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Tronc de merisier en coupe avec l’écorce (interne et externe d’un brun rouge orangé)

Parmi les différentes parties ou organes qui composent un arbre ou un arbuste, l’écorce reste une des moins connues bien qu’étant une des plus évidentes à l’œil et au toucher. Certes, nombre d’écorces attirent le regard par leur aspect parfois très original et qui signe souvent l’espèce mais au-delà, qui connaît vraiment la composition et la structure de l’écorce, son origine, sa croissance et ses différents rôles dans la vie de l’arbre. Pour le grand public, l’écorce n’est le plus souvent qu’une sorte de peau, incapables que nous sommes à nous détacher de notre condition d’être du monde animal. Nous allons voir dans cette chronique d’introduction de quoi est faite l’écorce et comment elle se met en place et évolue au cours de la vie des arbres et arbustes ; ainsi, nous allons découvrir qu’elle est bien plus qu’une « peau animale » et d’une incroyable complexité et diversité au sein du monde des plantes qui nous reste tellement étranger. Les fonctions de l’écorce ne seront pas abordées ici : seules certaines seront évoquées. Accrochez-vous par rapport au vocabulaire technique car, justement à cause de cette « étrangeté des végétaux », le vocabulaire anatomique ne nous est pas du tout familier !

Deux écorces

Pour les scientifiques, l’écorce est définie comme l’ensemble des tissus (groupes de cellules assurant une certaine fonction) entre la surface et une ligne fine interne circulaire (en section) : le cambium vasculaire ! Un cambium en botanique est une assise ou couche cylindrique de cellules qui se divisent et engendrent ainsi d’autres cellules ; comme elle ne se compose que d’une seule couche de cellules aplaties, elle reste très peu visible. Les cellules cambiales ne cessent de se diviser (pendant la saison végétative) et produisent ainsi des couches de cellules vers l’intérieur (du bois ou xylème chargé par ses vaisseaux de la conduction ascendante de la sève brute, mélange d’eau et sels minéraux prélevé au niveau des racines) et vers l’extérieur (du phloème ou liber), lesquelles provoquent l’accroissement en diamètre des tiges. Cambium dérive d’un vieux mot latin cambiare pour changement du fait de cette transformation induite par leur activité.

Donc en partant de cette ligne de séparation et en allant vers la surface, on trouve successivement :

– une fine couche de phloème (encore appelé liber du nom latin qui désignait l’écorce d’arbre sur laquelle on écrivait avant l’utilisation du papyrus) ou tissu conducteur de la sève élaborée, celle chargée en sucres et élaborée au niveau des feuilles par la photosynthèse et qui est redistribuée ensuite dans toute la plante comme source de nourriture

– une couche plus ou moins épaisse de cellules peu différenciées (tissu parenchymateux) formant le cortex, terme qui prête à confusion car on pourrait l’interpréter comme étant synonyme de écorce ! Avec le phloème, le cortex forme l’écorce interne qui, souvent, se détache effectivement avec l’écorce externe quand on écorce un arbre coupé ; elle peut être extrêmement mince (moins de 1mm parfois !)

– enfin, une couche de tissus nettement plus foncés, très serrés, comprimés : l’écorce externe ou périderme pour les botanistes.

Nous allons maintenant nous consacrer exclusivement à cette dernière même si l’écorce interne recèle une foule de caractères très importants pour la vie de l’arbre (dont la circulation de la nourriture !).

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Coupe simplifiée dans une jeune tige ligneuse montrant la position respective des différentes couches dont les cambiums.

Ecorce triple

L'aspect changeant de cette écorce en fait tout son charme.

Cette écorce externe nous est a priori familière car nous pouvons la toucher et la voir. Le mot écorce (1) remonte au 12ème siècle et dérive du latin scortea ou manteau de peau, lui-même dérivé de scortum pour peau ou cuir. Ultérieurement, cette racine a pris le dessus sur l’autre mot ayant le même sens, cortex qui a donné le verbe décortiquer et a été repris en anatomie animale (cortex cérébral). Nous la pressentons donc comme une peau et instinctivement nous la supposons sur le mode qui nous est familier : épiderme/derme qui se renouvelle par en dessous. Or, Il va falloir s’y faire mais chez les arbres une grande partie du « corps » est organisée radialement par rapport au tronc et on parle de couches interne ou externe selon leur position par rapport au centre du tronc ou d’une branche. Ceci nous déconcerte un peu nous qui sommes habitués fondamentalement à la bilatéralité droite/gauche et haut/bas !

Adonc, l’écorce externe n’est pas « une » mais triple :

– une ligne centrale ou cambium cortical (phellogène : de phello pour liège et gène pour engendrer) formée elle aussi d’une seule couche annulaire de cellules génératrices

– une couche interne (issue donc du phellogène) qui s’appuie sur le cortex sous-jacent (voir paragraphe précédent) : le phelloderme (de nouveau la racine phello et derme dérivé de derein : dépouiller, écorcher)

– une couche externe (elle aussi générée par le phellogène), celle que nous voyons en surface : le liège ou suber. Suber (1) est un mot latin qui signifie liège (et a donné sieure ou sure en provençal ou subier pour désigner le chêne-liège ; une forêt de chênes-lièges est une subéraie !) ; liège quant à lui est issu du latin populaire levius dérivé de levis pour léger. Il faudrait même ajouter une couche finale l’épiderme (enfin un terme familier) … mais il disparaît rapidement au cours de la croissance de la jeune tige pour céder la place donc au périderme sous-jacent ou écorce externe !

Assise génératrice

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Eucalyptus adulte avec son écorce qui se détache en longues lanières

La formation de l’écorce externe résulte donc elle aussi (comme le bois et le liber) de la mise en service et de l’activité d’un cambium formé d’une seule couche annulaire de cellules un peu allongées. Le plus souvent, il se forme à peu près en même temps que le précédent (cambium vasculaire) et au même niveau de la tige. L’origine de ces cambiums est surprenante : des cellules du cortex (ou de tissus plus en profondeur parfois comme le phloème) se dédifférencient , i.e. qu’elles reviennent à un état de « cellules-souches » ; il s’agit là d’une potentialité forte chez les végétaux qui leur vaut une capacité de régénération quasi permanente, la plus spectaculaire étant celle qui se produit quand un coupe un arbre à ras du sol et qu’il régénère une cépée de troncs (pour les espèces capables de le faire !).

Au cours de son activité, le phellogène ou assise subéreuse produit beaucoup plus de cellules côté externe (donc du liège) que interne (phelloderme) ; chez la majorité des arbres des régions tempérées, le phelloderme reste d’ailleurs très mince ce qui n’est pas le cas chez les arbres des régions tropicales où il devient nettement plus épais. Ce phelloderme interne contient des cellules qui restent vivantes : elles stockent de l’amidon sous forme de grains et possèdent des chloroplastes qui leur permettent au moins potentiellement de pratiquer la photosynthèse. En vieillissant, elles se transforment en cellules de soutien durcies.

Par contre, côté externe, le liège ou suber se démarque par une plus grande épaisseur, une plus grande complexité et la présence de tissus essentiellement formés de cellules mortes.

Couche miracle

Le liège qui se forme donc vers l’extérieur depuis le cambium cortical est un tissu compact, très serré constitué de cellules mortes mais cohérentes entre elles. Les parois secondaires de ces cellules ont subi entre autres une imprégnation d’une substance remarquable, la subérine, macromolécule lipidique à consistance cireuse. De ce fait, ces cellules deviennent imperméables autant à l’air qu’à l’eau et, en ce sens, le liège peut être assimilé à une formidable peau isolante, matériau bien connu et utilisé par l’homme.

Le liège se compose de deux types de cellules, soit présentes toutes les deux soit une seule des deux selon les espèces. Les cellules liégeuses à parois épaisses ont une triple couche avec de la lignine à l’extérieur (autre substance végétale remarquable et très présente dans le bois), de la subérine au milieu et une couche interne cireuse pour finir ; difficile de trouver plus isolant ! Le second type ou cellules liégeuses à parois fines possède moins de lignine et pas de cire interne. C’est ce type de liège qui est recherché quand on exploite les chênes-lièges (Quercus suber) : on détache la couche de liège épaisse qui se forme en une dizaine d’années (démasclage) sans abimer l’arbre car la séparation se fait au niveau du cambium cortical ce qui ne touche pas l’écorce interne vitale ; le tronc de teinte rosé foncé est mis à nu mais reconstitue très vite une nouvelle couche en reformant un nouveau cambium. Au fil des démasclages, successifs, le liège se transforme et évolue vers la forme recherchée à cellules avec des parois plus fines (en général au bout de 3 à 6 démasclages).

En plus, l’intérieur de ces cellules peut renfermer des tanins ou des résines au rôle protecteur envers les attaques d’organismes pathogènes ; il peut aussi emmagasiner de l’air ce qui renforce l’isolation.

Peau mature

Tout le monde a déjà remarqué que l’aspect de l’écorce d’un arbre donné change selon son âge ce qui d’ailleurs complique parfois sérieusement l’identification à partir de ce critère tant l’évolution peut être spectaculaire. Ces transformations résultent d’une contrainte majeure : la croissance en diamètre du tronc et des branches sous l’action du cambium vasculaire (voir paragraphe 1). Si l’arbre veut conserver l’intégrité de sa protection externe, il doit accélérer et le rythme de production de l’écorce tout en la renforçant. A partir d’un certain âge, un ou plusieurs nouveaux cambiums se forment sous le cambium cortical initial, plus ou moins profondément en dessous et prennent son relais.

Si le nouveau cambium d’écorce naît juste en dessous du présent (dans le tissu appelé phelloderme … vous suivez ?) et forme un anneau tout autour, alors il se formera une écorce lisse ou presque, typique de nombreux arbres tropicaux et plus rarement de quelques arbres des régions tempérées comme le hêtre ou les merisiers. Chez le hêtre, à la belle « peau d’éléphant » le cambium d’écorce reste actif toute la vie et produit très peu de liège vers l’extérieur : la fine écorce formée se détache en minuscules fragments et globalement la surface reste lisse et l’eau ruisselle typiquement dessus.

Mais dans la plupart des cas, les nouveaux cambiums sont discontinus en forme de lentilles ou de coquilles, se chevauchant plus ou moins entre elles. Ils incorporent vers l’intérieur le phloème de l’année écrasé par la croissance et progressent vers l’extérieur donnant naissance à une écorce très complexe, plurielle qui porte en langage botanique le nom de rhytidome (du grec rhutidos, ride), un nom à retenir pour le scrabble !

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Coupe simplifiée dans un tronc d’arbre mature avec le rhytidome. L’épiderme a disparu ; le cortex a été écrasé et incorporé dans l’écorce externe.

Belles écorces

C’est ce rhytidome qui va donner à l’écorce « adulte » son aspect définitif. Les nouveaux cambiums finissent par recouper et éliminer ceux situés au dessus ce qui conduit à une fragmentation en surface de l’écorce qui devient rugueuse ou en plaques finissant parfois par se détacher. Sous les cambiums, avec la croissance en diamètre qui s’accentue, le cortex est écrasé et incorporé à l’écorce tout comme le phloème de l’année. On a donc au final un mélange très complexe de différents tissus comprimés et entassés, très différent –de ce qui se passe pour la peau animale. Le virage vers la « peau adulte » a lieu plus ou moins tôt selon les espèces : de dix ans pour un pin sylvestre à trente pour un chêne en passant par vingt pour au aulne. Quelques exemples illustrent bien cette évolution silencieuse, cette sorte de mue très progressive, au pas de temps lent si cher aux arbres !

Chez les platanes, le cambium d’écorce déchire les cellules liégeuses à parois fines ce qui donne des fragments en « pièces de puzzle » qui finissent par se détacher, donnant cet aspect de peau de girafe. On pense que cette aptitude à se débarrasser du rhytidome superficiel explique la forte résistance des platanes à la pollution atmosphérique car les particules fines se déposent et peuvent obstruer les lenticelles, ces sortes de « pores respiratoires » à travers l’écorce (voir la chronique sur les fonctions de l’écorce).

Chez les bouleaux, l’alternance de couches de cellules à parois très fines non imprégnées de subérine (tissu phelloïde) et de cellules à parois épaisses (voir ci-dessus) entraîne un délitement en minces rouleaux de papier fin, très élégant chez certaines espèces ; la nouvelle écorce qui apparaît en dessous est souvent d’une belle teinte saumonée et ne vire au blanc qu’en vieillissant avec les cellules mortes qui se chargent en bulles d’air.

Chez les merisiers, le cambium initial fonctionne très longtemps (près d’un siècle) avant d’être relayé par de nouveaux cambiums : ce n’est donc qu’à un âge très avancé que l’écorce perd son aspect lisse (sauf les lenticelles) pour devenir rugueuse et crevassée. Chez les eucalyptus, l’écorce superficielle se détache en lanières à causes de masses de cellules à parois fines plus fragiles : la chute a lieu surtout par temps chaud, le dessèchement aidant à séparer les lanières.

Chez les chênes, les cambiums successifs se collent entre eux et forment une écorce de plus en plus épaisse qui ne se détache pas. L’apparition de crêtes allongées séparées par des fissures profondes tient à la disposition en lignes des cambiums et à l’incorporation des fortes fibres du phloème en dessous. Le cas le plus spectaculaire reste peut être le séquoia géant où l’accumulation aboutit à une écorce externe pouvant atteindre …. 80cm d’épaisseur et qui assure une protection efficace contre les incendies (voir la chronique sur le séquoia).

La diversité des écorces est ainsi infinie par ce jeu des activités des cambiums et donne autant de formes et de couleurs pour le plaisir des yeux. Nous vous invitons à les découvrir encore plus dans la chronique Quiz associée.

ecorce-pseudpano

Ecorce d’érable sycomore

BIBLIOGRAPHIE

  1. Dictionnaire culturel en langue française Le Robert
  2. Trees : their natural history. P. Thomas. Cambridge University Press. 2000
  3. Bark. In: Encyclopedia of Life Sciences (ELS). Lev-Yadun, Simcha. John Wiley & Sons, Ltd: Chichester. 2011
  4. An introduction to plant structure and development. Second edition. C. B. Beck. Cambridge University Press. 2010

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez les arbres et arbustes à fruits charnus
Page(s) : Guide des fruits sauvages : Fruits secs
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