Dinosauria

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Stégosaure (Parc Vulcania)

Avant de lire la suite de cette chronique, proposez dès maintenant une réponse à cette question sur le nombre d’espèces de dinosaures ayant existé au cours du Mésozoïque (ère Secondaire). Attention, dans tout ce qui va suivre, les études ne prennent en compte que les dinosaures non aviens (voir la chronique sur le dinowatching), i.e. en excluant « les premiers oiseaux » qui ont commencé à prospérer au cours de la seconde moitié du Mésozoïque.

En tout cas, voilà bien une question difficile à répondre à propos des dinosaures. Contrairement à une idée reçue, le registre fossile ne donne qu’une image très partielle de la réalité de la diversité passée. C’est comme un immense puzzle  dont on ne possèderait que quelques pièces dispersées de ci de là et dont il faut imaginer les innombrables pièces manquantes. On ne connaît qu’une partie de la diversité réelle d’un groupe fossile et on ne peut que proposer des estimations basées sur des hypothèses pour chiffrer la diversité réelle.

Espèces et genres

Si la délimitation des espèces vivantes est un travail ardu et objet de controverses, celle des espèces fossiles relève d’un art encore plus délicat vu que l’on ne dispose le plus souvent que de restes osseux, fragmentaires ou en mauvais état. On arrive régulièrement à considérer tel fossile comme une nouvelle espèce avant de découvrir qu’il s’agit par exemple d’une forme juvénile ou bien que chez telle espèce, mâles et femelles sont si différents qu’on les prenait pour des espèces différentes. A l’inverse, on doit souvent « passer à côté d’espèces différentes » faute d’éléments discriminants. Serait-on capable de distinguer un moineau domestique d’un moineau friquet, deux espèces actuelles clairement identifiables, si on en disposait sous forme de fossiles : pas sûr du tout ! Donc, il faut garder en mémoire ce biais inéluctable pour relativiser les chiffres obtenus dans le dénombrement des espèces fossiles.

Les paléontologues s’appuient aussi sur une autre notion très classique en systématique : le genre, l’unité taxonomique qui regroupe des espèces très proches parentes. Cette notion est en fait la plus connue du grand public  (à l’insu de leur plein gré !) : on parle ainsi de l’iguanodon (genre Iguanodon), là où les spécialistes distinguent deux espèces au moins ou bien encore de l’allosaure (genre Allosaurus) qui recouvre au moins trois espèces différentes selon les paléontologues (A. fragilis; A. europaeus ; A. lucasi). Pour évaluer la diversité à une époque donnée, on utilise donc souvent le nombre de genres présents puisqu’en apparence il permet d’évacuer les difficultés de délimitation entre espèces. Sauf que la notion de genre relève d’un quasi-arbitraire : à partir de quand décide t’on que deux espèces ne sont plus assez « proches » pour les placer dans deux genres différents ? Ainsi, régulièrement, les limites des genres subissent de profonds remaniements, objets de débats acharnés !

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Reconstitution « d’un » allosaure (Parc Vulcania)

Premières estimations

Forts donc de cet avertissement préalable, voyons les chiffres qui circulaient jusqu’en 2016. En 1990, P. Dodson (1) publie une estimation qui a longtemps servi de référence en se basant sur la durée d’existence des genres alors connus : entre 900 et 1200 genres de Dinosaures auraient existé au cours du Mésozoïque avec environ 100 genres pour chacun des étages géologiques de cette vaste période ; si on considère que chaque genre peut renfermer plusieurs espèces, on arrivait à plusieurs milliers d’espèces.

En 2006, une nouvelle estimation (2) se base cette fois sur le rythme des découvertes qui s’accélère : depuis 1990, en moyenne près de 15 nouveaux genres ont été décrits chaque année contre 1 par an entre 1824 et 1969. La paléontologie a connu un essor incroyable au cours des dernières décennies, tout particulièrement pour les dinosaures qui bénéficient d’un engouement populaire et donc de subventions plus généreuses pour les recherches. A cette date, 527 genres étaient reconnus. L’étude proposait donc une estimation totale de 1844 genres dont on ne connaîtrait que 30% d’entre eux ! Cependant, dans la discussion finale, il est noté que le registre fossile connu des dinosaures est biaisé par la disponibilité et l’accessibilité aux roches sédimentaires contenant les fossiles.

C’est en intégrant ce biais qu’une nouvelle estimation vient d’être publiée en 2016 (3). Deux chercheurs en Suède ont élaboré un modèle statistique qui donne pour l’ensemble du Mésozoïque une moyenne de 1936 espèces (entre 1543 et 2468) pour 1536 genres (1255-1929). Voyons les principes de ce nouveau modèle et ses enseignements.

Une multitude de biais

Le processus de fossilisation qui nécessite un enfouissement rapide dans un sédiment est déjà en lui-même exceptionnel : la plupart des animaux morts dans la nature finissent entièrement décomposés sans laisser aucune trace. Quand il s’agit d’animaux terrestres comme les dinosaures (voir la chronique sur le dinowatching), la probabilité de fossilisation devient encore plus rare. Ensuite, une fois « créé », le fossile doit être trouvé pour être pris en compte; or, il peut être détruit par l’érosion ou se retrouver dans un affleurement rocheux inaccessible à l’homme pour de multiples raisons. A cela il faut ajouter, l’intensité de recherche (d’échantillonnage comme disent les paléontologues) très variable selon les pays, les subventions allouées, les orientations universitaires (il n’y a pas que le mésozoïque et les dinosaures à explorer !) qui fait que souvent il existe une corrélation entre intensité de recherche et diversité observée… Bref, il existe de multiples biais susceptibles d’altérer la connaissance du registre fossile.

A tout cela, il faut ajouter un biais transversal majeur que l’on nomme l’hypothèse de la « cause commune ». La diversité de la faune fossile et l’échantillonnage sur le terrain sont dépendants tous les deux d’un même facteur commun : les variations du niveau de la mer au cours des temps qui ont contrôlé la surface de terres émergées. A certaines périodes du jurassique par exemple, on sait que les terres émergées ont été réduites du fait d’un niveau moyen des mers très élevé : donc, les roches sédimentaires susceptibles de renfermer des dinosaures (terrestres rappelons le !) y sont rares et la biodiversité de la faune terrestre a du être réduite durant ces périodes faute de territoires ! Cependant, une étude récente (4) tend à montrer que cette corrélation supposée serait inopérante dans le cas des Dinosaures et que c’est la variation dans l’échantillonnage qui reste la cause explicative majeure.

TRiPS

Le modèle mis en place dans l’étude de 2016 (3), s’attache à évaluer la vraie richesse (nombre d’espèces) et ne se contente pas de mesurer la richesse relative au cours du temps comme on le faisait auparavant. Ceci explique les lettres TR dans l’acronyme TRiPS pour True Richness. Pour contourner ces biais d’échantillonnages évoqués ci dessus, ce modèle s’appuie sur un principe simple : si une espèce fossile est observée de nombreuses fois sur une période géologique donnée, c’est qu’elle avait une probabilité de fossilisation plus élevée ; ensuite à partir de ces taux potentiels de fossilisation, on peut estimer le nombre d’espèces qui, elles, ont eu moins de « chances » d’être fossilisées et donc ensuite d’être découvertes. Ce modèle permet de comparer des périodes géologiques de durée très inégales. Les auteurs de l’étude reconnaissent que, malgré cela, leur modèle présente encore quelques biais qu’ils ont pris en compte pour discuter les résultats.

Une autre vision de la diversité

Outre l’estimation globale mentionnée ci-dessus, ce modèle apporte quelques enseignements sur les détails des variations de la diversité des dinosaures et bouscule certaines idées reçues.

Il y a très peu d’espèces par genre : en moyenne 1,15 espèce/genre identifié mais ceci correspond peut-être plus aux méthodes de délimitation des genres (voir le premier paragraphe). Le modèle indique une diversité bien plus forte qu’on ne pensait dès la fin du Trias : il y a donc eu une diversification forte dès le début de l’apparition des dinosaures et celle-ci s’est prolongée sur plus de 40Ma. On pensait que l’étage Oxfordien (- 163,5 à – 157,3Ma) était le moins riche en dinosaures ; en fait, ce serait un artefact lié à l’échantillonnage et à la « cause commune ». De même, on indiquait classiquement une quasi-crise à la frontière du Jurassique et du Crétacé : le modèle indique qu’il y a bien eu une baisse de la diversité mais bien plus faible que l’on ne pensait. Enfin, à propos de la toute fin du Crétacé (étage terminal du Maastrichtien), le modèle propose une baisse de 13 à 17% du taux d’apparition des espèces (spéciation) dans deux des trois grands groupes de dinosaures. Ceci tend à confirmer que la diversité des Dinosaures avait bien commencé à diminuer avant le fameux impact de la météorite qui n’a été qu’un coup de grâce. Ce point fera l’objet d’une future chronique. Remarquons enfin que ce modèle permet d’orienter les fouilles futures en indiquant les étages sous-échantillonnés.

Point de vue

Au terme de cette chronique, je me permets de suggérer mon point de vue de super néophyte en paléontologie mais quand même éclairé en matière de biodiversité actuelle. Les chiffres proposés me paraissent étonnamment « bas » pour un tel groupe sur une période aussi longue. Quand on connaît la biodiversité passée de certains groupes actuels, on ne peut que rester perplexe devant ces chiffres. Prenons par exemple les Périssodactyles (chevaux, tapirs et rhinocéros) : pour 6 genres actuels, il y a eu au moins ….. 238 genres passés ! Le registre fossile des dinosaures ne souffre-il pas de leur mode de vie terrestre et de leur relative ancienneté : plus des roches sont anciennes et moins on a de chance en moyenne de retrouver des fossiles ? Mais il ne s’agit là que d’une réflexion naïve sans doute ?

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Squelette reconstitué de Triceratops (Paleopolis ; Gannat 03)

BIBLIOGRAPHIE

  1. Counting dinosaurs: How many kinds were there? P. DODSON Proc. Nati. Acad. Sci. USA ; Vol. 87, pp. 7608-7612, October 1990.
  2. Estimating the diversity of dinosaurs. S. C. Wang; P. Dodson. PNAS. September 12, 2006; vol. 103 ; no. 37; 13601–13605.
  3. How many dinosaur species were there? Fossil bias and true richness estimated using a Poisson sampling model. Starrfelt J, Liow LH. 2016. Phil. Trans. R. Soc. B 371: 20150219.
  4. Sea level, dinosaur diversity and sampling biases: investigating the ‘common cause’ hypothesis in the terrestrial realm. Richard J. Butler, Roger B. J. Benson, Matthew T. Carrano, Philip D. Mannion and Paul Upchurch. Proc. R. Soc. B (2011) 278, 1165–1170

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