30/10/2020 Chouette, hibou, chat-huant, hululer, … autant de mots que l’on aime à prononcer pour leur sonorité et qui nous évoquent immédiatement une foule d’images. Nous allons donc explorer ici, à la frontière entre littérature et science, les mots liés aux rapaces nocturnes tant ceux du langage courant que les noms latins scientifiques qui désignent leurs espèces : une bonne occasion de recroiser certaines de leurs particularités originales évoquées dans la chronique Chouettes et Hiboux et de parcourir la diversité de ce groupe représenté en France par neuf espèces sur les treize présentes en Europe et qui nous serviront d’exemples. 

Chouette/Hibou

En français scientifique et populaire, on distingue deux catégories bien tranchées, les chouettes et les hiboux, sur la base d’un caractère externe : la présence (hiboux) ou l’absence (chouettes) d’une paire d’aigrettes au sommet de la tête, deux touffes de plumes que l’oiseau peut dresser ou plaquer selon les circonstances. Ces plumes n’ont rien à voir avec les oreilles qui, elles, se situent au niveau du disque facial sur les côtés de la tête et ne sont pas visibles sans écarter les plumes. On rappelle que les oiseaux ont des oreilles sans pavillons comme nous les mammifères (voir la chronique sur l’ouïe des rapaces nocturnes). 

Grand-Duc d’Europe (Bubo bubo) : noter les aigrettes de plumes au sommet de la tête

Par contre, les scientifiques anglo-saxons ne font pas cette distinction et nomment owls aussi bien les hiboux que les chouettes ; ainsi la chouette hulotte se nomme tawny owl tout comme le hibou myen-duc, long-eared owl. Historiquement, ils ont du considérer que cette différence était trop ténue pour mériter un distinguo de nom ? Le cas du harfang des neiges (voir ci-dessous), ce grand rapace nocturne typique des régions arctiques, leur donne un peu raison et illustre bien la « porosité » entre ces deux catégories informelles. En effet, le harfang n’a pas d’aigrettes et à ce titre serait donc une chouette ; d’ailleurs, longtemps, on l’a appelé chouette harfang. Or, des études génétiques ont démontré que le harfang était un très proche parent du … grand-duc et devait être placé dans le même genre Bubo : autrement dit, la chouette harfang est un hibou grand-duc ! Tout ceci signifie que la distinction chouettes/hiboux est basée sur des apparences externes et ne traduit pas en tout cas une divergence en termes d’apparentement. 

Harfang des neiges (Bubo scandiacus)

Précisons aussi que contrairement à une croyance répandue chez les enfants, le hibou n’est pas le mâle de la chouette (confusion avec les sexes des noms) pas plus que le crapaud n’est le mâle de la grenouille ! 

Genre/Espèce

Toutes les espèces d’êtres vivants répertoriées par les scientifiques se voient attribuer un nom latin scientifique en deux parties (binominal) selon un code international de nomenclature : un nom de genre avec une majuscule et un nom d’espèce sans majuscule, les deux écrits en italique. Un genre regroupe une ou plusieurs espèces qui partagent des caractères de parenté et se trouvent plus apparentées entre elles qu’elles ne le sont avec les espèces classées dans d’autres genres voisins. Le tableau ci-joint dresse la liste des espèces européennes de rapaces nocturnes (sans les espèces accidentelles) avec le nom latin et le nom commun officiel qu’on leur attribue en français : on parle pour ce dernier de nom vernaculaire qui signifie « particulier à un pays » et dérive du latin vernaculus (indigène, domestique) lui-même issu de verna pour « esclave dans la maison ». Normalement ce type de nom ne prend pas de majuscule, mais on peut quand même en mettre une pour parler non pas des individus mais de l’espèce, du genre, de la famille, de l’ordre, etc.

Avant les années 1990, on accolait le nom chouette à toutes les espèces relevant de cette « catégorie » et de même pour les hiboux, quelque soit leur genre. Ainsi on parlait de la chouette de Tengmalm, de la chouette chevêchette, du hibou petit-duc et du hibou grand-duc. Depuis les années 1990, des commissions officielles ont normalisé les noms vernaculaires des oiseaux de France et cherché le plus possible à attribuer des noms différents aux différents genres en créant de « nouveaux » noms, souvent ressuscités d’écrits scientifiques passés. Ainsi pour les chouettes, on réserve ce mot aux seules espèces du genre Strix (comme la chouette hulotte) et pour les autres genres, on parle de Nyctale (Aegolius), Chevêchette (Glaucidium), Effraie (Tyto) ou Epervière (Surnia). Voilà pourquoi on ne parle plus (officiellement !) par exemple de la Chouette effraie mais de l’Effraie des clochers. Idem pour les hiboux où le terme est associé au seul genre Asio et où on parle de Petit-Duc (Otus) et de Grand-duc (Bubo). On signifie ainsi qu’elles ont entre genres des différences suffisantes pour en faire des entités portant des noms différents. 

Peut-être avez-vous repéré, si vous avez suivi ( !), une exception à cette règle : le Harfang des neiges (voir ci-dessus) qui, logiquement vu son nom latin, devrait s’appeler Grand-duc des neiges ? Il se trouve que cette espèce était classée jusqu’à peu dans un genre à part Nyctea sous le nom de N. scandiaca. Les apports de la génétique ont démontré qu’elle était en fait très apparentée aux grands-ducs (genre Bubo) d’où son « reclassement » en Bubo scandiacus. On a choisi de conserver son ancien nom vernaculaire pour des raisons d’usage. 

Chouettes

Sous sa forme actuelle, le mot chouette apparaît pour la première fois en 1546 dans le Tiers Livre de F. Rabelais (les Aventures de Pantagruel) : « Ma femme sera coincte et jolie comme une belle petite chouette ». Certains pensent d’ailleurs que son utilisation au sens secondaire (comme adjectif) attesté depuis 1825 viendrait de ce texte où une belle jeune femme se métamorphose en chouette. L’histoire du mot chouette s’enracine au 11èmesiècle avec le vieux français cuete ou suete sans doute une onomatopée ; ensuite, on trouve chouate puis chüetteavant d’arriver à notre chouette.

Les chouettes au sens strict relèvent donc du seul genre Strix, nom qui a donné par ailleurs le mot strige ou stryge qui désignait dans les mythologies antiques un monstre fabuleux avec une tête de femme (évidemment !), un corps d’oiseau et des serres de rapaces, censée sucer le sang des nouveau-nés ! Par la suite, on a étendu ce sens aux sorciers (ères) supposés s’adonner au vampirisme nocturne. Ainsi, on retrouve ici tout le versant maléfique, oiseau de mauvais augure, attaché aux chouettes en général et qui leur a valu moult persécutions dont celle d’être clouées vivantes sur les portes de granges ! Cette association s’enracine à la fois dans leurs mœurs nocturnes, leurs cris et leur aspect un peu humain (voir la chronique Chouettes et Hiboux). 

Parmi les espèces de ce genre Strix, la chouette de l’Oural mérite bien son qualificatif d’uralensis (de l’Oural) qui traduit la répartition orientale en Europe de cette grande espèce en forte expansion. Quant à la chouette lapone, le qualificatif de nebulosa signifie nuageux, brumeux et rend bien la coloration grise mouchetée de blanc et de noir de cette grande chouette nordique. 

Il reste notre chouette hulotte, sans doute la plus commune de nos chouettes et celle qui a probablement inspiré le plus de noms populaires via ses cris et son chant. 

Hou 

On devine facilement que hulotte dérive du verbe hululer ou ululer attesté depuis 1512 et emprunté au latin ululare, hurler (pour des chiens ou des loups) ; on rappelle qu’en latin la voyelle u se prononce ou ! Ce verbe contient l’idée de gémissements et de plaintes. En acoustique un son ululé a une fréquence qui varie autour d’une valeur moyenne ; il y a donc la notion de modulation. Mais il existe un autre verbe ancien méconnu et désuet introduit au 13ème siècle : hôler ; il concerne spécifiquement aux cris des hulottes ; ce verbe a du être emprunté au précédent sous la forme uller et, plus tard, appliqué aux hulottes, mot apparu plus tardivement (1530). 

La chouette hulotte (Strix aluco) : le chat-huant

Tous ces verbes se rapprochent aussi du verbe huer qui, à la fin du 12ème siècle, s’employait dans le sens de lancer un chien en chasse par des cris ou crier pour faire sortir le gibier. Localement, on connaît la hulotte sous le nom de huette. On en arrive ainsi à un autre mot populaire très connu : le chat-huant ; attesté depuis la fin du 14ème siècle, il apparaît vers 1265 sous la forme chahuan, altération de chat et huer puis de choan à la fin du 12ème, mots issus du bas latin cavannus (qui donne aussi localement chavan). Ici, la hulotte rejoint la grande histoire avec les Chouans, nom donné aux insurgés des bocages de l’Ouest qui avaient comme cri de ralliement le cri du chouan ! Un des chefs de cette insurrection antirépublicaine, Jean Cottereau, était surnommé Jean Chouan. Chat-huant aurait aussi donné indirectement chahuter, faire le chahut à partir d’un verbe populaire cahuer ou chauler pour huer. Cahuter se disait à propos des chiens criant de douleur ; dans le Centre de la France, chavouner ou se servir du chavon désignait l’emploi d’un appeau permettant d’imiter le chat-huant. On peut encore cité chahuanner pour poursuivre quelqu’un de cris. Quelle richesse ! Ajoutons que le nom d’espèce latin de la hulotte, aluco, dérive de ulucus pour « oiseau aux cris perçants » : encore une onomatopée évidente.

Enfin, signalons le verbe chuinter apparu en 1776 qui s’applique de manière plus générale aux chouettes dont la chevêche avec l’idée d’un son plaintif. 

Petites chouettes 

Chevêche d’Athéna (Athene noctua)

La plus connue est la chevêche, la « petite chouette » (little owl) des anglo-saxons. Chevêche apparaît sous cette forme en 1556 précédée des formes chevoiche ou chevesse. Selon les régions, on la connaît sous les appellations de chavoche (comme dans le Poitou ou en Sologne) ou de chevestre. Ce nom semble dériver de la même racine latine cavannus que pour chat-huant. Le nom latin de genre des chevêches Athene renvoie de manière transparente à la déesse grecque Athéna, la Minerve des Romains, étroitement associée à cette petite chouette qui vit souvent très près des hommes ; on la surnomme oiseau de Minerve et son portrait apparaît sur une de faces des les pièces d’Athènes à l’effigie d’Athéna sur une des faces.

Dans ce contexte, la chevêche symbolise la sagesse, la réflexion idée sans doute tirée de la capacité de ces oiseaux à rester perché bien droit de jour comme s ‘il réfléchissait au vu de la profondeur de son regard.

Evidemment noctua renvoie aux mœurs nocturnes même si cette espèce ne craint pas de montrer et même chasser en plein jour. La déesse Athéna était par ailleurs réputée (comme Homère le mentionne souvent dans l’Odyssée) pour l’acuité de son regard. 

Chevêchette d’Europe (Glaucidium passerinum)

Chevêchette est évidemment un diminutif de chevêche ; cette comparaison se retrouve dans le nom anglais de Pygmy owl. Le nom latin de genre, Glaucidium des chevêchettes dérive de l’adjectif grec glaux tiré de glaucos, bleu clair transparent, allusion au regard étincelant et vif de ces oiseaux, renforcé par le rebord frontal marqué. Le nom d’espèce passerinum fait allusion à la taille « minuscule » de la plus petite chouette d’Europe, avec 17cm de hauteur !  

Epervière boréale (Surnia ulula)

Les épervières, chouettes boréales, portent ce nom par allusion à la queue longue et barrée de noir comme celle des éperviers ; le nom latin Surnia serait inventé de toutes pièces donc sans sens véritable, une pratique répandue au 18ème chez les naturalistes ; ulula , le nom d’espèce, ne requiert aucune explication … sauf que cette chouette ne ulule pas mais pousse des cris ressemblant plus à des caquètements ! 

Nyctale de Tengmalm (Aegolius funereus)

Nyctale est la forme francisée de l’ancien nom latin Nyctala (littéralement endormie) et qui a été « exhumé » pour renommer donc la chouette de Tengmalm (voir le premier paragraphe) ; le nom latin de genre Aegoliusvient du grec aigölios pour oiseau de mauvais augure ; l’épithète funereus attachée à l’espèce européenne renforce si besoin était cette connotation lugubre ! Le nom français « de Tengmalm » renvoie à l’ornithologue et taxidermiste suédois P.G. Tengmalm (1754-1803). 

Effraie 

Effraie des clochers (Tyto alba)

Nous avons vu que désormais on parle d’Effraie au lieu de chouette effraie. On le connaît dès 1370 sous la forme effraigne, puis en 1533 effraye. En 1555, dans son Histoire de la nature des oyseaux, avec leurs descriptions et naïfs portraicts retirez du naturel P. Belon parle de fresaye, un mot apparemment tiré du latin presago pour présage. Ce nom fresaie est resté accolé aux chouettes en général un certain temps. Y a t’il eu une transformation par analogie avec effrayer ou orfraie qui désignait les aigles de mer ? La connotation d’effrayante attachée à l’effraie tient en partie à ses cris très spéciaux « d’écorché vif » associés à son dessous blanc qui dans l’obscurité et avec le vol silencieux donne une apparence fantomatique. Pour les anglais, elle est « la chouette des granges » (barn owl) alors que nous l’associons aux clochers, effectivement très exploités comme sites de reproduction par cette chouette … tant qu’on n’en condamne pas l’accès par la pose de grillages ! Elle nichait aussi beaucoup dans les granges mais cet habitat se fait de plus en plus rare car elle a besoin d’une grande tranquillité. 

L’Effraie sert souvent d’emblème pour l’ensemble des chouettes ; noter les jeunes moyen-ducs sur l’arbre à droite (Parc Livradois forez)

Le nom latin de genre Tyto viendrait d’un mot grec Tüto signifiant chouette de nuit ; l’épithète spécifique de albapour blanc traduit bien le dessous très blanc de cette espèce souvent surnommée la Dame blanche. 

Noms de hiboux 

Hibou dérive lui aussi d’onomatopées  et apparaît au 16ème siècle sous les formes hybou ou huiboust. Les grands-ducs, grands prédateurs, ont l’habitude de se tenir immobiles de jour dans un lieu reculé pas spécialement pour éviter la lumière mais surtout pour échapper au harcèlement des passereaux en profitant de leur plumage très mimétique. Ainsi sont nées ces images de « vieux hibou », de « mine de hibou », ou l’expression « être un vrai hibou ». En fait, ces oiseaux ne sont pas particulièrement solitaires et vivent souvent en couples restant unis toute l’année. 

Couronne ducale

L’appellation de duc déclinée selon la taille (Petit-duc, Moyen-duc, Grand-duc) provient d’une comparaison des aigrettes avec une couronne ducale. 

Petit-Duc Scops (Otus scops)

Otus, nom de genre des petits-ducs dérive de otis, oreille (voir otite ou oto-rhino) et signifie donc « chouette à oreilles » soit hibou. Scops vient du grec sköps, pour petit hibou dérivé de regarder avec attention (voir télescope) ; le petit-duc scops est répandu dans le bassin méditerranéen et bien connu des populations locales pour son chant flûté. 

Asio désigne donc les hiboux au sens strict et a été emprunté à Pline pour désigner une « chouette cornue » avec des aigrettes de plumes. Otus dans le nom d’espèce du hibou moyen-duc reprend le nom de genre des petits-ducs (voir ci-dessus). Flammeus pour le hibou des marais renvoie à la couleur fauve chamois qui marque une partie des ailes. En français, on le nommait souvent le brachyote ce qui signifie « oreilles courtes », repris dans le nom anglais de short-eared owl

Bubo, nom de genre des grands-ducs, est une très belle onomatopée qui transcrit bien le chant profond et impressionnant, sur deux notes, de ce gros rapace nocturne: il faut se rappeler que l’on doit prononcer « boubo » ; on le retrouve dans le nom espagnol de bùho.

Le harfang tire son nom d’un mot suédois signifiant « mangeur de lièvres », sous-entendu des lièvres variables, même s’il consomme avant tout des lemmings. Le nom d’espèce scandiacus signifie « de Scandinavie » : le harfang est présent effectivement dans l’arctique scandinave en petit nombre mais possède en fait une très vaste répartition couvrant toutes les régions arctiques de l’Hémisphère nord : il aurait donc plus mérité le nom de Bubo arcticus ! Mais cette épithète de scandiacus a été attribuée par Linné en 1758, naturaliste … suédois : ceci explique cela ! 

Bibliographie 

Helm dictionnary of scientific bird names. J. A. Jobling. Bloomsbury Ed. 2011

Dictionnaire culturel en langue française Le Robert. A. Rey.  2005

Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales