Phoenicopterus/Podiceps

Les analyses génétiques, morphologiques (voir chronique) et les parasites  (voir chronique) attestent de la relation de groupes-frères entre les flamants et les grèbes, i.e. que les grèbes sont les plus proches parents actuels des flamants et qu’ils forment ensemble le groupe des Mirandornithes. Or, quoi de plus différent qu’un grèbe, oiseau prédateur de poissons ou de petits arthropodes qui plonge en se propulsant avec ses courtes pattes postérieures et un flamant, grand échassier aux pattes démesurées qui se nourrit avec filtrant la vase avec son bec coudé et « renversé » pour y récolter des micro-organismes ! Il faut se dire que les espèces actuelles ne sont que les « extrémités » (qui continuent d’évoluer) d’une longue histoire qui a commencé avec la divergence entre deux lignées à partir d’un ancêtre commun, celle des grèbes et celle des flamants ; cette histoire est jalonnée d’espèces disparues qui doivent raconter, mises en perspective, l’ensemble des transformations qui ont accompagné cette divergence extrême. Interrogeons donc le registre fossile disponible sur ces étapes passées tout en sachant que celui-ci est comme souvent très lacunaire et forcément incomplet !

Des flamants nageurs

Du côté des grèbes, les plus anciens fossiles connus datent du Miocène (vers – 20Ma) mais comme ils sont déjà très proches des grèbes actuels, ils n’apportent pas d’élément intéressant à la compréhension de cette histoire. Par contre, du côté des flamants, depuis près de 150 ans, on connaît un groupe d’oiseaux à « allure de flamants », les Palaelodidés, représentés par de nombreux restes fossiles datant du début de l’ère Tertiaire (entre – 65 et – 23Ma) retrouvés aussi bien en Eurasie, aux Amériques qu’en Australie ou en Nouvelle-Zélande (4). Ils possèdent un bec presque droit mais avec une mandibule inférieure assez haute qui indique la présence d’un appareil filtreur (des lamelles) comme chez les flamants actuels ; leur taille atteint celle d’un homme avec des pattes moyennes. Par ailleurs, les os des pattes présentent des caractères qui se rapprochent des grèbes : le tarso-métatarse, l’os terminal de la patte qui porte les doigts, est comprimé, ce qui indique une nage en se propulsant à l’aide des pattes. Se dessine donc un profil d’oiseau aquatique, à pattes moyennes, qui se nourrit en filtrant la vase avec un bec encore peu différencié mais qui se déplace en nageant ; pour autant ces « flamants nageurs » (surnom donné par les Anglo-saxons aux Palaelodidés) ne sont pas des oiseaux plongeurs comme les grèbes actuels car l’intérieur de humérus est creusé des cavités (il est pneumatisé) contrairement à ce que l’on observe chez les oiseaux plongeurs spécialisés. Il s’agit donc d’une sorte d’intermédiaire qui se situe sur la lignée des flamants mais qui a encore des caractères de l’ancêtre commun avec les grèbes. Ils devaient d’ailleurs se tenir dans une position différente de celle des flamants actuels compte tenu de leur colonne vertébrale différente.

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Reconstitution de Palaelodus, genre disparu de la lignée des Flamants

Il est intéressant de noter que les flamants actuels se nourrissent régulièrement en nageant comme le rapporte cet extrait de l’ouvrage (1) (p. 82-83) :

« La fouille par basculement : c’est le plus rare, mais lorsque la profondeur augmente et que le flamant n’a quasiment plus pied, il bascule en avant et plonge à la manière d’un cygne, maintenant la position par un battement des pattes à l’arrière. Cette technique est adaptée pour attraper par exemple des Ephydras ainsi que des proies présentes à la surface du fond des étangs. »

Les flamants conservent d’ailleurs dans leur anatomie des adaptations à cette locomotion par la nage avec notamment un fémur court avec une double articulation au niveau du bassin.

Un « flamant-grèbe » en Espagne

Une étude publiée en 2012 (2) par une équipe espagnole révèle une découverte stupéfiante par rapport à l’histoire des Mirandornithes : un nid fossile avec des restes osseux et des coquilles d’œufs. L’espèce provisoirement surnommée BAS (Bardenas Avian Specimen, Bardenas Reales étant la région du delta de l’Ebre où a été trouvé ce spécimen) présente des caractères osseux de type flamant ; la coquille des œufs, par sa structure cristalline microscopique typique, indique clairement une espèce de la lignée des flamants ; datée de – 20Ma, on peut le qualifier de paléo-flamant, se situant sans doute à la base de cette lignée. Mais la grande surprise vient du nid : plusieurs œufs de taille moyenne déposés sur un matelas de tiges feuillées récoltées (sans doute des tiges de légumineuses) flottant dans une eau très peu profonde et boueuse. Tout ceci pointe vers des caractères de type grèbe actuel ; les flamants actuels eux nichent sur un cône de boue construit dans l’eau peu profonde et ne pondent qu’un seul œuf plus grand.

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Nid flottant de grèbe huppé (avec un oeuf visible) accroché dans des saules inondés dans la queue d’un lac de barrage en Auvergne.

Autrement dit, on a là un oiseau fossile clairement « flamant » par ses caractères osseux et de la coquille des œufs mais « grèbe » par son nid et sa ponte. Ce qui conduit à supposer un scénario évolutif où le nid flottant avec plusieurs œufs était le caractère ancestral, conservé dans la lignée des grèbes et transformé plus tard (après BAS en tout cas) dans la lignée des flamants en nid de boue avec un seul œuf.

La reconstitution de l’environnement dans lequel évoluait ce BAS disparu correspond à une lagune peu profonde sous un climat chaud avec une eau moyennement salée. Il n’est pas sans rappeler la région des Punas dans les Andes avec des lacs salés où se côtoient actuellement des flamants (le flamant des Andes et le flamant de James du genre Phoenicoparrus) et …. plusieurs espèces de grèbes ! Ou quand le passé réapparaît dans le présent !

Un « presque flamant »

Si les « flamants nageurs » restent encore assez loin des flamants actuels, une découverte publiée très récemment d’un fossile en Auvergne (3) nous rapproche encore plus de ces derniers. Ce fossile baptisé Harrisonavis croizeti, daté de l’Oligo-Miocène (entre – 28 et – 13Ma) possède un bec qui portait de toute évidence un appareil filtreur mais qui était moins courbé que celui des flamants actuels avec une surface d’insertion des lamelles moindre et une articulation de la mandibule inférieure moins développée par rapport à celle requise pour ce mode alimentaire. Néanmoins, on a là un oiseau nettement « plus flamant » que les Palaelodidés plus anciens.

Toutes ces données permettent désormais de construire un arbre de parentés avec des jalons intermédiaires qui permettent de mieux comprendre comment on a pu avoir une telle divergence à partir d’un ancêtre commun nageur en eaux peu profondes par une répartition dans des milieux différents et évolution différenciée ; elles éclairent aussi les parentés à l’intérieur des flamants actuels qui placent en position basale (les plus anciens) les flamants des Andes (Phoenicoparrus) et en plus récents les flamants « roses » (Phoenicopterus) et flamant nain d’Afrique (Phoeniconaias).

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Arbre de parentés des Mirandornithes incluant les formes fossiles (F.) et avec les changements écologiques qui ont accompagné l’évolution du groupe. Modifié et simplifié d’après (2)

BIBLIOGRAPHIE

  1. Le flamant rose. Ambassadeur des milieux humides. A.S. Deville ; J.E. Roché. Ed. Museo. 2015. Un ouvrage remarquablement illustré et documenté sur le flamant rose camarguais.
  2. The First Occurrence in the Fossil Record of an Aquatic Avian Twig-Nest with Phoenicopteriformes Eggs: Evolutionary Implications. Gerald Grellet-Tinner, Xabier Murelaga, Juan C. Larrasoan , Luis F. Silveira, Maitane Olivares,Luis A. Ortega, Patrick W. Trimby, Ana Pascual. PLOS. October 2012 | Volume 7 | Issue 10
  3. New cranial material of the earliest filter feeding flamingo Harrisonavis croizeti (Aves, Phoenicopteridae) informs
 the evolution of the highly specialized filter feeding apparatus. Chris R. Torres & Vanesa L. De Pietri & Antoine Louchart & Marcel van Tuinen. Org Divers Evol
.
  4. The renaissance of avian paleontology and its bearing on the higher-level phylogeny of birds. Gerald Mayr J Ornithol (2007) 148 (Suppl 2)

A retrouver dans nos ouvrages

Retrouvez le flamant rose
Page(s) : 169 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez les grèbes
Page(s) : 103 à 106 Le Guide Des Oiseaux De France
Retrouvez les principes de la classification
Page(s) : 28 à 41 Comprendre et enseigner. La classification du vivant.