Calendula arvensis

Belle touffe dans le jardin du Berry

21/04/2023 Dans le jardin de ma maison d’enfance (années 60 …) dans le Berry (Cher), les soucis des champs abondaient et fleurissaient en masse chaque année si bien que j’ai longtemps cru qu’il s’agissait d’une espèce ultra commune. Or, par la suite, quand j’ai commencé à herboriser et à parcourir le département, je me suis rendu compte que le beau souci était une plante rare, voire très rare ; et au fil des décennies, j’ai eu de plus en plus de mal à en observer. Cette observation personnelle se trouve largement corroborée par ce qu’en disent toutes les flores actuelles (hors région méditerranéenne) : le souci des champs connaît un très fort déclin comme une multitude d’autres espèces de plantes compagnes des cultures. Cependant, récemment, on tend à observer une ébauche de retour du bel orangé mais dans des milieux différents.

… comme souci

Une expression ancienne et familière « jaune comme souci » signifiait « avoir le teint brouillé, très jaune ». Effectivement, le souci des champs se démarque nettement au sein de notre flore par la teinte assez unique de ses capitules (composée ou astéracée) jaune orange pâle ou foncé selon les colonies. Dans tous les cas, cette teinte accroche l’œil par sa lumière et son éclat qui évoque un air de Midi, impression justifiée vu ses origines (voir ci-dessous).

Fleurs ligulées périphériques et fleurs tubuleuses centrales

Les capitules du souci des champs conservent une taille assez modeste (1 à 2cm de large) au regard de son proche cousin bien plus connu et très cultivé comme ornemental, le souci officinal d’origine méditerranéenne. Les nombreux capitules sont perchés chacun au sommet d’un rameau, d’abord dressés bien en vue puis se penchant après la floraison. Un involucre de bractées (voir la chronique) étroites et disposées sur un rang, avec une pointe souvent rougeâtre foncé, sous-tend deux ou trois rangées de languettes orange à jaune qui dépassent nettement. Elles correspondent à des fleurs femelles ligulées fertiles. Tout l’intérieur du petit capitule est occupé par un coussin serré de fleurs tubuleuses, orange elles aussi (mais parfois teintées de brun ou de violacé) : des fleurs mâles qui ne produisent donc pas de fruits.

Souci officinal dans un potager

Calendula Souci

Le nom latin de genre Calendula vient du latin calendae, que l’on retrouve dans calendrier ou calende (le premier jour de chaque mois chez les Romains) : ce nom lui aurait été attribué car cette espèce fleurit pratiquement toute l’année depuis la fin de l’hiver (dès février) et jusqu’en automne. En région méditerranéenne et même plus au nord désormais avec le changement climatique, il peut en fait fleurir ponctuellement en plein hiver à la faveur d’un épisode doux prolongé. Cette aptitude s’explique aussi parce qu’il s’agit d’une plante annuelle, spécialiste de milieux ouverts souvent perturbés, et donc capable de se développer à tout moment.

Le nom populaire de souci apparaît au 12-13ème siècle sous la forme soussie (féminin) puis sousicle avant de devenir au 16ème soulci, puis enfin souci. Ce nom dérive du bas latin solsequia, « qui suit le soleil », attribué par ailleurs au tournesol. Il fait référence à l’héliotropisme des capitules qui s’ouvrent le matin et se ferment le soir et qui suivent la course du soleil dans la journée, chaque capitule décrivant un arc de cercle de 20° environ d’Est en Ouest.

Populage ou souci d’eau

Notons qu’on nomme aussi souci d’eau le populage des marais, ce gros bouton d’or (Renonculacée) aux fleurs d’un beau jaune orange. D’ailleurs, les anciens botanistes come Bauhin surnommaient le souci des champs Caltha vulgaris ou C. calendula !

On attribue aussi ce nom à des papillons de la famille des piérides, les soucis (Colias), aux ailes tout aussi orangées, par opposition à leurs très proches cousins, les soufrés aux ailes à dominante jaune soufre. Il existe un moineau peu commun, présent dans la moitié sud du pays, le moineau soulcie, dont le nom par contre dérive de son sourcil clair au-dessus de l’œil : le naturaliste Belon au 16ème siècle le décrivait comme « moineau à la soulcie » ; mais les mâles présentent par ailleurs une discrète tache jaune (souci ?) sur la gorge …

Moineau soulcie mâle ( C.C. 4.0. cliché Zeynel Cebeci)


Solaire

Nous avons vu que le souci des champs s’orientait par rapport au soleil dans la journée. Une étude menée en Espagne a montré que, grâce à ce mouvement, l’intérieur des capitules (un peu en coupe resserrée) se maintenait à une température de 2°C au-dessus de celle de l’air ambiant. Or, on sait que la production de fruits, qui se fait essentiellement par autopollinisation, dépend surtout de la température ambiante qui peut limiter la germination des grains de pollen sur les stigmates (formation d’un tube pollinique porteur des spermatozoïdes) : l’optimum, mesuré en laboratoire, pour leur germination se situe entre 25 et 40°C. Sur le terrain, on constate qu’au printemps (maximum de floraison), la température interne des capitules surpasse ce seuil minimal seulement autour de midi et ce, grâce à l’orientation des capitules qui suivent le mouvement du soleil.

Néanmoins, les capitules attirent aussi divers insectes en tête desquels figurent les syrphes (voir la chronique) nettement devant les abeilles. En Espagne, son visiteur le plus assidu et spécifique est un bombyle (voir la chronique sur ces mouches velues à longue « trompe ») Usia aurata. Celui-ci ne visite les soucis qu’en plein soleil car il a besoin de températures entre 20° et 30°C pour chauffer suffisamment son corps, n’étant pas capable (ou très peu) de se réchauffer par lui-même (par exemple, en faisant vibrer leurs ailes). Plus la température à l’intérieur des capitules est élevée, plus le bombyle y passe de temps à butiner et moins à se chauffer au soleil. Ainsi, ce bombyle profite de l’héliotropisme des capitules de soucis pour se nourrir mais, pour autant, il n’apporte pas d’avantage décisif au souci dans sa reproduction, basée surtout l’auto-pollinisation ; au plus, il doit féconder de manière croisée quelques fleurs ce qui limite la consanguinité.

Hétérocarpique

Les fleurs femelles ligulées (voir ci-dessus) produisent donc seules des fruits, des akènes (fruits secs à une seule graine) comme chez toutes les Composées. Mais, ces akènes d’abord verts puis jaunâtres à bruns en mûrissant ont une apparence plus qu’insolite. Ils forment une tête serrée d’aspect très hétéroclite et hérissé, vue de loin : cette apparence tient à la présence en fait de trois types de fruits différents dans un même capitule. Les plus externes, arqués, sont épineux crochus sur le dos ; ceux du milieu ont des ailes élargies ce qui leur donne une forme de proue de bateau ; enfin, les internes en forme de faux, souvent enroulés en anneau, sont étroits et portent des verrues grossières sur le dos faisant penser à des chenilles. Difficile de faire plus compliqué !

On qualifie le souci de plante hétérocarpique (carpos : fruit). On connaît diverses autres composées hétérocarpiques mais de manière beaucoup moins spectaculaire avec deux types de fruits ne différant que dans les détails : par exemple certains avec un bec porteur d’aigrette et d’autres pas chez la porcelle enracinée (voir la chronique). Ce caractère « tricarpique » joint à la structure des capitules (fleurs femelles/fleurs mâles) place les soucis au sein de la plus petite tribu des Astéracées (voir cette notion avec l’exemple des Carduuées) : les Calendulées. On y trouve, outre le genre Calendula, les Osteospermum (marguerite du Cap ou souci pluvial) bien connues comme ornementales (originaires d’Afrique du Sud).

Cette hétérogénéité des fruits induit de fait une différenciation dans leur dispersion : les fruits ailés seraient plutôt dispersés par le vent tandis que les épineux crochus externes s’accrocheraient au pelage des animaux (épizoochorie : voir la chronique). On pense que les lapins, très friands de ces fruits, participent notamment à leur propagation.

Les proportions des trois types d’akènes varient considérablement selon les populations ce qui avait conduit, par le passé, à distinguer plusieurs « espèces » sans vraie valeur taxonomique, simples variations. Dans le sud de l’Espagne, dans des zones semi-arides, on trouve une autre espèce de souci avec des fruits portant trois ailes : Calendula tripterocarpa (pteron : aile ; voir ptéranodon ou aptère)

Capture d’écran sur le site Lepinet.fr

En région méditerranéenne, une espèce de noctuelle, la cucullie du souci s’est plus ou moins spécialisée dans l’exploitation de ces fruits (au stade encore vert) comme nourriture de ses chenilles qui peuvent, tant qu’elles sont jeunes, se cacher au cœur du « buisson épineux » formé par la tête fructifère. Là où cette espèce sévit, jusqu’à 30% des fruits peuvent être ainsi détruits. Le papillon adulte émerge en octobre et vole jusqu’au début du printemps ce qui correspond au pic de fructification des soucis en région méditerranéenne.

Floconneux

Pour autant, le souci des jardins reste assez facilement identifiable même sans fleurs ni fruits.

Il apparaît sous forme de rosettes lâches à partir desquelles montent rapidement une multitude de tiges redressées ascendantes, ramifiées à port diffus et étalé : les touffes forment souvent des colonies très fournies.

Rosette initiale

Elles montent jusqu’à 30-40cm de haut, pas plus : ce caractère le différencie bien du souci officinal qu’on peut rencontrer à l’état semi-naturalisé ou souvent semé pour les jachères fleuries. Un caractère retient l’attention : les feuilles, alternes (comme chez presque toutes les Composées ou Astéracées), sont pubescentes à finement floconneuses, voire aranéeuses (comme des toiles d’araignée), ce qui leur donne un aspect vert cendré bleuté très spécial. Au toucher, on notera la consistance un peu collante de ce revêtement floconneux.

Les feuilles allongées (3 à 8cm) tendent à embrasser les tiges dans le haut ou s’insèrent sans pétiole (sessiles). Les feuilles inférieures, plus larges, se rétrécissent en un court pétiole. Un autre caractère retient le regard (de près) : le bord, vaguement sinueux, porte à chaque avancée un mucron sombre bien visible de profil.

Enfin, dernier critère clé : l’odeur aromatique forte, très particulière, sensible même sans frotter les feuilles entre ses doigts, simplement en les touchant.

Méridional

Le souci des champs se trouve dans toute la France mais reste très rare ou épisodique dans certaines régions comme l’Est ou le sud-Ouest ; son aire principale couvre le Midi, le grand Sud-Est jusqu’en Ile-de-France et en remontant sur la façade atlantique jusqu’aux pays de Loire. Ceci traduit bien ses origines méditerranéennes : il aime la chaleur, se cantonne dans des sites bien exposés et excelle sur des sols très secs à arides (xérophile). Le changement climatique en cours pourrait sans doute le favoriser et redynamiser les populations plus nordiques.

On le considère comme une archéophyte, i.e. de plante répandue historiquement par les humains dès l’Antiquité soit depuis les jardins où on le cultivait comme médicinale et/ou comme adventice des vignes.

Soucis des champs dans un vignoble conduit en bio (Auvergne)

Actuellement, il reste présent dans les grandes régions viticoles où il a cependant nettement régressé à cause des désherbants chimiques ; le retour des inter-rangs enherbés et la baisse du recours aux herbicides via le développement de la viticulture biologique laissent espérer son retour dans ce milieu. On le retrouve en populations très localement importantes dans les moissons calcaires, les jachères sableuses, les friches herbacées des vallées alluviales, les jardins potagers, les rues et abords des villages, …

La liste ci-dessus indique qu’il n’est pas strictement lié au calcaire comme on l’affirme souvent : en Île-de-France, on le considère même comme acidiphile sur des sols sableux ou caillouteux. Dans tous ses milieux de vie, il a besoin de sols un peu enrichis en nutriments (mais pas trop) et de perturbations fréquentes maintenant une végétation ouverte.

Effondrement

Dans une flore du 19ème siècle, on lit à son propos : « cette plante est trop connue d’un chacun, pour en faire une exacte description, qui serait inutile !». Cette remarque en dit long sur l’abondance du souci qui se développait en masse dans les cultures et surtout dans les vignobles.

Mais à partir du milieu du 20ème siècle, dans de nombreuses régions, on a constaté un effondrement rapide de cette espèce, passée du statut d’hyper commune voire envahissante à celui d’espèce rare ou disparue localement (voir introduction). Plusieurs atlas de répartition parus récemment attestent de cette tendance.

Dans mon jardin potager (introduit à partir de graines venues du Berry …) : il se ressème ensuite tout seul

En Île-de-France, on le citait autrefois très commun dans les vignes et les moissons maigres ; l’intensification agricole l’a presque éradiqué de ces milieux et on ne le trouve désormais que dans des milieux bien différents où il a trouvé un refuge abrité des traitements herbicides : jachères, friches, accotements ras, potagers, … Plus au nord, dans la Somme, il avait complètement disparu mais très récemment on en a observé des petites colonies peut-être favorisées par les épisodes caniculaires et/ou via des introductions dans les jachères fleuries.

En Auvergne, il est devenu rare dans les vignes et les moissons et, là aussi, on le rencontre désormais plutôt au bord de chemins, des friches et dans les rues de villages ou des cimetières ; il a disparu du val d’Allier où il était autrefois comme abondant.

Dans les Pays de Loire, on le mentionnait hyper commun au 19ème en Berry et dans l’Eure-et-Loir et assez commun ailleurs. En régression marquée, il se cantonne maintenant autour du val de Loire inondable (climat abrité chaud) jusque sur les coteaux et dans les grandes agglomérations comme Tours et Orléans.

Sur un trottoir dans un hameau de Limagne auvergnate (sur calcaire)

On peut avoir un peu d’espoir à son égard vu sa capacité de résilience et sa plasticité écologique tout en profitant du changement climatique.

Bibliographie

Redécouverte dans la Somme de Calendula arvensis L., messicole xérophile Rémi FRANÇOIS Conservatoire botanique national de Bailleul 2020

Density, damage and distribution of Cucullia calendulae (Noctuidae) in patches of Calendula arvensis S. PÉREZ-GUERRERO et al. Revista Colombiana de Entomología 36 (1): 179-180 (2010)