Alauda arvensis

Bande d’alouettes des champs en vol en hiver au-dessus d’une jachère

13/08/2021 Outre les plantes cultivées, les terres agricoles hébergent de nombreuses espèces de plantes sauvages, plus ou moins spécialisées pour survivre dans ces milieux soumis sans cesse à de violentes perturbations. Pour les scientifiques, ce sont les adventices des cultures ; ce mot, utilisé par ailleurs comme adjectif, signifie « qui ne fait pas naturellement partie de la chose » et traduit bien l’image générale de ces plantes qui n’auraient pas leur place ici en quelque sorte. Pour le grand public et les premiers concernés, les agriculteurs, ce sont les « mauvaises herbes », terme encore plus virulent dans le refus d’existence accolé sur cette flore. Outre leur existence en tant que telles et donc comme une part de la biodiversité végétale qui a évolué au cours des temps pour s’adapter aux environnements humains, ces plantes fournissent divers services écosystémiques (voir la chronique sur ce sujet) et notamment envers le reste la biodiversité animale associée aux cultures. On a mis en évidence récemment leur importance comme ressource florale pour les pollinisateurs sauvages (dont les abeilles solitaires) qui participent à la reproduction des plantes cultivées. Mais, on oublie souvent qu’elles produisent des graines, souvent en très grandes quantités et que celles-ci servent de nourriture essentielle pour toute une faune des terres agricoles et notamment en hiver, période difficile à passer par nature. Nous avons ainsi déjà évoqué la prédation active de certains carabes mangeurs de graines qui au passage servent d’agents de régulation de leur abondance (voir la chronique) ; mais il y a aussi les petits rongeurs et un certain nombre d’oiseaux granivores (au moins en hiver) dont l’alouette des champs, icône des terres céréalières. 

L’hiver, les alouettes des champs se regroupent en bandes de centaines d’oiseaux

Marqueur paysager  

Alouette des champs en vol en plein chant nuptial

La majorité des populations nicheuses d’alouettes des champs se trouve dans des milieux agricoles dont les champs de céréales ; là, elle retrouve les conditions originelles des milieux herbacés très ouverts où elle vit : des espaces très ouverts, dégagés ; un accès facile au sol pour se nourrir ; peu ou pas d’arbres ou de buissons qui sont autant d’abris pour les prédateurs ailés ou terrestres car elle niche au sol et s’expose beaucoup en vol. Son chant territorial très spectaculaire constitue une référence culturelle sonore des paysages agricoles ouverts comme les grandes plaines céréalières : pendant de longues minutes, le mâle chanteur monte à la verticale puis tourne haut dans le ciel, décrivant des orbes avec des battements lents des ailes, tout en délivrant son chant puissant, très varié et sonore. Ce n’est pas un hasard si l’alouette des champs figure en bonne place comme élément clé du folklore culturel rural jusque dans les chansons (voir Alouette de Gilles Dreux). 

Elle a longtemps été l’espèce d’oiseau la plus abondante dans ces milieux agricoles ; mais depuis environ une quarantaine d’années, on constate un déclin continu et qui va en s’accélérant. En France, le programme STOC de Vigie Nature qui suit l’évolution des populations d’oiseaux nicheurs en France la classe comme l’une des trois espèces des milieux agricoles les plus affectées par un déclin lent et régulier évalué à 35% entre 2000 et 2018 ; à l’échelle européenne, on évalue à 54% la réduction globale des populations nicheuses entre 1980 et 2016. De nombreuses études ont démontré la baisse significative du succès de la reproduction liée à l’intensification de l’agriculture : les champs cultivés abritent de moins en moins d’alouettes qui produisent de moins en moins de jeunes à l’envol chaque année. Elles y trouvent notamment de moins en moins de nourriture animale (insectes) pour nourrir leurs nichées. 

Les terres agricoles françaises de la grande moitié Ouest du pays constituent par ailleurs des sites majeurs pour l’hivernage des populations nicheuses mais aussi pour le transit et le séjour de populations migratrices à grande échelle venues de toute la moitié nord de l’Europe. Et en automne et en hiver, leur régime mixte et surtout insectivore à la belle saison devient essentiellement végétarien avec les graines comme ressource clé compte tenu de leur potentiel énergétique : les plantes stockent de riches réserves nutritives dans leurs graines pour assurer leur descendance en supportant les rigueurs hivernales et en nourrissant la jeune plantule au moment de la germination. 

Les éteules ou chaumes de céréales avec leurs adventices sont le milieu préféré des alouettes en automne-hiver.

Gésiers garnis 

Une étude approfondie a été conduite dans le grand Ouest entre 1999 et 2011 dans deux grands secteurs de plaines agricoles avec des grandes cultures (maïs, céréales, colza, tournesol et aussi des prairies) : le Centre-Ouest (Charente-Maritime et Deux-Sèvres) et le Sud-Ouest (Tarn-et-Garonne). Elle s’appuie sur la collecte des gésiers d’alouettes tuées à la chasse en plein hiver. Eh oui, cette pratique perdure toujours au nom des chasses traditionnelles avec l’usage de pantes et de matoles. Mais qu’on ne s’y trompe pas : son but n’est certainement pas de participer ni aux progrès de la science ni à la protection des alouettes !

Les alouettes avalent les graines sans les débarrasser de leur enveloppe externe éventuelle (leur bec ne leur permet pas) et les stockent dans leur gésier où elles vont subir un certain broyage via des contractions avant de poursuivre le transit dans l’intestin. Sur 123 oiseaux récoltés, 3626 graines ont ainsi été récupérées (en moyenne 30/gésier) et identifiées soit au niveau de l’espèce ou du genre selon les cas. Par contre, les autres éléments végétaux (feuilles, tiges) ou petits animaux (insectes, araignées) éventuellement présents n’ont été pris en compte ni identifiés. En parallèle, 17 oiseaux (des mâles et des femelles) ont été capturés en automne et nourris en cage pour connaître leurs besoins journaliers avant d’être relâchés ; par ailleurs, un suivi régulier de nombreuses parcelles cultivées au printemps a permis d’évaluer les stocks de graines présents à la surface et dans le sol (banque de graines) et la nature des espèces représentées. 

Ce protocole a pour avantages de permettre de comparer deux sites différents, les mâles et les femelles et sur une période de dix ans afin de voir si des tendances se dessinent sur ce laps de temps. Par contre, le fait d’évaluer les banques de graines au printemps et sur des parcelles différentes de celles où les alouettes se trouvaient au moment où elles ont été tuées a pu introduire des biais dans l’analyse des données, notamment sur la question de savoir si les alouettes sélectionnent ou pas les espèces de graines qu’elles consomment. D’autre part, de fortes fluctuations peuvent affecter les communautés d’adventices des cultures d’une année sur l’autre et d’une région à l’autre ce qui introduit un autre biais éventuel. 

Pas de blé ! 

Contrairement à une idée reçue et aux résultats obtenus dans les années 1980 en Grande-Bretagne, les alouettes des champs des deux régions ne consomment pas du tout de grains de blé : aucun d’eux n’a été retrouvé dans aucun des gésiers analysés ! Si on ne prend en compte que les graines, elles proviennent toutes de plantes adventices des cultures ; en moyenne on a trouvé dans chaque gésier des graines de trois espèces différentes. 

Comment expliquer cette absence de grains de céréales pourtant très nutritifs et dont on sait par ailleurs que les alouettes peuvent les consommer ? De plus, sur le territoire étudié il y avait bien des chaumes de céréales et les chasseurs se concentrent sur ce genre de milieux car ils savent qu’ils réunissent des groupes importants d’alouettes. Une étude conduite aux Pays-Bas à partir de l’analyse de pelotes fécales d’alouettes des champs hivernantes soit dans des chaumes de céréales, de pommes de terre ou de maïs ou bien dans des prairies permanentes apporte des informations complémentaires ; les chercheurs ont par contre ici pris en compte non seulement les graines mais aussi les autres éléments ingérés comme les feuilles et les petits invertébrés. Cette étude conduite à partir de l’automne révèle qu’en octobre novembre, les alouettes consomment de manière dominante des grains de blé (quand il y en a) mais que à partir de fin novembre, la part de ces grains chute drastiquement : dans les chaumes de céréales, leur part passe de 60% début novembre à 20% en décembre et 10% en janvier-février. Ceci indique clairement une raréfaction continue des grains de céréales allant jusqu’à leur quasi disparition en plein hiver. Plusieurs hypothèses (non exclusives) permettent d’expliquer cette évolution : une amélioration forte de l’efficacité des moissonneuses qui lissent peu ou pas de grains derrière elles ; la prédation automnale exercée par d’autres oiseaux des milieux agricoles (moineaux, bruants, perdrix, …) ou les carabes (voir la chronique) ou les petits rongeurs qui stockent des réserves en vue de l’hiver ; la percolation des grains dans le sol sous l’effet des pluies et du gel ; la germination en plein hiver des grains surtout avec le réchauffement climatique ; … Quelles que soit les bonnes hypothèses, le résultat semble être là : plus de blé et les alouettes doivent alors se rabattre sur l’exploitation des graines d’adventices qui deviennent ainsi une ressource clé au cœur de l’hiver, période critique pour la survie. 

Eteule de colza avec de fortes populations de chénopode blanc et donc des centaines de milliers de graines potentielles

Plateau garni 

Pas moins de 37 espèces différentes d’adventices ont été identifiées sous forme de graines dans les gésiers récoltés avec une majorité de dicotylédones et seulement trois espèces de graminées (la famille des céréales) avec les sétaires verte et naine et le panic pied-de-coq. Les graines des espèces les plus fréquentent contribuent le plus en termes de biomasse de graines ingérées. Trois espèces dominaient nettement lors de l’étude : le chénopode blanc, la renouée liseron et la renouée des oiseaux ; ces annuelles (comme la majorité des graines consommées) produisent des quantités considérables de graines en fin d’été et en automne avec jusqu’à des dizaines de milliers de graines produites par pied pour certaines !

Pour autant, on constate que certaines espèces apportent une contribution bien plus importante au régime des alouettes que ne laisse entrevoir leur abondance sur le terrain. Ainsi dans le Centre-Ouest (voir ci-dessus), quatre espèces consommées étaient peu nombreuses ou absentes dans les gésiers collectés dans le sud-Ouest : la renouée liseron, les petits géraniums annuels, la renouée des oiseaux et l’héliotrope d’Europe ; inversement, dans le sud-ouest, les persicaires, le panic pied-de-coq, le sorgho d’Alep et le datura stramoine étaient bien représentés et quasi absent dans le centre-Ouest.

Le liseron des champs était présent dans 60% des parcelles inventoriées et pourtant on ne retrouve ses graines dans aucun gésier : peut-être est-ce lié au faible nombre de graines produites (50/pied) ou à une germination rapide dès l’automne ? De même, la mercuriale annuelle présente dans 56% des relevés ne participe qu’à hauteur de … 2% au contenu en graines des gésiers. Inversement, l’héliotrope, non recensé au printemps, apparaît dans les gésiers ! Tout ceci peut aussi laisser penser que les alouettes, en dépit d’un caractère globalement généraliste, choisiraient peut-être sélectivement certaines graines. 

La majorité des graines consommées ont une taille inférieure à 3mm et un poids de moins de 3 mg ; il se peut que la taille des graines soit un signal fort pour choisir ce qui potentiellement va apporter aux alouettes le plus d’énergie avec le moins de dépenses possibles pour la récolte. Les estimations réalisées à partir des alouettes nourries en captivité donnent une moyenne de 8 grammes de graines consommées par jour soit 4200 à 5600 graines/jour/alouette. Les alouettes, comme les carabes prédateurs, participent donc à la diminution de la banque de graines des adventices des sols cultivés rendant ainsi un service naturel (écosystémique) aux agriculteurs. 

Disette ?

Eteule de céréale en hiver : une image devenue très rare

L’étude néerlandaise citée ci-dessus apporte des éléments sur les autres ressources consommées que les graines. Ainsi, la consommation de feuilles augmente nettement en janvier-février pouvant représenter jusqu’à 50% du régime : à la fois sans doute parce que les graines se raréfient (même les adventices) et parce que les germinations commencent dès les phases douces en hiver. On ne sait pas l’importance qualitative de cet apport sur la santé, la survie et la capacité de reproduction des alouettes. Dans 73% des pelotes analysées, on a trouvé en petit nombre (3% du contenu) des restes de coléoptères et des araignées ; leur importance dépend de la température : plus il fait doux, plus ils sont actifs. 

Cette étude montre que les parcelles optimales couvrent une surface supérieure à 4,3 hectares avec autour d’elles des bordures à végétation basse sans arbres ou arbustes. Les troupes d’alouettes sont soumises à une forte pression de prédateur de la part de rapaces (dont les éperviers et les faucons émerillons hivernants) et disposer d’une forte visibilité devient crucial en hiver. Par ailleurs, la densité des graines disponibles sur le sol diffère selon les cultures : dans l’ordre décroissant, les mieux pourvues sont les chaumes de céréales, ceux de pommes de terre, puis les prairies et enfin les maïs. Un seuil minimal de 860 graines/m2 semble nécessaire pour que les alouettes trouvent de quoi s’alimenter correctement : or, la moitié des chaumes de maïs et des prairies avaient des réserves de graines en dessous de ce seuil : le temps de recherche augmente et très vite les oiseaux abandonnent ces milieux. Pour les prairies s’ajoute l’effet dissuasif d’une végétation haute et dense non compatible avec la recherche de graines au sol ; seulement en cas de pâturage créant des zones rases, les prairies deviennent exploitables. 

Finalement au vu de ces résultats, on peut avancer certaines mesures en faveur des alouettes pour leur survie en hiver : conserver un certain nombre de chaumes de céréales pendant tout l’hiver au lieu de les labourer immédiatement après la moisson pour faire des céréales d’hiver ; minimiser l’usage des herbicides à large spectre qui élimine le plus grand nombre d’espèce d’adventices ; repenser la généralisation des cultures intermédiaires (engrais vert) sur l’emplacement des chaumes, mesure « écologique » pour limiter le départ des nitrates vers les nappes d’eau : cette végétation haute et dense ne convient pas du tout aux alouettes ; pâturage des prairies en automne ; équilibrer les différentes cultures pour diminuer l’importance croissante et hégémonique du maïs très défavorable. Ces mesures accompagnées d’aides financières compensatoires seront seules capables d’enrayer l’irrésistible déclin du symbole de la Gaule et des cultures, l’alouette des champs ; quelle signification auront des plaines céréalières sans plus aucun chant d’alouettes, sans oublier toutes les autres espèces qui partagent les mêmes exigences qu’elle ! 

Culture intermédiaire en automne (radis, avoine, ..) semée pour retenir les nitrates : inexploitable par les alouettes

Bibliographie

Weed seeds, not grain, contribute to the diet of wintering skylarks in arable farmlands of Western France. Cyril Eraud & Emilie Cadet & Thibaut Powolny & Sabrina Gaba & François Bretagnolle & Vincent Bretagnolle Eur J Wildl Res (2015) 61:151–161 

Habitat use and diet of Skylarks (Alauda arvensis) wintering in an intensive agricultural landscape of the Netherlands. Flavia Geiger • Arne Hegemann • Maurits Gleichman • Heiner Flinks • Geert R. de Snoo • Sebastian Prinz • B. Irene Tieleman • Frank Berendse J Ornithol (2014) 155:507–518 

Page alouette des champs de Vigie Nature