Cyanistes caeruleus

En Corse vit une sous-espèce de la mésange bleue dont une population forestière près de Calvi fait l’objet d’un suivi scientifique très approfondi depuis plus de 25 ans via l’installation de nichoirs volontiers adoptés par ces oiseaux cavernicoles (nichant dans des cavités). Or, on a découvert que les mésanges bleues de cette population incorporaient dans leurs nids des fragments de plantes aromatiques prélevés dans l’environnement local. On connaissait par ailleurs un comportement du même type par exemple chez les étourneaux sansonnets ou unicolores, cavernicoles eux aussi. L’attention des scientifiques s’est donc focalisée sur ce comportement spécifique local pour essayer d’en comprendre la fonction d’autant que, dans un contexte évolutif, il s’agit d’une forme de phénotype étendu, i.e. une expression des gènes des individus ayant des impacts au delà de l’animal lui-même (son corps, son fonctionnement : son phénotype) via des comportements dont l’usage de matériaux. D’où la question centrale de savoir ce que ce comportement apporte en termes de succès reproductif à l’espèce et sous quelles pressions de sélection se maintient-il ?

Mésange bleue (sous-espèce continentale)

Fragrances 

Nichée de mésanges charbonnières dans un nichoir : noter les matériaux utilisés pour la construction du nid. (Photo J Lombardy)

Chez les mésanges bleues, le nid est installé dans une cavité naturelle ou un nichoir artificiel et fait de divers matériaux empilés (surtout de la mousse, des brindilles, des herbes, et des poils ou plumes) formant une coupe. A partir de la fin de la construction du nid, quelques jours avant le début de la ponte des œufs, les femelles commencent à ajouter des fragments frais de plantes aromatiques dans la coupe du nid entre les autres matériaux. Elles vont continuer ainsi tous les jours jusqu’à l’envol des jeunes. On a détecté dans les nids une dizaine d’espèces de plantes aromatiques dont cinq se détachent nettement, présentes dans plus de 25% des nids suivis : l’achillée de Ligurie, la lavande papillon, l’immortelle d’Italie, la menthe à feuilles rondes et la pulicaire odorante. Toutes libèrent des substances volatiles très odorantes et certaines d’entre elles comme l’immortelle font l’objet de cultures pour l’extraction d’huiles essentielles très utilisées en aromathérapie. Ce comportement se retrouve ailleurs dans le bassin méditerranéen comme au Portugal où parmi les sept espèces de plantes utilisées figurent en tête l’inule visqueuse (voir la chronique sur cette plante), la lavande dentée et un calament local. 

L’analyse des émissions de substances volatiles sur des fragments frais montre qu’elles baissent très vite devenant nulles en 24 heures pour l’achillée ou moins vite chez la lavande papillon. Ceci explique sans doute le renouvellement quotidien de ces fragments ce qui suppose donc que les mésanges soient capables de percevoir ces variations d’environnement olfactif. 

Vrais nez 

En Corse,  alors que l’environnement local offre près de 200 espèces de plantes aromatiques sauvages (abondance typique dans le Midi), seulement une dizaine d’entre elles se retrouvent dans les nids : il y a donc clairement un choix délibéré de la part des mésanges. Parfois, les plantes incorporées dans les nids ne se trouvent pas dans l’environnement immédiat du site de nid ce qui suppose une recherche active. 

Au Portugal, les chercheurs ont quantifié l’abondance relative des plantes aromatiques dans l’environnement local et l’ont comparé avec les fréquences d’utilisation dans les nids. Le géranium herbe-à-Robert (voir la chronique sur cette plante), quatre fois plus abondant que toutes les autres espèces recensées n’a jamais été retrouvé dans les nids ; six autres espèces assez abondantes (comme le millepertuis perfolié, le fenouil ou le genévrier de Phénicie) ne sont que très peu présentes dans les nids ; par contre, deux espèces dominantes dans les nids (inule visqueuse et calament bétique) ont des niveaux d’abondance équivalents aux précédentes et une troisième, la lavande dentée est même absente de l’environnement immédiat !

Dans une série d’expériences en Corse, on a, dans une partie des nids suivis, enlevé tous les deux jours les fragments apportés par les oiseaux que l’on a remplacés par des feuilles fraîches (un gramme d’achillée et un gramme de lavande) placées sous le nid dans une cache invisible mais laissant diffuser les odeurs. Dans les autres nids, on enlève les fragments sans rien rajouter en dessous. On constate que les nids non rechargés artificiellement reçoivent bien plus de nouveaux fragments que ceux rechargés par en-dessous : preuve que les mésanges perçoivent, sans les voir, les fragments frais sous leur nid. 

Dans une autre série d’expériences, on ajoute à certains nids des fragments frais aromatiques d’une nature autre que ceux déjà déposés par les oiseaux alors que dans d’autres on n’ajoute qu’un peu de mousse, le matériau de base du nid non aromatique. L’observation du comportement des parents venant nourrir leurs poussins après ces interventions montre que mâles et femelles hésitent plus longtemps à l’entrée des nichoirs du premier type ; cette réponse n’est significative que lors de la première visite suivant la modification apportée. Donc, les mésanges bleues détectent avant même d’entrer dans la cavité du nid la présence de nouvelles plates aromatiques ! 

Ces expériences confirment l’usage de l’olfaction par les oiseaux dont les passereaux alors que pendant très longtemps on a cru que les oiseaux en général n’utilisaient que très peu leur odorat ; on sait maintenant que chez nombre d’entre eux, ce sens occupe une place majeure largement sous-estimée ! 

Pot-pourri 

Reste maintenant à élucider la question centrale de ce comportement : à quoi sert-il ? L’hypothèse qui vient immédiatement à l’esprit est celle « du médicament » ou de la protection de la nichée contre des agents infectieux ou parasites compte tenu du fait que les femelles ajoutent ces fragments de plantes pendant toute la durée d’élevage des jeunes.  Si l’on prend l’exemple portugais (voir ci-dessus), les trois plantes principales utilisées se caractérisent toutes par leur richesse en terpènes, des molécules carbonées produites par ces plantes comme métabolites secondaires. Ainsi, l’inule visqueuse renferme des sesquiterpènes et des monoterpènes agissant comme insecticides, bactéricides et fongicides ; des extraits et des huiles essentielles de calament bétique montrent des effets positifs contre les bactéries, les champignons pathogènes et les insectes qui s’attaquent aux grains stockés ; enfin, la lavande dentée dégage un puissant parfum provenant d’huiles riche en bêta-pinène, un composé chimique connu comme répulsif puissant envers les insectes. Par ailleurs, dans les nids portugais suivis, les mésanges incorporent lors de la construction des aiguilles de pin parasol dont on connaît aussi la richesse en terpènes dont 60% de limonène, un composé connu pour réduire les puces et les poux sur les animaux domestiques. 

Comme on trouve dans un nid donné au Portugal de une à cinq plantes différentes selon des combinaisons individuelles très variables, les ornithologues parlent de l’hypothèse du pot-pourri préparé par les mésanges. 

Anti-mouches ?

Très jeunes poussins de mésanges avec beaucoup de peau nue (photo J Lombardy)

Parmi les propriétés récurrentes de ces plantes citées ci-dessus revient celle de répulsive anti-insectes. Or, il se trouve que la population corse étudiée de mésanges bleues se caractérise par une très forte infestation des nichées par des asticots de lucilies bleues, des mouches de la famille des calliphoridés. Les mouches adultes visitent sans cesse les nids et pondent leurs œufs directement dans les matériaux des nids juste après l’éclosion des poussins. Les asticots qui éclosent se comportent en suceurs de sang (hématophages) sur les poussins à la peau encore largement nue ; ils se développent ainsi et après trois mues de croissance se transforment en pupes qui donneront des adultes. Ces asticots s’installent parfois à la base des narines des oisillons induisant des déformations importantes du bec de ces jeunes oiseaux. Des études ont montré que cette infestation par ces asticots a des effets négatifs prononcés sur le développement des poussins, sur leur poids atteint à l’envol et leurs chances de survie après l’envol, surtout quand les ressources alimentaires sont contraintes du fait de la météo par exemple ; ils semblent aussi influer le comportement des adultes dans leur investissement par rapport au nettoyage du nid (évacuation des excréments des poussins).

Au vu de toutes ces données, on se dit que la fonction de ces plantes aromatiques est évidente : repousser ces asticots et les mouches venant pondre ? En 2005, une étude est lancée pour vérifier cette hypothèse. On choisit deux groupes de nichoirs occupés que l’on visite tous les jours entre le troisième jour après l’éclosion jusqu’au 15ème jour, proche de l’envol : dans un groupe contrôle, on enlève les plantes aromatiques apportées par les parents et on es remplace par un volume équivalent de mousse ; dans l’autre groupe, on ajoute au contraire un gramme supplémentaire de plantes fraîches (moitié lavande et moitié immortelle). Résultat : l’ajout expérimental ou l’enlèvement de plantes aromatiques ne modifie pas de manière significative l’intensité de l’infestation des poussins par les asticots de mouches bleues. Donc, dans cette population au moins, les plantes aromatiques ajoutées ne semblent pas avoir de fonction répulsive envers les mouches hématophages pourtant si présentes ! Un bel exemple scientifique où il ne suffit pas de supposer même très fort une hypothèse pour qu’elle soit juste, même quand le contexte la désigne a priori comme hautement probable : une expérience avec un groupe témoin s’impose pour faire la lumière ! 

Piste immunitaire

Il faut  d’abord vérifier que cet ajout a réellement un impact sur les jeunes mésanges. Une nouvelle étude (2009) menée par l’équipe de chercheurs de Montpellier en Corse confirme que l’ajout régulier de plantes aromatiques a un effet significatif positif sur la rapidité de croissance en poids des poussins mais dans un contexte de contraintes sur la reproduction comme des nichées surnuméraires ou une pénurie de chenilles, nourriture de base des poussins.  Pour autant, les poussins à l’envol ne sont pas plus grands que la normale ce qui laisse supposer que l’amélioration de la croissance a été tempérée par une sur-sollicitation du système immunitaire, hypothèse confirmée par les effets sur la composition du sang de ces jeunes oiseaux. En tout cas, la survie des poussins semble bel et bien améliorée par ces plantes aromatiques. 

Cette piste immunitaire conduit vers une autre hypothèse : une action antibactérienne. En effet, des études conduites en Grande-Bretagne montrent que la charge bactérienne en staphylocoques et entérobactéries s’accroît nettement dans les cavités de nidification, atteignant un pic au moment de l’envol. On explique cette augmentation par l’activité croissante des parents pour nourrir les jeunes de plus en  plus solliciteurs et qui prennent moins de temps pour entretenir leur plumage et nettoyer le nid. En Corse, avec l’infestation des mouches bleues (voir ci-dessus), les poussins affaiblis par ce parasitisme externe se trouvent encore plus exposés à ces bactéries : on observe une forte corrélation entre l’infestation par les mouches et la densité des bactéries sur la peau ventrale. On a mis en culture des prélèvements bactériens effectués sur ces poussins afin de tester l’impact des plantes aromatiques utilisées localement : elles affectent de manière significative la richesse en espèces de ces communautés de bactéries. Or, parmi ces bactéries, certaines peuvent être pathogènes : la diminution de la diversité des espèces abaisse donc les risques de contamination par une bactérie pathogène. 

Apprentissage 

Reste à comprendre comment ces oiseaux acquièrent ce comportement. On connaît chez nombre de passereaux des cas d’apprentissage social par l’observation des jeunes envers leurs parents ou des adultes envers d’autres plus expérimentés. La construction du nid, fortement liée à la survie et au succès reproductif, se trouve soumise à une très forte pression sélective : toute innovation améliorant son efficacité a donc plus de chances d’être sélectionnée positivement ; mais encore faut-il que cette innovation de type comportemental soit transmise de génération en génération, n’étant pas génétique à l’origine. 

La comparaison de plusieurs petites populations corses séparées les unes des autres dans l’espace, mais pratiquant toutes cet ajout d’aromatiques, apporte des éléments intéressants. La composition en plantes aromatiques ajoutées au nid varie avant tout selon l’identité des femelles et pas selon la présence de telle ou telle espèce de plante dominante dans l’environnement local. Entre sites proches mais disjoints, on observe au sein d’un même site une certaine homogénéité dans la composition tout en étant très différente parfois de celle du site juste à côté ! Il s’agit donc bien de préférences individuelles. Donc la répartition des plantes aromatiques dans l’environnement n’explique pas les variations observées. L’hypothèse de la transmission verticale (parents/jeunes) semble peu probable car on observe que les femelles (baguées et donc reconnaissables individuellement) ne composent pas leur « pot-pourri » identique à celui du nid où elles sont elles-mêmes nées. Reste donc l’hypothèse de l’apprentissage entre adultes par observation directe des autres : en Corse, les populations vivent dans des boisements ouverts et ont des territoires très restreints ce qui faciliterait les observations entre femelles. Les nouvelles femelles arrivant sur un site donné se trouvent avantagées si elles imitent des femelles plus anciennes déjà installées. Ainsi, la variation selon les sites s’expliquerait selon l’individu originel qui a déclenché cet « engouement » et a été copié. On a aussi démontré chez l’étourneau (autre adepte de ce comportement) que des préférences olfactives peuvent être acquises par apprentissage, confirmant ainsi cette hypothèse. 

Piste sexuelle 

Une autre hypothèse a initialement été suggérée par le cas des étourneaux chez qui l’ajout de plantes aromatiques au nid intervient dans la parade nuptiale des mâles pour attirer les femelles. Chez la mésange bleue, les femelles construisent seules le nid et apportent seules les fameuses plantes aromatiques : d’où l’hypothèse que l’ajout de plantes aromatiques serait un signal de qualité des femelles destiné aux mâles : les mâles percevant les odeurs dégagées par le nid s’investiraient plus dans l’élevage des jeunes issus de telles femelles. En Corse, sur les populations étudiées, un suivi par vidéo ne semble pas montrer de changements comportementaux des mâles selon la présence ou pas de plantes aromatiques. Par contre, une étude conduite en Espagne aboutit à des conclusions différentes : là aussi, on s’est appuyé sur des mésanges occupant des nichoirs suivis tous les trois jours et, pour certains, équipés de vidéo ou de système permettant de capturer les adultes et de les équiper de balises de suivi. Tous les trois jours pendant la reproduction, après avoir enlevé les plantes apportées par les oiseaux, soit on ajoute des matériaux frais aromatiques (lavande papillon et santoline) dans certains nids ou on les remplace par de la mousse. Il apparaît que dans les nids « aromatisés »,  les mâles s’investissent significativement plus en prenant plus de risque : ils nourrissent plus et entrent plus facilement dans les nids pour ce faire. Les femelles manipulent ainsi le comportement des mâles et améliorent les chances de succès de leur descendance.

La santoline était autrefois surnommée « garde-robe » pour sa capacité à repousser les mites

On peut au final supposer que, au cours du temps, ce comportement ait d’abord été sélectionné pour le bénéfice apporté en faveur de la survie des jeunes avant que sa fonction de signal sexuel ne se mette en place secondairement. 

Bibliographie 

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