impatiens

Un certain nombre de plantes à fleurs dispersent leurs graines par une méthode originale : l’ouverture explosive de leurs fruits qui projettent les graines au loin ; c’est le principe de l’autochorie ou dispersion des graines par soi-même sans recourir à aucun agent extérieur (vent, eau ou animal). Nous avons déjà présenté deux exemples frappants : les gousses sèches explosives du genêt à balais et les capsules à deux valves de la chélidoine. Mais chez les balsamines ou impatientes, ce mode de dispersion s’est considérablement perfectionné ; la grande balsamine de l’Himalaya, espèce invasive notoire le long de nos cours d’eau, a ainsi fait l’objet d’études mécaniques pointues pour révéler les secrets de l’efficacité de ses fruits explosifs (1).

Prolifique

La fleur nettement irrégulière de la balsamine de l’Himalaya rappelle superficiellement celle d’une orchidée ; noter le court éperon courbé verdâtre tout au bout de la fleur

La floraison de la balsamine de l’Himalaya s’étale de juillet à octobre (jusqu’aux premières gelées) et attire divers pollinisateurs dont des diptères (syrphes) et surtout abeilles domestiques et bourdons. Ces insectes doivent pénétrer au cœur de ces fleurs irrégulières (faisant penser à des orchidées !) pour atteindre le nectar accumulé dans un éperon recourbé au bout de la fleur, émanant du calice coloré. La structure en tunnel étroit à large entrée de ces fleurs assure une pollinisation très efficace : tout visiteur qui entre dans la fleur collecte forcément du pollen et va le disperser lors de sa visite suivante. De plus, le mode de vie en colonies opulentes de cette balsamine attire de nombreux visiteurs avec sa floraison estivale.

Comme elle est capable d’autopollinisation, pratiquement toutes les fleurs deviennent des fruits ! Un pied de balsamine de l’Himalaya bien développé (pouvant atteindre 2,50m de haut alors qu’il s’agit d’une annuelle) peut ainsi produire ainsi de 500 à 5000 graines à raison de 5 à 10 graines par fruit !

Profusion de fruits !

Les fleurs fécondées cèdent place à des fruits verts teintés de rouge, des capsules un peu charnues plus ou moins pendantes, allongées (2-3cm), en forme de massue resserrée dans sa partie supérieure. Cinq lignes saillantes délimitent cinq valves allongées : le long de celles-ci, on devine une bande plus claire qui correspond à une « couture » qui unit entre elles deux valves adjacentes. A l’intérieur, il y a une sorte d’axe central, la columelle.

Explosive

Se déplacer au milieu d’un massif de balsamines de l’Himalaya portant des fruits arrivés à maturité donne lieu à des sensations bizarres : de discrets crépitements et l’impression que de mystérieux projectiles très légers se projettent sur vous ! Pour comprendre, il suffit de s’arrêter et de pincer juste la pointe d’une capsule pour assister au spectacle de son explosion ! En effet, au moindre contact, les capsules mûres éclatent en quelques millisecondes : les cinq valves s’enroulent sur elles-mêmes vers l’intérieur à partir de leur base tandis que les graines se trouvent projetées au « loin », i.e. quelques mètres (au maximum 5m) comme par une catapulte ! On parle de fruit à déhiscence (ouverture) explosive.

Les cellules des valves concentrent pendant leur maturation des solutés sucrés qui font augmenter la pression osmotique interne (jusqu’à 25 fois la pression atmosphérique externe) ; les valves se trouvent ainsi sous tension, chargées en énergie élastique. Leur structure renforce cet effet : l’intérieur est charnu tandis que les couches externes sont durcies. Elles résistent à la déchirure grâce à leur forme : leur épaisseur diminue du bas vers le haut et elles se resserrent au sommet (forme de massue en poire).

Economies d’énergie

Pour libérer cette énergie sous tension, les valves doivent se déchirer les plus rapidement possible sans trop absorber d’énergie pour cette rupture de manière à conserver un maximum d’énergie cinétique capable de propulser les graines. C’est là qu’interviennent les coutures entre valves faites d’une membrane plus fine. Bien en amont de l’explosion, des fissures ont commencé à se propager du haut vers le bas de chaque couture si bien que les valves ne tiennent plus entre elles que sur 30% de la longueur des coutures : juste ce qu’il faut pour les maintenir ensemble … dans l’attente d’un choc comme le passage d’un promeneur ! Un peu à la manière des pointillés qui fragilisent l’ouverture d’un sachet prédécoupé. Ce processus ne diminue que très peu l’énergie accumulée dans la capsule.

Lors d’un contact, une seule couture (sans doute celle qui est la plus fissurée des cinq) se déchire brutalement en 250 microsecondes : sa rupture ne va entamer que très peu le potentiel d’énergie accumulée. Le couplage des valves entre elles entre alors en action : la rupture libère les deux valves de part et d’autre qui se commencent à se détendre et à s’écarter l’une de l’autre ce qui déclenche en cascade la rupture des coutures voisines avec les autres valves qui se détendent et s’enroulent. La libération brutale de la tension des valves projette les graines au loin, profitant du maximum de l’énergie cinétique ainsi libérée.

Selon les cas, les valves tombent toutes à terre au moment de l’explosion ou bien une partie d’entre elles peut rester accrochée ; de même quelques graines peuvent rester sur ces valves enroulées non tombées.

Nettement supérieure

L’impatiente du Cap (I. capensis) est une une autre espèce fortement invasive sur laquelle on a aussi étudié ce mécanisme balistique (2). Or, chez cette espèce, la projection des graines semble bien moins efficace : elles vont moins loin et surtout le rendement énergétique du processus est très faible. La différence pourrait s’expliquer par la forme des valves de ses capsules : leur épaisseur est uniforme et non progressivement amincie vers le haut comme la balsamine de l’Himalaya. De ce fait, les coutures qui séparent les valves ne peuvent être fissurées en amont car sinon les capsules exploseraient tout de suite. La balsamine du Cap doit donc briser entièrement une couture complète pour enclencher le processus explosif ce qui obère sérieusement son capital d’énergie accumulée !

Faut-il relier cette moindre performance avec le caractère moins invasif de cette espèce et en conclure que les quelques mètres gagnés par la balsamine de l’Himalaya lors des « tirs au but » suffisent à expliquer son potentiel d’expansion remarquable ? Pas si sûr car la projection des graines par explosion constitue une forme de dispersion à courte distance qui impacte sur la colonisation immédiate du milieu colonisé ; mais il existe d’autres formes de dispersion à longue distance cette fois qui interviennent et feront l’objet d’une autre chronique.

Ne-me-touchez-pas

Balsamine des bois ou ne-me-touchez-pas en fleurs ; la seule espèce indigène de notre flore !

Evidemment de tels fruits explosifs et très sensibles au moindre toucher n’ont pas manqué d’attirer l’attention de nos aïeux. Ainsi le nom bien connu des horticulteurs d’impatiente remonte à Linné (1795) (Impatiens en latin) ; on voit parfois ce mot orthographié en impatience mais ce serait une déformation abusive. Avant l’arrivée relativement récente des balsamines exotiques soit comme décoratives, soit comme plantes invasives (voir ci-dessus), la seule référence populaire disponible était la balsamine des bois, espèce indigène aux fleurs jaune vif., hôte assez rare des forêts humides et ombragées. Elle était connue sous le joli nom très évocateur de ne-me-touchez-pas avec son équivalent anglo-saxon de touch-me-not ; ce surnom a été repris dans l’épithète latine de son nom d’espèce Impatiens nolitangere.

Le grand-père de Charles Darwin, Erasmus Darwin (1731-1802), botaniste poète et libre-penseur a ainsi décrit ces fruits de manière très évocatrice et dramatisée (3) (traduction personnelle qui n’est pas à la hauteur de la qualité de la prose initiale) :

Avec un œil féroce et sauvage se tient l’impatiente

Qui gonfle ses joues pâles et brandit ses mains

Et jette violemment ses enfants de ses bras frénétiques

Son nom et ses fruits ont suscité une croyance populaire : une décoction de cette plante devait calmer les frayeurs à cause de la surprise créée par l’éclatement de ses fruits ; bel exemple de l’application de la théorie des signatures mais, ici, à mauvais escient car la balsamine des bois semble n’avoir aucune propriété médicinale.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Finessing the fracture energy barrier in ballistic seed dispersal. Robert D. Deegan. www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1119737109
  2. The mechanics of explosive seed dispersal in orange jewelweed (Impatiens capensis). Marika Hayashi, Kara L. Feilich and David J. Ellerby Journal of Experimental Botany, Vol. 60, No. 7, pp. 2045–2053, 2009
  3. FLORA BRITANNICA.R. Mabey. Chatto et Windus Ed. 1997

A retrouver dans nos ouvrages

Découvrez la balsamine de l'Himalaya
Page(s) : 288-89 L’indispensable guide de l’amoureux des fleurs sauvages
Découvrez les balsamines horticoles
Page(s) : 237-241 Guide des Fleurs du Jardin