Primula veris

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Vous avez compris au premier coup d’œil sur les photos qui accompagnent cette chronique qu’il ne s’agissait pas de parler de l’oiseau mythique annonciateur du printemps mais de l’une des fleurs populaires nommées coucous : la primevère officinale. Comme nombre de plantes de la biodiversité ordinaire, i.e. très présentes dans les environnements proches de l’homme, la primevère a cristallisé au cours des temps l’attention des humains qui la côtoyaient pour tout un tas de raisons et a ainsi reçu une kyrielle impressionnante de noms ou surnoms populaires, surtout quand on prend en compte tous les patois ou dialectes. Ainsi, dans la flore populaire d’E. Rolland (onze tomes parus entre 1896 et 1914), on trouve des centaines de noms recensés pour cette seule primevère officinale. Il nous a donc paru intéressant d’aller à la rencontre de cette « biodiversité culturelle » attachée à une espèce et de comprendre les cheminements tortueux (souvent obscurs et hypothétiques) qui ont conduit à ces diverses appellations. Faire ce travail, c’est se replonger dans nos racines profondes d’êtres intimement liés à la nature comme les autres, même si nous avons tendance à l’oublier et à le négliger de plus en plus.

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La primevère officinale fait partie de ces plantes « banales » (mais de moins en moins !) qui occupent les milieux plus ou moins perturbés par l’homme comme les accotements, les fossés, les talus.

Primevère

Son nom vernaculaire va nous servir de base de départ à ce voyage tourbillonnant dans la galaxie des noms populaires. Le Dictionnaire culturel en langue française, Le Robert, une référence solide et précieuse, nous dit : nom féminin qui remonte à 1573 ; la forme primevoire au 12ème siècle serait issue du latin primunver « premier printemps » (dérivé du latin classique primovere « au début du printemps »), devenu en bas latin primaver ou prima vera pour signifier sa floraison printanière. Il a existé une autre variante sous la forme primevaire (1442) adaptée de l’italien primavera. Le passage à primevère résulte de l’influence du moyen français primevire (de 1534 à la fin du 17ème siècle) lui aussi emprunté à l’italien. En tant que biologiste, je ne peux m’empêcher de penser à l’image de lignées divergentes de populations locales pour traduire cette évolution des noms ! Une spéciation culturelle !

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De fait, cette étymologie transparaît dans une foule d’autres noms locaux dont nous avons sélectionné au hasard quelques exemples (flore de Rolland) : primadèlo, primolèro ou primatuèro dans le Sud-Ouest ; primerole dans le nord de la France au Moyen-âge ; printanièro dans le Midi ; primebère, prèmèvère, .. Il faut ajouter les dérivés indirects par déformation (peut-être) comme plum’vère, piom’vère, prume vèrte, plomb de verre, .. où comment le sens se perd en cours de route ! Enfin, il y a aussi des formes triviales comme printemps ou printemps jaune ou printanière tout court !

A noter aussi que l’épithète latin officiel veris (Primula veris) se traduit par printanier ; à ne pas confondre avec l’épithète vera pour vrai, authentique (comme dans Aloe vera : voir la chronique sur les aloès).

Reste la question de ce lien fort avec le printemps. La primevère officinale n’est pas la seule à fleurir au printemps et à être alors très visible (comme la ficaire par exemple). On peut supposer qu’il y a plusieurs raisons : son habitat dans les prés pâturés ou pas, dans les vergers, au bord des chemins donc au plus près des hommes de la campagne (voir la chronique sur les liens avec le pâturage et le fauchage) ; son abondance (au moins autrefois !) ; mais aussi et peut-être surtout sa réputation comme plante médicinale majeure (voir la suite) : on devait surveiller sa floraison pour pouvoir récolter ses fleurs.

Pâques

On trouve une autre association avec le printemps via la fête de Pâques qui correspond peu ou prou (selon les années) au début ou au pic de floraison de la primevère officinale. Ainsi, on peut citer fleur de mars (1664) alors que les anglais la surnomment …mayflower (mais le printemps y est un peu plus tardif ?) mais surtout bouquet de Pâques, pâquette ou pâquotte qui a fini par dériver en …pâquerette ou pâquerette jaune pour être plus précis. D’ailleurs dans l’ancienne terminologie pré-linnéenne, la « vraie » pâquerette était nommée Primula veris minor : minor pour petite, non pas par la taille mais plutôt en termes de pouvoirs médicinaux.

Puisque nous sommes dans les associations d’idées avec d’autres plantes, on notera les noms anciens de Verbasculum odoratum traduit en 1557 par « petit bouillon-blanc bien flairant », Verbascum étant le nom générique des molènes ou bouillon-blancs. Ces plantes sont réputées depuis longtemps pour les propriétés expectorantes et béchiques (voies respiratoires, toux) tout comme celles des primevères. Le vieux nom de Lactuca sylvestris (laitue sauvage) renvoie sans doute à l’usage alimentaire des feuilles (voir ci-dessous). Enfin, il reste la forte association avec la rose qui remonte au Moyen-âge avec prima rosa ou en vieux français rose primevoire qui a donné primrose en anglais.

Une plante clé

La primevère ouvre donc le bal du printemps. Cette symbolique de l’ouverture transparaît dans d’autres noms pour d’autres raisons : dans le folklore populaire, l’imaginaire collectif et les symboles tiennent une place centrale. Depuis le Moyen-âge, on avait coutume de manger les jeunes feuilles toutes fraîches des rosettes printanières comme salade dépurative … qui « ouvre » l’appétit. Cette faculté d’ouverture lui a valu d’être impliquée, en Europe du nord (dont la Flandre), dans une légende religieuse : Saint Pierre, gardien du Paradis aurait échappé son trousseau de clés et là où elles tombèrent poussa une primevère ; une autre version dit que le même Saint-Pierre, confronté à des fraudeurs qui tentaient d’entrer au Paradis par une porte dérobée, en fut très perturbé et laissa tomber son trousseau ; les clés prirent racine et donnèrent des touffes de primevères ! D’où le surnom nordique de Himmelschüssel ou « petites clés du ciel » (clédiè en Belgique pour clef-Dieu). Mais quel rapport avec des clés ? Il suffit de regarder de profil une inflorescence de primevère : un paquet de fleurs pendantes d’un même côté … voilà le trousseau de clés ! On retrouve cette filiation dans les anciens noms latins de Clavis Sancti Petri (1539) ou clavium flores ou clavium herba ou dans les noms anglais de keywort, keys of heaven ou St Peter’s keys.

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Le trousseau de clés de Saint-Pierre ou les « petites clés du Ciel »

Le recours à la figure de Saint-Pierre dans la légende remonterait en fait à d’autres croyances antérieures comme quoi elle était une plante magique permettant d’ouvrir les rochers … contenant un trésor ; d’où le passage possible de petra (pierre) à Sancti Petri (Saint-Pierre) ! Pour poursuivre notre métaphore évolutive, ne serait-ce pas de la dérive !

Noms d’oiseaux

Le surnom de coucou reste encore de nos jours très fortement attaché à la primevère officinale même si d’autres fleurs partagent ce privilège comme la jonquille, la cardamine des prés ou la pulmonaire (coucou bleu) par exemple. Evidemment, on pressent le lien avec le chant si caractéristique de l’oiseau qui annonce le printemps : en moyenne, les premiers chants de coucou s’entendent vers début avril.

Cela dit un décalage de plus en plus fort commence à apparaître car la floraison des primevères commence de plus en plus tôt avec le réchauffement climatique alors que l’oiseau n’a pas beaucoup changé ses dates d’arrivée. Ainsi, pourrait-on arriver dans quelques décennies à un décalage culturel complet !

Ce lien avec l’oiseau coucou a généré des dizaines de noms locaux sous les formes dérivées les plus variées : coucu, cocu, coucoute, coquu, coucoin, cucu, coucutt, concon, ….Quant aux mots associés, leur diversité est tout aussi grande : fleur de coucou ; érbo de coucu ; pan de coucu (pain de coucou que l’on associe aussi par exemple à l’oxalis petite-oseille) ; coucou à cloques (allusion aux calices ventrus) ; cocou jaune (le rouge étant le coquelicot) ; coucou de la Sainte-Vierge ou coucou d’Jésus ; ….

On le trouve plus rarement associé à un autre oiseau printanier bien connu autrefois des campagnards notamment pour son chant qui porte loin : la huppe fasciée ou « boubou ou boutbout », onomatopée de son chant. Ainsi en Corrèze, on l’appelait érba de boubou ou pupu dans l’Ouest (autre surnom de la huppe à la fois pour son chant et pour la mauvaise odeur des jeunes au nid).

Coucou ou … cocu ?

L’oiseau n’est pas la seule piste linguistique qui a conduit à ces noms sur le mode coucou ou cocu. En effet, E. Rolland nous rappelle qu’au 16ème siècle les culottes étaient appelées braguettes ou cocus. Il cite un texte de F. Béroalde de Verville (1556-1626), écrivain auteur du Moyen de parvenir : « La soltane est devenue un habillement commun, au grand préjudice des cocus, depuis que les braguettes ont été déclarées insupportables. ». Mais quel rapport entre des culottes et notre fleur : là encore, direction les bouquets de fleurs et les calices ventrus qui entourent largement la corolle en tube ; les voilà les cocus ! Du coup, une partie des noms populaires où apparaît cocu ou coucou font en fait référence à cet aspect là : ainsi, braies-de-coucou signifie brayes de cocu (brayes ou braies étant synonyme de braguette). Selon les patois et dialectes on trouve diverses formes : brayés de couyoul ; bradza de coucuda ; braya de coucu ; bra-cucu ou brécu devenu cubrê. On voit que pour interpréter un nom donné (comme cubrê, digne du verlan !), il faut s’armer de patience et de nombreuses données pour reconstituer son ascendance ! Difficile d’ailleurs de savoir s’il n’y a pas eu glissement de l’un vers l’autre par association d’idées ?

Une autre variante sur la thématique des vêtements concerne l’image des gants ou des chaussettes : gants au coucou ; gants de Notre-Dame ; mitaines ; chôsse de loup.

Simple

Parmi les vieux noms latins du Moyen-âge figurent les étranges (a priori) herba paralysis ou paralysis ou paralytica transcrits en « herbe à la paralysie » en langage populaire. Effectivement, si on se plonge dans la longue liste des vertus médicinales attachées à cette plante, on trouve un volet antispasmodique, i.e. susceptible de calmer les spasmes musculaires involontaires qui affectent la musculature lisse des voies digestives ou uro-génitales : on la recommandait notamment pour guérir la paralysie de la langue et le bégaiement. Dans le même ordre d’idée, la tisane de fleurs est réputée comme calmante et sédative, idéale pour les états de surexcitation qu’on appelait autrefois des « frénésies » ou les maux de tête et autres troubles nerveux légers. Dans un traité de 1704, on trouve une recette à base de primevère (plante entière) associée à tout un rituel religieux complexe pour vaincre le mal caduc de l’époque, i.e. l’épilepsie. Ceci explique aussi un de ses noms anglais très ancien : palsywort ; wort pour herbe et palsy pour une forme de paralysie pouvant engendrer des tremblements. Certains auteurs suggèrent que cet usage aurait été indiqué en vertu de la théorie des signatures par le fait que les fleurs pendantes sur des pédoncules tremblent un peu dans le vent !

Une autre vertu médicinale se retrouve dans le très vieux nom médiéval de Radix arthritica (aussi sous la version arthetica) : les racines (ou plutôt les rhizomes porteurs de racines) contiennent en effet des salicylates (proches de l’aspirine) qui lui confèrent des propriétés apaisantes en cas d’arthrite.

Nous pourrions poursuivre encore longtemps cette chronique avec par exemple le cowslip anglais qui signifierait « bouse de vache », allusion à sa préférence pour les pâtures, et surtout si nous élargissions le propos aux légendes et croyances diverses associées à la primevère mais qui n’ont pas a priori laissé de trace dans les noms populaires ! Cette richesse extrême doit nous interpeller sur notre lien que nous sommes en train de perdre avec la nature  ; le coucou ou cocu fait partie de ces plantes qui peuvent et doivent nous le rappeler au détour d’une promenade ! Elles portent en elles une part de notre humanité.

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La primevère, comme le bonheur, est dans le pré pour qui prend la peine de la regarder et de la comprendre

BIBLIOGRAPHIE

Flore populaire ou histoire naturelle des plantes dans leurs rapports avec la linguistique et le folklore. Paris, Rolland. 11 tomes. Rolland Eugène, 1896-1914. Sur le site de Tela Botanica, un lien permet d’accéder à l’index de cette flore populaire : http://www.tela-botanica.org/page:flore_rolland

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la primevère officinale
Page(s) : 222-223 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages