Cuscuta sp.

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Cuscute des champs parasitant des betteraves sucrières (Limagne : 63)

Les plantes parasites se nourrissent aux dépens d’une plante hôte en pénétrant dans ses tissus à l’aide de suçoirs  ; parmi elles, les cuscutes, représentées par environ 170 espèces dans le monde dont huit espèces présentes en France, se démarquent des autres plantes parasites par des caractères uniques et très originaux. Compte tenu de ces particularités et du fait qu’un certain nombre d’entre elles posent de sérieux problèmes comme plantes envahissantes dans les cultures, les cuscutes ont fait et font l’objet d’une foule d’études avec des publications scientifiques par dizaines au cours des dernières décennies. Cette première chronique présente donc les caractéristiques générales et le mode de vie de ces plantes tandis que d’autres chroniques approfondiront certains aspects précis et particulièrement originaux (voir la rubrique Cuscutes). Nous parlerons des cuscutes en général car, à quelques détails près, elles ont un aspect très proche avec des espèces difficiles à différencier.

Cheveux du diable, fil-madame, tignasse, …..

Sur les tiges, commencent à se développer des excroissances, les futurs suçoirs qui s'enfonceront dans les tiges (et pas dans les feuilles) de la plante hôte

Sur les tiges, on voit les futurs suçoirs qui s’enfonceront dans les tiges (pas dans les feuilles) de la plante hôte

A ce début de liste de noms populaires s’appliquant aux cuscutes sans distinction d’espèce, on pourrait ajouter teigne, cheveux de la Vierge ou de Vénus, barbe de moine, rogne, gale, rougeot, crémaillère, … Ils traduisent bien à travers plusieurs caractères l’aspect général des cuscutes : une masse informe de fils colorés (en rougeâtre, en jaune ou orange à presque blanc) entremêlés, s’enroulant autour des tiges des plantes, et recouvrant souvent la végétation d’une nappe de fils inextricable. Des tiges filiformes volubiles qui s’enroulent à la manière des liserons autour des tiges des plantes hôtes développant à leur contact des sortes d’excroissances qui servent à parasiter l’hôte en perçant sa tige : des suçoirs ou haustoria.

Pour le reste, pas de feuilles et, fait le plus surprenant, pas de racines du tout ! Les cuscutes produisent bien des fleurs, petites et régulières, avec calice, corolle et organes sexuels classiques (étamines et pistil) et elles sont le plus souvent groupées en boules rondes denses (glomérules) au long des tiges. Les pistils fécondés donnent des fruits secs en forme de capsule ronde qui contiennent des graines petites de 2mm de long.

Le bon sens populaire à travers certains des surnoms cités ci-dessus (teigne, rogne, …) avait repéré le caractère parasite de cette étrange plante et Théophraste (376-287 avant J.C.), philosophe, botaniste et grand naturaliste de la Grèce antique, l’avait décrite comme telle. Il faudra attendre le 19ème siècle pour que soient identifiées (à l’aide d’un nouvel outil révolutionnaire : le microscope) les relations « physiques » entre l’hôte et le parasite par H. Solms-Laubach, botaniste allemand en 1867.

Un parasite total

A part au stade de plantule (voir ci-dessous), on ne voit plus chez les cuscutes adultes de trace de chlorophylle , le pigment responsable de la couleur verte des plantes à fleurs et qui permet la photosynthèse et donc l’indépendance alimentaire : les plantes vertes fabriquent avec l’énergie solaire les composants organiques dont elles ont besoin, prélevant l’eau et les sels minéraux dans le sol par les racines. Les cuscutes, de ce fait, sont quasiment entièrement dépendantes de leur hôte dans lequel elles puisent toutes les substances organiques (sucres, protéines, matières grasses) nécessaires à leur développement : 99% du carbone qu’elles utilisent vient de leur hôte. Ce dernier leur apporte aussi l’eau et les sels minéraux puisqu’elles n’ont pas de racines. On les qualifie d’holoparasites (« entièrement parasites ») comme les orobanches. Nombre d’autres plantes parasites ne sont « que » hémiparasites conservant leur activité photosynthétique pour compléter leur alimentation carbonée comme le gui sur les branches ou les plantes vertes de la famille des orobanchacées (tels que les rhinanthes) sur les racines des plantes hôtes. Les cuscutes sont incapables de se développer et encore moins de se reproduire sans parasiter un hôte.

Un vampire végétal

Une fois fixée, la cuscute se montre redoutablement efficace et prélève sans relâche son tribut ; ainsi, quand la plante hôte se reproduit et fait mûrir ses fruits, la cuscute pompe encore plus de nutriments que la plante elle-même pour ses propres fruits. Elle se comporte en « puits » de nourriture et freine ou empêche la croissance et la reproduction de la plante parasitée ; en plus, elle est capable d’induire chez son hôte une augmentation de la photosynthèse, la rendant complètement esclave. C’est pourquoi les cuscutes qui parasitent les plantes cultivées telles que la cuscute des champs d’origine nord-américaine (C. campestris), aux tiges orange vif et fréquente dans les cultures de betteraves notamment, peuvent causer des dégâts considérables en agriculture.

Forte de cette toute puissance, la cuscute peut développer sans vergogne son réseau de tiges qui s’allongent et se ramifient sur plusieurs mètres, colonisant d’autres plantes que le pied de départ et augmentant ainsi sans cesse sa capacité à se nourrir : une vraie expansionniste ! Chaque « pied » de cuscute forme rapidement une toile de fils tentaculaire qui peut couvrir plusieurs mètres carrés.

Naissance d’un alien

Les graines, bien que petites, possèdent assez de réserves pour assurer le développement initial de la plantule … dépourvue de racine ! De la graine émerge une sorte de fil sans feuille : la tige, verte à ce stade, pousse vers le haut pendant plusieurs jours ; quand elle atteint la taille de 6-7cm, elle entreprend par son extrémité des mouvements de rotation, typiques des jeunes plants (on parle de circumnutation : voir la chronique sur les ipomées) jusqu’à entrer en contact avec une plante hôte sur laquelle elle va s’enrouler. Une plantule qui ne réussit pas à trouver d’hôte dans les trois semaines suivant la germination meurt ce qui justifie bien son qualificatif d’holoparasite même si elle est encore chlorophyllienne. Une fois fixée sur l’hôte, la jeune cuscute perd sa couleur verte et vire au jaune ou orange à rougeâtre : une vraie vie de parasite pure et dure commence !

Les graines constituent une arme importante pour la survie des cuscutes qui sont des plantes annuelles. Leur tégument dur leur permet de rester viables dans le sol pendant des années (dix ans au moins), en vie ralentie. Cette dormance sera levée par l’usure progressive du tégument sous l’action des microbes du sol, des facteurs climatiques et ou des attaques de petits insectes. La germination requiert de la chaleur (un optimum de 30° pour la cuscute des champs par exemple) et n’a lieu que si la graine est proche de la surface (moins de 5cm de profondeur) : on comprend bien que sinon la plantule fragile sans racine aura du mal à s’allonger et atteindre une « proie ». en tout cas, contrairement à ce qui se passe chez les orobanches, parasites sans chlorophylle mais par leurs racines, la germination ne dépend pas de composés chimiques libérés par les racines des hôtes et qui stimulent la croissance initiale du parasite.

Dans les cultures où l’on récolte les graines des plantes cultivées, la petite taille des graines de cuscutes rend leur tri impossible, permettant ainsi la dispersion à l’échelle mondiale des espèces parasites des cultures via les échanges commerciaux. Compte tenu de l’étendue des peuplements (voir ci-dessus) et de l’abondante floraison (des chapelets de fleurs tout au long des tiges), une bonne année suffit à produire des milliers de graines qui vont constituer une banque de graines sur le long terme. Il est donc très difficile de se débarrasser de ces encombrants « cheveux du diable ».

Le baiser du vampire

L’interaction qui suit avec la ou les plantes-hôtes est riche en évènements et processus surprenants ; dans cette chronique, nous allons en décrire sommairement les étapes pour décortiquer certaines d’entre elles dans les autres chroniques de la rubrique cuscutes.

La jeune plante doit d’abord trouver un support convenable même si la tâche n’est pas trop compliquée : en effet, chaque espèce de cuscute peut parasiter non pas une ou quelques espèces hôtes très spécifiques (comme chez les orobanches) mais des dizaines d’hôtes très variés et différents. Un même pied de cuscute peut vampiriser plusieurs hôtes différents au hasard de sa croissance, voire comme c’est souvent le cas, s’auto-parasiter, les tiges s’enroulant entre elles !

Ensuite, elle doit s’enrouler puis attacher à ce support vivant en développant ses fameux suçoirs ou haustoria qui pénètrent dans la tige de la plante hôte et vont pouvoir prélever les substances nutritives indispensables mais aussi échanger avec ce dernier divers éléments dont certains ne manquent pas de surprendre. Enfin, le parasite affirme son emprise en envahissant littéralement l’hôte.

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Tiges de cuscute des champs enroulées entre elles et se parasitant réciproquement dans un imbroglio de tiges !

Finalement, les cuscutes représentent un groupe à part dans le monde des parasites : pas de racines, pas de feuilles, perte presque totale de la capacité à photosynthétiser, croissance verticale avec des tiges grimpantes sans parler de ce qui se passe « à l’intérieur » riche en originalités et innovations. Tout ceci pose évidemment la question de l’origine de ces aliens du monde végétal et de leur évolution (voir la chronique dédiée à l’évolution des cuscutes).

BIBLIOGRAPHIE

Parmi les dizaines de publications sur les cuscutes, deux articles de synthèse nous ont particulièrement aidé pour rédiger cette chronique.

  1. Cuscuta spp: “Parasitic Plants in the Spotlight of Plant Physiology, Economy and Ecology”. Markus Albert, Xana Belastegui-Macadam, Marc Bleischwitz, and Ralf KaldenhoffU. Lüttge et al. (eds.), Progress in Botany 69. 2008
  2. The parasitic mechanism of the holostemparasitic plant Cuscuta (Review article) Takeshi Furuhashi, Katsuhisa Furuhashi and Wolfram Weckwerth. Journal of Plant Interactions ; Vol. 6, No. 4, 2011, 207-219.