vite, on a évoqué une origine staminale (étamines) : les filaments de la couronne seraient des filaments d’étamines stériles. Analogie un peu facile qui ne tient pas longtemps la route car, au cours du développement, la couronne se différencie très tard, après la mise en place des étamines. D’autres y ont vu un organe « nouveau », sans équivalent, un organe en plus des autres pièces florales. Vers le milieu du 20ème siècle, une hypothèse mixte s’est détachée en s’appuyant sur les vaisseaux qui alimentent cette structure : les filaments (radii, pali) et l’opercule seraient d’origine périanthaire, i.e. comme les pétales et sépales tandis que l’annulus (voir la chronique sur la structure de la fleur) serait un repli du réceptacle (le plateau qui porte la fleur) et le limen dériverait des étamines ! Mais là encore, ce dernier élément (limen) se met en place bien après les étamines ce qui invalide au moins cette partie de l’hypothèse. En plus, la soudure des étamines avec le pistil en un androgynophore complique encore plus toute interprétation.

Bilan : au début du 21ème siècle, on ne savait toujours pas à quelles pièces florales correspond la couronne ou si elle est une structure à part.

La piste génétique

Avec les énormes progrès en matière de génétique, on peut déterminer l’origine des organes. Pour bien comprendre, il faut avoir quelques notions sur les gènes du développement qui dirigent la formation des différents organes dont ceux des fleurs. En faisant simple, disons qu’il existe des blocs de gènes (désignés par des lettres) sur l’ADN des cellules qui contrôlent des éléments précis : le groupe A dirige la formation des sépales à l’extérieur et le bloc B les pétales ; les étamines sont dirigées par la coopération de B et C ; le bloc D contrôle la formation des ovules et enfin un groupe E chapote tout l’ensemble A, B, C et D et régule la bonne mise en place de ces structures.

Une étude de 2011 (2) propose une nouvelle hypothèse sur la base des observations et du suivi de l’expression des gènes. Le développement de la couronne est centripète et démarre sous la forme d’un cercle tissulaire à la base des pétales ; les rayons externes (radii) et l’opercule apparaissent en premier, suivis des radii internes et des pali centraux ; l’opercule ne cesse ensuite de s’agrandir et, presque à maturité, l’annulus se forme à l’intérieur. Le limen qui borde la chambre ne se développe qu’en tout dernier depuis un côté de l’androgynophore. L’analyse génétique montre que les gènes B et C s’expriment dans les couronnes matures mais selon un tempo particulier qui conduit les chercheurs à dire que la couronne est d’origine composite : radii, pali et opercule seraient homologues des étamines alors que le limen serait une structure entièrement nouvelle. On pourrait alors interpréter ces structures qui émettent des odeurs attractrices comme des staminodes ou étamines stériles que l’on retrouve dans de nombreuses autres familles.

Mais patatras, en 2017, une nouvelle étude génétique (3) sur une autre espèce de passiflore (la passiflore cultivée pour ses fruits) avance l’idée que la couronne est probablement un organe entièrement nouveau (sui generis) qui ne dérive ni des pétales ni des étamines !

La piste « spatiale

En 2016, une autre étude (4) paraît, basée cette fois sur le suivi au microscope électronique du développement « embryonnaire » de la fleur à partir du massif de cellules indifférenciées qui lui donne naissance (méristème floral) et ce sur quatre espèces de passiflores avec des structures de fleurs différentes. Elle confirme d’abord que la couronne n’a rien à voir avec les étamines vu l’apparition bien plus tardive des éléments de la couronne. Dans tous les cas, la mise en place de la couronne se fait bien après celle des autres organes de la fleur, tout à la fin. Les chercheurs associent cette apparition finale à une expansion du méristème qui libère de l’espace en fin de développement. Les rangées de filaments se forment alors sur ce nouvel espace libéré selon une séquence centripète (voir ci-dessus). Un processus auto-régulateur se mettrait en place pour occuper cet espace vide et, dans ce scénario, la couronne serait bel et bien alors une structure entièrement nouvelle se développant sur le réceptacle. Ceci expliquerait pourquoi au sein des passiflores, selon l’espace libéré et la régulation mise en place, on ait obtenu des « produits différents ».

Il semble donc bien se dégager une image très spécifique de la couronne des passiflores, une couronne pas comme les autres, une véritable innovation évolutive qui a sans doute permis « l’explosion » de ce genre et de la famille.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Ultrastructure of the corona of scented and scentless flowers of Passiflora spp. (Passifloraceae). Marıa T. Amela Garcıa, Beatriz G. Galati, Patricia S. Hoc ; Flora 202 (2007) 302–315
  2. B- AND C-CLASS GENE EXPRESSION DURING CORONA DEVELOPMENT OF THE BLUE PASSIONFLOWER (PASSIFLORA CAERULEA, PASSIFLORACEAE). Claire A. Hemingway, Ashley R. Christensen, and Simon T. Malcomber. American Journal of Botany 98(6): 923–934. 2011.
  3. Expression patterns of Passiflora edulis APETALA1/FRUITFULL homologues shed light onto tendril and corona identities. Livia C. T. Scorza, Jose Hernandes‐Lopes, Gladys F. A. Melo‐de‐Pinna and Marcelo C. Dornelas. EvoDevo (2017) 8:3
  4. Space matters: meristem expansion triggers corona formation in Passiflora Regine Claßen-Bockhoff and Charlotte Meyer Annals of Botany 117: 277–290, 2016

 

A retrouver dans nos ouvrages

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