Cornus sanguinea

Floraison du cornouiller sanguin en fin de printemps : une profusion de milliers de fleurs

Chez nombre d’arbres et arbustes sauvages à petits fruits charnus, on observe qu’il y a souvent un fort décalage entre la profusion de fleurs et la production de fruits issus de la fécondation de celles-ci ; la promesse semble toujours bien plus belle que le résultat final. Ces plantes semblent donc fabriquer beaucoup plus de fleurs qu’elles n’en utilisent réellement au final. Diverses hypothèses ont été émises sur ce rôle de ces fleurs en surplus. Pour comprendre les mécanismes de cette « bizarrerie », une équipe de chercheurs espagnols a pris comme cobaye le cornouiller sanguin (arbuste très répandu en France aussi) dans son milieu naturel et suivi sur plusieurs saisons sa floraison et sa fructification.

Trois mois plus tard : le nombre de fruits n’a rien à voir avec le nombre initial de fleurs

Feu d’artifice de couleurs

Le cornouiller sanguin connaît, pour le plaisir de nos yeux, deux épisodes flamboyants chaque année. En automne, son feuillage vire au rougeâtre au milieu de ses rameaux rouge sang bœuf et ses peuplements ensanglantent alors les coteaux secs qu’il colonise souvent en masse.

Au printemps, en mai-juin, de manière plus discrète, sa floraison blanc crème éclate sur le fond vert sombre du feuillage neuf.

Les fleurs en forme de petites étoiles à quatre pointes sont regroupées en inflorescences denses (jusqu’à une centaine de fleurs par inflorescence) ressemblant superficiellement de loin à des ombelles ; en fait, si on observe de profil par en dessous, on constate que les fleurs ne se trouvent pas sur des pédoncules égaux étalés comme chez les Ombellifères (voir la chronique sur cette famille) mais en paquets ramifiés formant des sous-unités les unes à côté des autres.

Dès la mi août, les fruits charnus verts et ronds apparaissent : petits (diamètre de 6 à 8mm), ils portent à leur sommet les restes du calice. Rapidement, ils virent au noir bleuté, finement ponctués de blanc. A l’intérieur, on trouve une pulpe verte amère et légèrement toxique renfermant un gros noyau rond à deux loges ; il s’agit donc au sens botanique d’une drupe. Ces fruits persistent une partie de l’hiver mais sont rapidement récoltés par les oiseaux avec les rouges-gorges, les étourneaux et les fauvettes à tête noire comme principaux consommateurs.

Donc, dès la fin de l’été, si on observe les ex-inflorescences porteuses de fruits, on remarque d’emblée le grand écart entre le nombre de fleurs initial et le nombre de fruits final. Encore faut-il vérifier cette impression au cas par cas, inflorescence par inflorescence, arbuste par arbuste et année après année : tel est le dur labeur qui attend les chercheurs !

Faible en fruits

L’étude (1), conduite dans le Nord-Est de l’Espagne, a concerné une population suivie pendant cinq ans et, en parallèle, quatre autres populations observées une année chacune pour contrôler la possibilité de variations interannuelles et inter-populations. Les résultats confirment pleinement l’impression de l’observateur : la production de fruits sur l’ensemble des populations étudiées et des années de suivi reste toujours inférieure à 25% par rapport au nombre de fleurs initial. Chaque inflorescence abrite en moyenne 46 fleurs et ne porte que 10 fruits toujours en moyenne. Il y a donc globalement au minimum les ¾ des fleurs qui « ne servent à rien » ou plutôt qui ne donnent pas de fruits, ce qui est plus prudent scientifiquement parlant. Il s’agit là d’une tendance observée chez nombre d’arbustes à fruits charnus comme chez le cerisier de Sainte-Lucie ou l’aubépine par exemple. Ce bas niveau de fructification doit être mis en perspective avec le coût énergétique de tels fruits charnus avec leur contenu en eau et en sucres et autres substances de réserve.

Une autre étude conduite dans le Midi de la France aboutissait à des résultats similaires : 23% des fleurs atteignent le stade de fruit immature et seulement 6% le stade de fruits mûrs. Le phénomène n’a donc rien de local ou régional mais s’inscrit dans une logique de pression de sélection.

Pertes nettes

Dans la population suivie sur cinq ans, la production de fruits a varié de 11 à 18% selon les années ; de même, pour les quatre populations suivies une année chacune, on obtient une fourchette allant de 8 à 22% : il y a donc des variations interannuelles sensibles. Pour un arbuste donné, la production de fruits varie très peu d’une inflorescence à l’autre : elle semble donc bien indépendante de la position des inflorescences sur l’arbuste et de leur période respective de floraison sur l’arbuste, ou d’un déficit de pollinisation : on sait que ces aspects ont de l’importance chez d’autres espèces avec notamment les inflorescences en position terminale qui peuvent avoir une fructification différente des latérales par exemple. Ces résultats écartent l’hypothèse dite de « l’attraction des pollinisateurs » qui stipule que les fleurs en surplus serviraient de signal publicitaire pour attirer plus de pollinisateurs.

Par contre, cette production de fruits par rapport au nombre de fleurs varie significativement d’un arbuste à un autre au sein d’une population ce qui suggère d’autres hypothèses. Dans l’étude espagnole, sur deux années, les pertes pendant la phase de floraison (du bouton floral à l’épanouissement des fleurs) varient entre 18 et 53% ; les causes de ces pertes restent avant tout externes à la plante : attaques d’herbivores (insectes qui mangent les boutons floraux par exemple) ou des aléas climatiques (gelées tardives dans le cadre montagneux de l’étude). Du point de vue de la plante, il s’agit donc de pertes imprévisibles et pouvant varier considérablement d’une année à l’autre. Pendant la phase de mise à fruit (de la fleur au fruit immature), les pertes varient de 32% à 41% et relèvent avant tout de facteurs internes (répartition des ressources par la plante). Globalement, seulement la moitié des fleurs produites entament la transformation en fruit et sur ce lot, seulement 25% atteindra le stade fruit mûr !

Chaque inflorescence en forme d’ombelle porte des dizaines de fleurs serrées

Assurance

Pour y voir plus clair, les chercheurs ont réalisé une expérimentation consistant à enlever sur des inflorescences des « paquets » de fleurs (des sous-unités : voir premier paragraphe) soit au stade bouton floral donc avant la pollinisation soit au stade fleurs fanées (après la pollinisation). Si on enlève au moins trois sous-unités avant la pollinisation, la production de fruits augmente sur le nombre de fleurs restantes ; par contre, si on les enlève après, la production de fruits baisse par rapport au nombre initial de fleurs. La plante semble donc redistribuer ses ressources vers plus de fruits si une partie significative des fleurs initiales disparaît.

Donc, le cornouiller sanguin correspond plutôt à l’hypothèse dite de « la réserve d’ovaires » : la plante produit un surplus de fleurs comme assurance en cas de pertes pendant la phase de floraison, période qui se trouve soumise à des aléas importants imprévisibles ; s’il n’y a pas de pertes initiales, alors la plante ne nourrit pas une partie des fruits immatures formés qui avortent. La plante joue donc sur le nombre de fruits avortés avec cette assurance tous risques, cette large réserve de fleurs au cas où … Si au cours de l’évolution un tel mécanisme coûteux (produire des fleurs en trop !) s’est maintenu, c’est que le risque de perdre des fleurs reste sans doute suffisamment élevé pour justifier le maintien de cette réserve importante. Il sera intéressant de voir si dans le futur, avec par exemple le réchauffement climatique et l’atténuation de l’aléa climatique « gelées tardives », cette réserve perdure avec autant d’ampleur ! Pour que ce système fonctionne, il faut aussi que les inflorescences fonctionnent en partie comme des unités semi-autonomes capables d’autoréguler leur devenir ce qui pose la question des mécanismes physiologiques sous-jacents ! Il semble enfin que cette « assurance fleurs » soit répandue chez divers arbustes à fruits charnus où la question du coût élevé de la production des fruits se pose de manière plus aigue.

BIBLIOGRAPHIE

  1. Fruit set, fruit reduction, and fruiting strategy in Cornus sanguinea (Cornaceae). J. Guttian et al. American Journal of Botany ; 83(6) : 744-748 ; 1996.

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le cornouiller sanguin
Page(s) : 176-177 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus
Retrouvez le cerisier de Sainte-Lucie
Page(s) : 132-33 Guide des fruits sauvages : Fruits charnus