Cynoglossum officinale

La cynoglosse officinale (voir la chronique sur la cynoglosse et son folklore) présente un cycle de vie un peu particulier : la première année elle fabrique une rosette de feuilles ; elle passe l’hiver ; ensuite, selon diverses conditions que nous allons explorer, soit elle fleurit l’année suivante ou soit elle attend encore 2, 3 ou 4 ans avant de fleurir ; mais dans tous les cas (ou presque !), la floraison signe son arrêt de mort : la plante fructifie et sèche sur pied. On parle de plante monocarpique (qui ne se reproduit qu’une seule fois dans sa vie) et elle se comporte donc soit en bisannuelle dans le premier cas, soit en vivace de courte longévité dans le second cas. Ce cycle de vie en fait un sujet intéressant, notamment aux Pays-Bas où sur plusieurs décennies on a étudié cette espèce dans son milieu naturel local, les dunes côtières.

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Touffe de cynoglosse au pied d’une dune en Vendée.

Une vie de cynoglosse

Reprenons plus en détail le cycle de vie. Les graines tombées au sol germent pratiquement toutes au printemps après une exposition au froid qui lève leur dormance ; l’émergence des plantules se montre très synchrone avec 90% de sorties en mars-avril. La première année, la jeune plante élabore une rosette de feuilles molles grisâtres, douces à rugueuses au toucher, étalées au sol ; simultanément, elle développe une puissante racine noirâtre pivotante épaisse et longue qui donne accès aux couches profondes du sol : ceci rend la plante résistante à la sécheresse, courante dans les milieux fréquentés : terrains vagues, friches, talus, déblais, … sur des terrains sableux ou calcaires et en situation ensoleillée très ouverte.

Pendant l’hiver qui suit, la rosette perd ses feuilles mais conserve sa racine puissante.

Au mois de mars suivant, de nouvelles feuilles apparaissent. Si la plante fleurit, la tige s’allonge en avril mai jusqu’à presque 1m de hauteur avec de nombreuses feuilles caulinaires. La floraison qui s’étale de juin à août se démarque par la double coloration des fleurs d’abord bleu violacées puis rouge vineuses, doublées d’un aspect soyeux satiné et disposées en élégantes cymes « en queue de scorpion », autant de caractères propres à la majorité des espèces de la famille des Borraginacées. Ensuite, la plante fructifie, noircit et meurt entièrement, la racine comprise.

Un cycle à géométrie variable

En milieu naturel, sur des sols pauvres et arides en été (comme dans les dunes hollandaises), seulement 2 à 25% des plantes d’une année fleurissent ; moins de 5% des plantes fleurissent dans leur seconde année : la plupart ne le font que lors de leur troisième année ou plus. Les rosettes ne croissent que très lentement.

Une très petite proportion des plantes peuvent refleurir plusieurs années : ainsi lors des études aux Pays-Bas, sur 55 plantes suivies, 7 d’entre elles ont fleuri la seconde et la troisième année et 2 lors de leur 3ème et 4ème années. La cynoglosse n’est donc pas une monocarpique stricte.

Cette capacité à repousser la floraison  présente un avantage adaptatif en relation avec les conditions parfois rudes de ses milieux en été : celui de « sauter » une année défavorable sans perdre la possibilité de se reproduire !

Quel signal pour la floraison ?

On pourrait penser que comme pour d’autres espèces monocarpiques déjà étudiées, la taille acquise en automne serait un bon indice prédictif de la capacité à fleurir l’année suivante et non pas l’âge puisque selon les conditions de croissance la plante va se développer plus ou moins vite. Effectivement, sur le terrain, les plantes les plus grandes semblent être les plus aptes à fleurir ensuite. Il y aurait donc une taille-seuil minimale à atteindre en automne pour avoir des chances de fleurir l’année suivante. Cependant, la comparaison de deux populations géographiques différentes (3) montre que ce seuil varie : les cynoglosses anglaises requièrent une taille-seuil de floraison nettement plus élevée que celle des plantes néerlandaises : la sélection naturelle agit donc sur ce facteur en fonction sans doute du contexte climatique.

Sur une population donnée, la taille-seuil (exprimée en grammes de matière sèche) varie de 2,6g à 13,4g (4) ! Si on sélectionne artificiellement les plantes à seuil bas, on arrive à faire fleurir toutes les plantes en dessous de 3,2g ; il y a donc une forte composante héréditaire dans ce caractère. Mais, lors d’une étude sur deux ans aux Pays-Bas, on a constaté des résultats très contrastés : en 1986, 50% des plantes ayant atteint une certaine taille ont fleuri l’année suivante ; en 1987, pour une taille moitié moindre, 50% ont aussi fleuri l’année suivante avec donc en 1988 une floraison inhabituelle de « petites » plantes ! Il y a donc des facteurs environnementaux qui interviennent en dehors de la taille.

Le déterminisme de la floraison

On sait que la cynoglosse a un besoin absolu de froid pour fleurir avec l’élongation des tiges qui se produit à partir de mai en relation avec l’allongement des jours. Or, des expériences conduites sous serre montrent que l’initiation de la future floraison (la formation d’un apex avec la future inflorescence « embryonnaire ») est acquise …. dès le mois d’août pour des plantes assez grandes : 34% des plantes gardées en été à 15°C fleurissent l’année suivante contre 100% à …. 20°C ! Si on les maintient en hiver à une température constante de 15 à 25°C, elles fleurissent mais en restant naines. Donc le froid hivernal n’initie pas la floraison mais l’élongation de la tige.

Alors, quel signal indique à la plante qu’il va être « temps de fleurir » : ce serait le nombre de feuilles déjà élaborées (certains disent que « la cynoglosse compte ses feuilles » !) qui servirait de critère ; mais, on ne sait pas si la plante repart à zéro chaque année (puisque les feuilles meurent en hiver) ou si elle garde en mémoire les feuilles déjà élaborées la ou les années précédentes. Donc, ce sont les conditions climatiques qui règnent en août-septembre (soit dix mois avant la floraison !) qui déterminent la floraison via sans doute la taille. Ce mode de fonctionnement se retrouve d’ailleurs chez les tulipes.

La culture dénature ?

Au jardin, où elle apporte une belle note colorée et attire des foules de bourdons comme pollinisateurs, la cynoglosse se comporte toujours en bisannuelle du fait de l’absence de compétition et d’un sol particulièrement enrichi. Ceci explique que dans nombre d’ouvrages, on la cite uniquement comme bisannuelle. Des études génétiques menées en jardin botanique (5) pointent une baisse de la diversité génétique au fur et à mesure de la poursuite de la culture en milieu artificiel. Les plantes tendent à produire de très grandes inflorescences, là où des plantes sauvages en produisent plutôt plusieurs de moindre taille ; la physiologie des graines se trouve aussi progressivement changée. En l’absence de sélection naturelle sur le cycle de vie, ces plantes perdent peu à peu de leur « identité génétique ». Cette observation souligne les difficultés à maintenir la biodiversité ex situ avec des risques d’appauvrissement génétique : réintroduire de telles plantes cultivées pendant des décennies dans un environnement « protégé » vers un milieu naturel contraint serait sans doute nettement plus difficile voire voué à l’échec.

Gérard GUILLOT. Zoom-nature.fr

BIBLIOGRAPHIE

  1. FLOWERING BEHAVIOUR OF THE MONOCARPIC PERENNIAL CYNOGLOSSUM OFFICINALE L. TOM J. DE JONG, PETER G. L. KLINKHAMER AND ADRIANA H. PRINS. New Phytol. (1986) 103, 219-229
  2. Is the threshold size for flowering in Cynoglossum officinale fixed or dependent on environment? B TOM J. DE JONG, LEENTJE GOOSEN-DE ROO ; PETER G. L. KLINKHAMER. New Phytol. (1998), 138, 489–496
  3. Geographical variation in threshold size for flowering in Cynoglossum officinale R. A. WESSELINGH, T. J. DE JONG, P. G. L. KLINKHAMER, M. J. VAN DIJK and E. G. M. SCHLATMANN. 2013 Acta Botanica Neerlandica
  4. Bidirectional selection on the threshold size for flowering in Cynoglosum oficinale (hound’s- tongue). RENATEA.WESELINGH&TOMJ.DEJONG. Heredity 74 (1995) 415-424.
  5. Consequences of ex situ cultivation of plants: Genetic diversity, fitness and adaptation of the monocarpic Cynoglossum officinale L. in botanic gardens. Andreas Enßlin, , Tobias M. Sandner, Diethart Matthies. Biological Conservation. Volume 144, Issue 1, January 2011, Pages 272–278

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez la cynoglosse officinale
Page(s) : 408-409 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Retrouvez la cynoglosse officinale
Page(s) : 65 Guide des Fleurs des Fôrets