Polistini/Vespidae

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Non, il ne s’agit pas là d’un nouveau parti politique mais d’une périphrase pour qualifier les polistes, ces guêpes particulières qui forment une tribu cosmopolite (Polistinés) de près de 300 espèces au sein de la famille des guêpes sociales ou Vespidés. Plusieurs espèces sont répandues chez nous et leurs nids faciles à observer. Ces guêpes mènent bien une vie sociale avec des individus sexués et des ouvrières non reproductrices, mais ces castes ne sont pas vraiment différenciées. Aussi, les entomologistes les considèrent comme représentant un stade ancestral dans la voie vers la vie sociale élaborée telle qu’on la trouve chez les abeilles domestiques ou les « vraies » guêpes. Pour autant, nous allons voir que leur vie sociale, pour primitive qu’elle puisse paraître au regard de leurs cousines, n’en présente pas moins nombre d’originalités.

Des guêpes gentilles

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Antenne en massue d’une poliste d’une couleur claire ; selon les espèces, il peut y avoir aussi du noir mais jamais sur toute la surface

Une douzaine d’espèces de polistes vivent en France avec une espèce largement répandue, le poliste gaulois (Polistes dominulus). Bigarrés de jaune et noir comme leurs proches cousines les « vraies » guêpes (genres Vespula ou Dolichovespula), les polistes s’en distinguent par un ensemble de caractères facilement visibles : en vol, les longues pattes grêles traînent vers le bas ; l’abdomen est plus fuselé et pointu au bout avec le premier segment (près de la « taille de guêpe ») qui est arrondi et non plat et abrupt ; les antennes en massue ont au moins l’extrémité claire, jaune ou orangée. Comme les guêpes, les polistes ont un dard lisse rétractile : on ne le voit pas « au repos » et il peut servir plusieurs fois (contrairement à celui des abeilles) ; par contre, les polistes ont un tempérament bien plus calme et, à moins que de les bousculer ou de s’approcher trop vite du nid, elles se montrent plutôt pacifiques mais peuvent piquer et faire presque aussi mal que leurs cousines plus belliqueuses.

Une autre différence concerne leur alimentation : elles sont prédatrices (surtout des chenilles) et parfois butineuses sur les fleurs comme les guêpes mais ne viennent pas sur les fruits mûrs en automne. Reste un dernier critère encore plus distinctif : le nid.

Un nid pédonculé

Construit à partir de fibres végétales mâchées comme chez les guêpes, le nid des polistes a une consistance de papier d’où le surnom de paper wasp en anglais. Il est suspendu par un pédoncule sur un support dur et ne comporte qu’une seule rangée (un rayon) de cellules hexagonales (20 à 30 au plus) sans enveloppe externe. La construction se fait selon une succession linéaire d’opérations : préparer le support ; construire le pédoncule assez épais ; élaborer une paroi verticale au bout du pédoncule ; construire une première cellule sur celle-ci. A partir de là, la planification varie : les cellules successives s’organisent autour de la première selon un motif hexagonal par groupes de six juxtaposés. Chaque année, un nouveau nid est construit et l’ancien est abandonné mais peut persister un certain temps, résistant tant bien que mal aux intempéries. Le mot poliste (féminin ou masculin) remonte au début du 19ème et dérive d’un mot emprunté au grec, polistês pour « bâtisseur de ville », à partir d’un verbe lui-même issu de polis, ville (Robert).

Le type de site choisi pour installer le nid varie selon les espèces : ce peut être une tige de plante herbacée assez robuste et dégagée, une brindille, une paroi rocheuse, et, le plus souvent, un support artificiel créé par l’homme : clôtures, barrières, mur, auvent, rebord de toit, sous des tuiles, dans une cabane, …

Fondation

La construction initiale de ce nid incombe aux femelles fécondées qui ont hiberné : on les appelle des gynes ou fondatrices ce qui est un peu l’équivalent des reines chez les guêpes ou les abeilles sauf que, extérieurement au moins, pas grand chose, même la taille, ne les différencie des futures ouvrières sinon leur comportement. L’initiation d’un nid peut se faire à partir d’une fondatrice seule ou d’un petit groupe de deux à cinq gynes. Dans le second cas, le plus fréquent, des interactions agressives se mettent en place au sein de ce « clan » fondateur et, progressivement, une hiérarchie linéaire se met en place avec une femelle dominante (dite alpha) qui prend l’ascendant. Elle seule (ou presque) va pondre un œuf dans chaque cellule au fur et à mesure de leur construction ; les autres, devenues ses subordonnées, vont se consacrer à l’entretien et la surveillance du nid, puis au ravitaillement des larves écloses (le couvain) en leur apportant régulièrement de la bouillie de chenilles prémâchée dans les cellules ouvertes par en dessous. L’agressivité initiale cesse progressivement. Quand les larves ont achevé leur développement, elles se nymphosent dans les cellules closes et la fondatrice agrandit le nid et se remet à pondre.

La première génération qui éclot en début d’été est composée uniquement d’ouvrières qui prennent le relais pour les tâches « ménagères ». Progressivement, les femelles subordonnées sont chassées par la fondatrice ; certaines vont alors essayer d’usurper d’autres nids ou de fonder à leur tour un nouveau nid. A la seconde génération, des individus sexués apparaissent mais toujours non différenciés ou presque des autres.

Mâles et nouvelles femelles quittent alors le nid natal à la recherche de sites qui servent d’arènes nuptiales et s’accouplent. La colonie initiale entre alors en déclin rapide dès la fin de l’été car la fondatrice initiale ne pond plus et les ouvrières ne vivent que 30 à 40 jours. Le nid va être déserté dès la fin de l’été.

Les mâles meurent assez rapidement et les femelles fécondées tendent à se regrouper dès le début de l’automne en groupes de pré-hibernation (jusqu’à 50 individus) avant de gagner un site d’hibernation : souvent sous un toit à proximité d’anciens nids, dans une fissure d’arbre, ….

Des castes cachées

Seuls les comportements (dont la capacité à se reproduire) distinguent les différentes castes fonctionnelles : fondatrices, ouvrières et mâles. Mais quand se différencient-elles ? On a longtemps cru que cela se passait après l’éclosion depuis la nymphe au stade adulte mais une étude (1) vient de démontrer que le déterminisme se faisait dès le stade larvaire selon la nourriture reçue au cours du développement larvaire. Une plus grande quantité de nourriture (ou sa qualité différente ?) permettrait la synthèse accrue et le stockage interne de protéines particulières, des héxamérines, fabriquées par les corps adipeux et qui se concentrent dans le liquide interne juste avant la métamorphose. Leur présence neutraliserait une hormone dite juvénile ce qui retarderait le développement des ovaires et permettrait l’accumulation de réserves et la capacité à entrer en hibernation (diapause). Par contre, chez les larves moins nourries, cette hormone s’exprimerait ce qui accélère leur développement et développe les comportements associés à la reproduction (nourrissage et entretien).

Des signatures chimiques

Un autre aspect lié à ces castes concerne la communication entre individus différents. La cuticule (la « peau ») émet des phéromones sous forme d’hydrocarbones, dérivés des matières végétales utilisées pour la fabrication du nid et additionnées de la salive de la fondatrice. La signature chimique qui correspond au « cocktail » de substances cuticulaires diffère selon les castes. Les polistes seraient capables de reconnaître les signatures respectives des différentes castes et l’année suivante de reconnaître leurs sœurs !

La femelle dominante qui reste presque tout le temps sur le nid l’imprègne de sa signature, notamment en frottant son abdomen contre le nid ; elle impose ainsi son odeur au nid. Une étude (2) montre que la signature de la fondatrice ne devient différente de celle des autres subordonnées qu’à partir du moment où éclosent les premières ouvrières. Si on enlève la femelle alpha dominante, les subordonnées adoptent rapidement sa signature chimique qui traduirait ainsi leur activité ovarienne.

Il semble (6) que la première femelle qui arrive sur un site qui servira ensuite à accrocher le nid deviendra la fondatrice dominante si d’autres s’installent avec ; autrement dit, la place de dominant résulterait d’une sorte de convention tacite même si des conflits agressifs persistent ensuite indiquant que cette règle reste sans doute relative

Jeux de masques

On est frappé de la complexité et de la diversité des dessins sous forme de points et/ou taches noirs sur un fond jaune vif sur le devant de la tête. Le clypéus, la plaque juste au-dessus des mandibules porte notamment des dessins caractéristiques souvent utilisés pour diagnostiquer les espèces. Il semble (3) que ces motifs servent de signaux visuels attestant de la qualité des individus et de leur rang social : aucun point sur le clypéus indiquerait une « faible qualité » tandis que deux points signifierait une « bonne qualité ». Ce système évite les conflits et les agressions interindividuelles en imposant une hiérarchie. Une autre étude (4) aboutit à une conclusion opposée comme quoi les motifs du clypéus ne servaient pas de « badges sociaux » mais que la taille de l’individu porteur était importante. Il reste donc encore à éclaircir cet aspect de la communication entre polistes.

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Gros plan (loupe) sur la tête d’une poliste avec une belle tache noire sur le clypéus, cette plaque frontale au-dessus des mandibules noires et en-dessous des antennes orangées.

Seule ou à plusieurs

Un dernier point (mais il y en a encore bien d’autres qui ont été ou sont explorés à propos des polistes!) concerne le nombre de fondatrices à l’origine d’une colonie ; nous avons vu (voir ci-dessus) que le nid pouvait être construit par une seule fondatrice ou par plusieurs avec ensuite une hiérarchie qui se mettait en place. Les nids fondés par plusieurs femelles en coopération (5) ont plus de réussite que ceux issus de l’activité initiale d’une seule femelle : ils subissent moins de tentatives d’usurpation de la part de femelles extérieures, survivent mieux et produisent plus de descendance. Les femelles associées ont plus de survie quand elles sont à plusieurs que si elles étaient seules. Il y a donc des bénéfices au moins en terme de survie pour les fondatrices qui coopèrent.

BIBLIOGRAPHIE

  1. A diapause pathway underlies the gyne phenotype in Polistes wasps, revealing an evolutionary route to caste-containing insect societies. James H. Hunt, Bart J. Kensinger, Jessica A. Kossuth, Michael T. Henshaw, Kari Norberg, Florian Wolschin, and Gro V. Amdam. 14020–14025 , PNAS August 28, 2007 ; vol. 104 ; no. 35
  2. Cuticular hydrocarbons and reproductive status in the social wasp Polistes dominulus. Matthew F. Sledge · Francesca Boscaro Stefano Turillazzi. Behav Ecol Sociobiol (2001) 49:401–409
  3. Visual signals of status and rival assessment in Polistes dominulus paper wasps. Elizabeth A. Tibbetts* and Rebecca Lindsay. Biol. Lett. (2008) 4, 237–239
  4. On status badges and quality signals in the paper wasp Polistes dominulus: body size, facial colour patterns and hierarchical rank. R. Cervo, L. Dapporto, L. Beani, J. E. Strassmann and S. Turillazzi. Proc. R. Soc. B (2008) 275, 1189–1196
  5. Benefits of foundress associations in the paper wasp Polistes dominulus: increased productivity and survival, but no assurance of fitness returns. Elizabeth A. Tibbetts and Hudson Kern Reeve. Behavioral Ecology Vol. 14 No. 4: 510–514
  6. Reproduction in foundress associations of the social wasp, Polistes carolina: conventions, competition, and skew. Perttu Seppa, David C. Queller, and Joan E. Strassmann. Behavioral Ecology Vol. 13 No. 4: 531–542 ; 2002

A retrouver dans nos ouvrages

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