L’usage de pesticides reste le problème majeur dans les cultures intensives par rapport à la biodiversité

Il semble évident que l’agriculture biologique favorise la biodiversité ne serait-ce que par l’arrêt de l’utilisation de pesticides, l’une des causes majeures de disparition des espèces dans les cultures intensives conventionnelles. Mais quelle est l’ampleur de cet effet sur une ferme biologique, souvent isolée dans un paysage d’agriculture intensive et à quelle vitesse se manifeste cette amélioration de la biodiversité lors de la conversion d’une ferme conventionnelle en biologique ? Une grande étude suédoise publiée en 2011 (1) porte sur soixante exploitations dont vingt conventionnelles intensives et quarante en bio et converties depuis un temps plus ou moins long allant jusqu’à vingt-cinq ans pour certaines. Deux groupes d’êtres vivants bien différents par leurs traits de vie, les plantes herbacées et les papillons de jour (Rhopalocères), ont servi d’indicateurs dans cette étude aux conclusions intéressantes.

Crédit de colonisation

Lors de la conversion d’une ferme conventionnelle en agriculture biologique, la phase de recolonisation avec le retour des espèces pouvant potentiellement s’installer (car présentes dans l’environnement immédiat) peut être plus ou moins longue et même mettre du temps avant de commencer. Ce temps de décalage est qualifié de crédit de colonisation de la même manière qu’en sens inverse (destruction ou détérioration d’un habitat) on parle de dette d’extinction (voir la chronique sur cette notion). La durée ou l’existence même d’une telle période de décalage dépend de divers facteurs : l’évolution de la végétation sur la ferme en conversion, la présence à la périphérie de zones refuges abritant les espèces susceptibles de revenir, la dégradation des pesticides et des nutriments en excès dans les sols précédemment cultivés en conventionnel et le rétablissement des interactions entre les « ravageurs » des cultures et leurs ennemis naturels. La recolonisation dépend donc, a priori, autant de ce qui va se passer dans la surface convertie qu’à l’extérieur, via la structure du paysage environnant. On a tendance à penser que plus celui-ci sera hétérogène (« varié ») et composé d’habitats non cultivés étendus et plus rapide sera la recolonisation ; à l’inverse, si on n’a autour que des petites parcelles fragmentées de milieux non cultivés, on peut s’attendre à une recolonisation plus lente, ces milieux hébergeant alors des populations trop réduites pour alimenter le nouveau milieu favorable en conversion.

Enfin, l’importance et l’étendue des champs cultivés autour de l’exploitation seraient de même un frein en fonctionnant comme des barrières à la circulation des espèces et à leur dispersion (voir la chronique sur l’exemple des primevères). L’étude évoquée a justement exploré tous ces aspects : certains se trouvent validés et d’autres pas !

Flore réactive

Sur l’ensemble des terres cultivées en céréales des fermes étudiées, 159 espèces de plantes herbacées sauvages associées au cultures ont été recensées dont 151 présentes sur les bordures et 97 à l’intérieur des cultures. Ces résultats concordent avec de nombreuses autres études qui soulignent l’importance clé des bordures de champs qui, en conventionnel, bénéficient d’une moindre exposition aux pesticides et des apports de la flore extérieure (accotements, chemins, …).

Le nombre d’espèces (la richesse spécifique) est de 20% plus élevé dans les fermes biologiques que dans les conventionnelles. Le fait le plus marquant est que cette richesse en espèces végétales augmente dès la première année de conversion et ensuite reste constante. Cette réponse ultra-rapide correspond sans doute à l’arrêt de l’utilisation des herbicides qui détruisent toutes les plantules germées mais n’affectent pas le plus souvent les graines dans le sol ; de même les graines venues des milieux environnants semi-naturels environnants (dispersées par le vent, les animaux, l’homme, …), quand ils existent, vont pouvoir germer sans être elles aussi anéanties.

Les épandages d’herbicides : un frein permanent à toute velléité de retour de la biodiversité floristique

La colonisation peut donc s’exprimer à plein dès la première année de conversion. Par la suite, la richesse pourra rester constante un certain temps à cause de facteurs internes à l’exploitation comme la persistance prolongée d’excès de fertilisants qui favorisent le développement d’espèces rudérales très compétitrices qui freinent les installations d’espèces moins gourmandes en nutriments.

La diversité du paysage environnant l’exploitation par contre n’agit pas sur cette richesse végétale. Peut être que l’essentiel de la recolonisation s’effectue en fait de l’intérieur à partir de la banque de graines du sol qui peut, pour beaucoup d’espèces, persister très longtemps.

NB. Retrouvez un exemple de cette flore sauvage liée aux cultures dans la chronique « Une curieuse salade des moissons »

Richesse en papillons

Près de 3800 papillons de jour appartenant à 37 espèces différentes ont été recensées sur l’ensemble des fermes. Comme pour la flore (voir ci-dessus), la richesse en espèces de papillons est de 20% supérieure dans les fermes biologiques et augmente très rapidement dès les premières années de conversion. Intuitivement, on comprend que les papillons, insectes volants avec un certain rayon d’action pour la plupart, puissent rapidement coloniser ces « nouveaux » milieux libres de l’action délétère des pesticides ; ceux-ci agissent à deux niveaux : sur les chenilles et leurs plantes nourricières (feuillage) ; sur les adultes privés de fleurs, sources de nectar nourricier. Plus la proportion de terres cultivées autour de l’exploitation est élevée, moins cette richesse va augmenter dans les fermes converties : dans ce cas, la rareté des habitats semi-naturels propices au développement d’une certaine diversité de papillons freine la recolonisation faute de source suffisante. Et l’effet perdurera dans le temps : les papillons ne viennent pour la plupart que dans un rayon relativement proche ; la richesse plafonnera donc en dépit de l’amélioration croissante de l’habitat dans les exploitations biologiques.

En tout cas, a minima, cette double augmentation de la richesse en espèces de plantes des cultures et de papillons de jour peut s’observer rapidement, ce qui constitue un argument important pour valider l’intérêt des exploitations biologiques par rapport à la biodiversité.

Effet papillons retardé

Le tircis a besoin de zones semi-boisées ombragées : il ne pourra recoloniser que s’il trouve des haies bien développées.

Par contre, toujours chez les papillons, un autre critère important varie différemment : l’abondance, i.e. le nombre d’individus par espèce ; d’un point de vue communication, cet aspect est important : voir des papillons en nombre constitue une preuve tangible, palpable, directe d’un effet positif sur la biodiversité. Sauf que, là, l’abondance n’augmente souvent pas de suite mais très graduellement ; elle finit néanmoins au bout d’un certain temps à être de 60% supérieure sur les exploitations biologiques par rapport aux conventionnelles. L’étude constate un doublement du nombre d’individus toutes espèces confondues au bout de 25 ans par rapport à la première année de conversion. En pratique, l’étude montre de fortes variations d’une ferme biologique à l’autre avec certaines d’entre elles abritant de grosses populations de papillons dès les premières années de conversion.

Pour que les terres cultivées à la périphérie puissent fournir des papillons qui se dispersent, il faut a minima favoriser le maintien des bordures fleuries ou des haies qui suffisent à maintenir de belles populations de papillons servant alors de source pour coloniser. En tout cas, cela signifie qu’il faut être souvent patient avant de voir un effet significatif en nombre de papillons !

NB. Retrouvez un exemple de papillon de jour dans la chronique « L’aurore, un papillon généraliste spécialisé »

Par contre, contre toute attente, que les paysages entourant la ferme convertie soient homogènes ou diversifiés (hétérogènes), cela n’agit pas sur la vitesse de l’augmentation de l’abondance. On s’attendrait à ce que dans un cadre hétérogène diversifié avec plus de milieux différents on ait plus de papillons. On ne sait pas trop expliquer ce constat sauf à supposer que dans les environnements homogènes, les espèces seraient plus mobiles ce qui compenserait leur moindre abondance ?

Leçons

On peut supposer que d’autres insectes pollinisateurs à forte mobilité (abeilles sauvages, syrphes par exemple) réagissent comme les papillons et voient leur richesse augmenter derechef et leur abondance progressivement ; par contre, pour des groupes à mobilité réduite comme certains coléoptères non volants (carabes), l’effet doit être logiquement plus lent à se mettre en place.

L’étude attire aussi l’attention sur le paysage environnant même s’il n’explique pas tout : sans un réservoir minimal, la biodiversité ne recolonisera pas l’exploitation convertie. Elle incite à essayer de rapprocher les exploitations biologiques les unes des autres dans l’espace pour amplifier leur effet : des fermes biologiques isolées dans un océan de culture intensive n’arriveront pas à reconstituer une biodiversité correcte même avec la meilleure gestion interne possible. Il faut en même temps inciter à améliorer un minimum la situation des autres terres cultivées à la périphérie avec par exemple le développement de bordures non cultivées ou de haies.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Assessing the effect of the time since transition to organic farming on plants and butterflies. Dennis Jonason et al. Journal of Applied Ecology 2011, 48, 543–550